Intervention de Patrick André

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 février 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Patrick André directeur général des messageries lyonnaises de presse

Patrick André, directeur général des Messageries lyonnaises de presse :

Nous sommes une société coopérative de messageries de presse unique et directe, très ancienne et qui a acquis son indépendance totale par rapport aux ex-Nouvelles messageries de la presse parisienne depuis la fin des années 1990. Nous ne bénéficions d'aucune aide des pouvoirs publics depuis notre création. Le jeu de la concurrence nous a conduits à faire baisser de dix points le coût de notre intervention par rapport à la valeur faciale des titres que nous distribuons.

Les Messageries lyonnaises de presse (MLP) sont pilotées par un conseil d'administration composé de douze administrateurs. En tant que directeur général, je rapporte directement devant ce conseil d'administration dont les membres sont élus par une assemblée générale des éditeurs qui se sont constitués en coopérative.

Je souhaiterais revenir, si vous le permettez, sur deux enjeux fondamentaux pour l'avenir de la distribution de la presse en France.

Tout d'abord, les États généraux de la presse écrite ont permis de faire avancer la réflexion sur le devenir de la distribution de la presse et sur les structurations qu'il convient d'envisager dans ce secteur. En matière de vente au numéro, le constat principal est celui d'une baisse régulière du volume des ventes des titres de presse. La baisse observée en 2009, comprise entre - 6 % et - 8 %, est du reste supérieure à celle qui avait été relevée avant l'ouverture des États généraux à l'automne 2008. La problématique de la situation des diffuseurs de presse, c'est-à-dire des agents de la vente du niveau 3, a fait l'objet d'analyses approfondies.

Cette baisse du volume des ventes s'explique par deux facteurs principaux. En premier lieu, il convient de rappeler que le temps moyen consacré par le lecteur à la presse écrite a considérablement diminué en raison de la multiplication de ses sollicitations par les médias audiovisuels et par d'autres supports de loisir. Cette diversification des supports de loisir a conduit, chez le lecteur, à des choix de plus en plus tendus tant du point de vue économique que du point de vue de l'organisation de son temps de loisir.

Un second facteur est à rechercher dans le coût de la distribution. Ce n'est pas tant le coût global de la distribution que le coût d'intervention cumulé du niveau 1 des messageries et du niveau 2 des dépositaires qui est en cause. Ce coût cumulé consomme de façon significative des marges qui auraient pu être dégagées par les éditeurs afin de mettre en oeuvre de nouvelles initiatives d'investissement dans le développement de leurs entreprises de presse ou consentir aux diffuseurs des revenus complémentaires. Ces points n'ont pas été résolus à la suite des États généraux de la presse écrite. Toutefois, notre groupe s'est particulièrement investi dans la réforme du niveau 2 de la distribution. Nos efforts dans ce domaine demeurent isolés, car nous sommes les seuls à avoir effectué des restructurations au sein du réseau des dépositaires. L'objectif poursuivi par ces restructurations consiste à dégager des économies destinées à rééquilibrer la situation des dépôts de presse.

Néanmoins, l'amélioration de l'efficacité du réseau des dépositaires est également subordonnée aux efforts que doit conduire, dans ce domaine, Presstalis, qui demeure de longue date l'opérateur principal de la vente au numéro. Presstalis est également propriétaire des sociétés d'agences et de diffusion (SAD) implantées dans les grandes villes qui représentent 25 % des flux du niveau 2. Or, les SAD coûtent près de 38 % plus cher qu'un dépôt indépendant, ce surcoût étant lié à des facteurs historiques et industriels. Jusqu'ici aucune réforme ne semble être envisagée pour supprimer ces trois points de surcoût.

Le second enjeu majeur concerne la situation des dépôts Soprocom, dont le groupe Presstalis a la maîtrise. Ces 42 dépôts représentent également au moins 25 % du marché national des dépositaires. Nous avons réclamé des avancées du point de vue logistique dans le fonctionnement de ces dépôts en vue d'améliorer les conditions de distribution du niveau 2 et de libérer des moyens en faveur des éditeurs et des diffuseurs. Pour l'heure, les négociations, qui se tiennent pourtant depuis 18 mois, n'ont toujours pas abouti.

Nous regrettons, au sein des MLP, que rien n'ait encore été véritablement fait en matière de complément de rémunération des diffuseurs. Le réseau des diffuseurs de presse représente environ 30 000 points de vente en France, dont 6 000 réalisent près de 60 % du chiffre d'affaires total de la diffusion, et 12 000 en totalisent 80 %. Or, les aides consenties par l'État sont réparties sur l'ensemble des 30 000 points de vente. En ne ciblant pas plus fortement les aides publiques sur les 6 000 points de vente dont le chiffre d'affaires est principalement tiré par la vente de la presse, on ne soutient pas assez les diffuseurs spécialistes. À terme, cette logique pourrait nous faire perdre des lecteurs. En effet, nous avons pu constater que lorsque nous baissions l'offre au sein des points de vente, leur fréquentation diminuait, cette baisse se répercutant sur le panier moyen et donc également sur les ventes des titres leaders. Selon nous, il est primordial de soutenir les diffuseurs spécialistes de la vente de la presse, c'est-à-dire ceux qui proposent une offre très large de titres.

Au sein du réseau des diffuseurs, on compte environ 18 000 points de vente complémentaires ou supplétifs pour lesquels la vente de la presse ne constitue qu'un service complémentaire à leurs activités commerciales principales. Ces points de vente assurent la capillarité de la diffusion des quotidiens et des hebdomadaires. Pour autant, ils ne vivent pas de la presse et pourraient, pour des questions de rentabilité ou de réorientation de leurs activités, s'arrêter à tout moment de vendre de la presse.

Le livre blanc des MLP a élaboré un plan destiné à améliorer la rémunération des diffuseurs spécialistes. Nous estimons qu'il est possible de mobiliser suffisamment de moyens afin de rémunérer à hauteur de 4,5 points de plus les diffuseurs spécialistes.

Si nous ne donnons pas au diffuseur spécialiste les moyens économiques suffisants pour se projeter dans l'avenir, c'est la viabilité de l'ensemble de notre réseau de vente qui est en danger. Nous considérons qu'il revient à la profession de réunir elle-même ces ressources. Dans cette logique, les schémas de subvention des pouvoirs publics devraient être mieux orientés vers la création de richesses et l'investissement. Les moyens importants consentis par les pouvoirs publics doivent naturellement être préservés, mais leur allocation doit être repensée et réorientée vers les éditeurs et les diffuseurs qui en ont prioritairement besoin. Je pense notamment aux quotidiens nationaux qui connaissent des difficultés majeures pour se distribuer, pour des raisons bien connues, souvent de nature historique.

Je voudrais vous donner un exemple très concret. Un diffuseur spécialiste de la vente de la presse est rémunéré sur une base de 15 points bruts et de 13 points nets. Le complément de rémunération en faveur des diffuseurs auquel les éditeurs ont consenti à l'heure actuelle n'est versé que dans la limite de 20 points maximum et avec un décalage de six à neuf mois. Comment peut-on sérieusement demander à des diffuseurs de dialoguer avec leurs organismes bancaires sur leurs projets de développement lorsqu'ils sont obligés d'indiquer que près de 40 % de leur rémunération sera encaissée de façon hypothétique, en fonction des accords décidés par les éditeurs.

J'aimerais également aborder avec vous la problématique du contrat de groupage. Un éditeur peut-il se passer d'une messagerie pour distribuer ses titres s'il le souhaite ? Chez nous, au sein des MLP, nous avons considéré, bien avant les États généraux de la presse écrite, qu'il devrait être loisible à un éditeur de se distribuer partiellement dans le cadre d'une messagerie et d'envisager d'autres modes de distribution pour certains segments de presse sur des zones déterminées. Il s'agit d'un problème contractuel, qui ne relève pas de la loi. C'est aux messageries qu'il revient de l'autoriser dans les contrats conclus avec les éditeurs qui le souhaitent. Nous considérons que la compétition constitue un moteur d'efficacité et d'amélioration de nos performances. En clair, si un éditeur refuse de nous confier la totalité de la distribution de ses titres sur l'ensemble du territoire, c'est qu'il a estimé que nous n'étions pas globalement compétitifs et que d'autres modes de distribution étaient préférables en certaines circonstances. Ce qui nous préoccupe dans la situation actuelle ce sont les freins structurels qui n'ont toujours pas été levés sur ce point et pour lesquels nous avons les plus grandes difficultés à trouver collectivement des solutions. Évidemment, cette problématique est indissociable d'enjeux d'emplois et sociaux majeurs.

Enfin, en ce qui concerne la rénovation du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), je rappelle que ce sujet a été très largement débattu lors des États généraux et a été approfondi dans le rapport de M. Bruno Lasserre. Pour l'instant, les choses n'ont pas beaucoup évolué. Mais nous avons relevé les efforts significatifs conduits par le CSMP en son sein afin de trouver une autre forme de gouvernance plus efficace. Selon nous, les problèmes fondamentaux doivent être jugés de façon endogène par la profession.

La problématique de l'assortiment se résume pour le diffuseur à la question suivante : comment rendre plus performante et attractive la présentation de mon offre au client ? On se place, sur ce sujet, dans une logique d'augmentation du chiffre d'affaires. Selon nous, le principe de l'assortiment s'est traduit jusqu'ici par une proposition de référencement qui consiste à diminuer le nombre de titres assortis sur un point de vente, et donc à limiter la globalité de l'offre. La règle qui autorise les diffuseurs à retirer de leurs rayons les publications qui constitueraient moins d'un certain pourcentage de leur chiffre d'affaires favorise les titres les plus rentables et est donc préjudiciable à la diversité de l'offre. Rappelons que la vente de la presse est un marché d'offre, qui se distingue des marchés de demande dont l'offre est tendue comme le marché du pétrole. Si un diffuseur spécialiste de la vente de la presse réduit son offre, c'est la fréquentation de son point de vente qui diminuera. C'est du moins notre analyse. En matière d'assortiment, le CSMP a édicté des normes applicables aux acteurs de la distribution qui ont été contestées par nos assemblées générales d'éditeurs. Les MLP sont plutôt favorables à l'organisation envisagée par le rapport de M. Bruno Lasserre. Nous estimons, en effet, qu'il est plus sain que les décisionnaires ne soient pas en même temps juges et parties. L'indépendance de jugement, dans la régulation de la distribution de la presse, doit être garantie.

La baisse de la volumétrie des ventes posera irrémédiablement la question de la richesse de l'offre. Comment ne pas maintenir la richesse de l'offre de titres, alors que le secteur est soumis à la très forte concurrence d'Internet ? La qualité et la fidélité des lecteurs s'acquièrent parce que de nombreux centres d'intérêt sont couverts par l'offre de titres.

Si toute la presse magazine était distribuée selon les critères suivis par les MLP, nous avons évalué à 100 millions d'euros le montant des marges qui pourraient être dégagées dans le secteur de la distribution. Ce chiffre a été jugé provocateur, mais nous demeurons convaincus du réalisme de notre analyse. Sur Paris, nous sommes, avec Presstalis, les deux seules messageries à livrer des titres aux diffuseurs. Les économies générées par les MLP font qu'un éditeur paie entre trois et sept points de moins que pour Presstalis, et nous rémunérons deux points de plus les diffuseurs. Nous avons décidé, en effet, de ne pas facturer certains frais de livraison pour l'ensemble des diffuseurs parisiens.

Il est indispensable de faire sauter un certain nombre de verrous structurels. Dans le cas contraire, on continuera sur des pentes de régression de marché qui vont nuire au caractère pluriel de la presse française.

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