Intervention de Jacques Bichot

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 29 mai 2007 : 2ème réunion
Evolution du périmètre de la protection sociale — Audition de M. Jacques Bichot professeur à l'université jean moulin lyon iii

Jacques Bichot :

a tout d'abord souligné qu'il convient de distinguer les différents prélèvements obligatoires en fonction de la présence ou non de contrepartie et du risque de phénomène de passager clandestin qu'ils entraînent, c'est-à-dire l'apparition de services gratuits financés par tous. Certaines activités, notamment dans le domaine régalien de l'Etat, ne peuvent être financées que par des prélèvements obligatoires sans contrepartie. En revanche, dans le domaine de la protection sociale, qui s'apparente à une activité de prestation de service, il est préférable de choisir des prélèvements obligatoires avec contrepartie. Tel était d'ailleurs le choix opéré par les fondateurs de la sécurité sociale quand ils ont opté pour un financement par cotisations sociales. A l'heure actuelle, le financement de la protection sociale tend à s'éloigner de ce modèle, avec une forte progression du financement par prélèvements obligatoires sans contrepartie.

Les comptes publics constituent un ensemble complexe, en raison de la multiplicité des acteurs concernés et d'une organisation des relations financières entre ces acteurs, qui est source de confusion. Dans le domaine social, les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale ont été rendues particulièrement peu lisibles en raison des choix opérés en matière d'allégement de charges sociales. Par ailleurs, la multiplication des fonds a entraîné la mise en place d'une tuyauterie compliquée et changeante, qui ne facilite pas la reconstitution des comptes et leur suivi à moyen terme.

Abordant la question de la fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, M. Jacques Bichot a considéré que cette proposition s'inscrit dans la suite logique de la transformation du conseil des impôts en conseil des prélèvements obligatoires et relève de la même idée que la création d'un ministère des comptes publics. Il s'est déclaré défavorable à une telle fusion, estimant que celle-ci n'améliorerait pas la clarté des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale doit se concentrer sur les sujets relevant réellement de son périmètre afin d'enrayer sa tendance à se transformer en « projet de loi portant diverses mesures d'ordre social » et il faut laisser aux gestionnaires de la sécurité sociale le soin de prendre les mesures de gestion quotidiennes qui n'entrent pas dans le champ de compétences du Parlement.

S'agissant du rôle des partenaires sociaux, il a observé qu'ils assurent correctement leur mission, dès lors que l'on respecte leur rôle de gestionnaire. Ainsi, l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et l'association des régimes de retraite complémentaire (Arrco), qui sont gérées par les partenaires sociaux, réussissent à s'adapter progressivement à l'évolution de leurs charges, là où le régime général échoue en raison d'une intervention systématique de l'Etat. Il serait donc souhaitable d'accroître nettement le rôle des partenaires sociaux dans le régime général et d'éviter que l'Etat interfère dans la gestion de la sécurité sociale.

a estimé ambiguë la notion de droits acquis par le travail, lui préférant celle de droits acquis par les cotisations. La notion de droits acquis par le travail a souvent été mal comprise. En particulier aux Etats-Unis, en déconnectant les prestations servies des cotisations qui les financent, elle a entraîné des dettes sociales très importantes pour certaines entreprises du secteur automobile, qui ont reporté de façon dangereuse une partie de leurs charges dans le futur.

Il s'est dit favorable à un remplacement des cotisations patronales par des cotisations salariales, afin de clarifier le coût du travail pour les entreprises et de montrer que les cotisations sont effectivement supportées par le salarié.

S'agissant de la fonction publique, les charges de pension inscrites au budget d'une année donnée ont en réalité été créées lors d'exercices antérieurs. On impute donc à une mauvaise gestion de la dépense publique un phénomène qui relève en réalité d'une mauvaise gestion de la dette de l'Etat.

Le principe d'un financement par des cotisations salariales peut, à son sens, être conservé pour la plupart des risques, à l'exception des accidents du travail. Dans ce dernier domaine, il est normal que le financement du risque repose sur une cotisation de l'employeur, dans la mesure où c'est lui qui crée le risque pour ses salariés. Il a insisté sur le fait que la branche famille peut rester financée par des cotisations sociales, puisqu'elle finance des dépenses ayant un caractère d'investissement dans le capital humain pour les entreprises.

Il serait souhaitable de mettre fin à la progression de la part de l'impôt dans le financement de l'assurance maladie, sachant qu'un financement par cotisations sociales n'exclut pas la possibilité d'un régime de solidarité. Le régime actuel de la CMU de base en est un bon exemple, puisqu'il consiste à subventionner la cotisation de ceux qui ne peuvent la payer.

La TVA sociale ne constitue pas, à son avis, une ressource de financement réellement intéressante. Sa variante, consistant à moduler les cotisations sociales en fonction de la valeur ajoutée de l'entreprise, n'est pas plus opérationnelle. D'ailleurs, Maurice Lauré, inventeur de la TVA, n'était pas lui-même partisan d'une TVA sociale, puisqu'il avait démontré qu'un financement par cotisations sociales était le mode de financement de la protection sociale le plus compatible avec l'économie de marché.

s'est alors dit favorable à toute mesure permettant aux assurés de mieux percevoir le coût de la protection sociale. Il est nécessaire que chacun puisse expérimenter en pratique ce coût et telle est la raison pour laquelle un financement par cotisations salariales est préférable. Dans le même souci, on pourrait mettre fin au prélèvement à la source des cotisations salariales, afin que les assurés soient obligés de faire un acte positif pour s'acquitter de leurs cotisations. Une meilleure perception, par les assurés, du coût de la protection sociale devrait leur permettre d'influencer son évolution par leurs choix de consommation.

Il est souhaitable de préserver une distinction entre protection sociale et budget de l'Etat, qui pourrait continuer à reposer sur le critère assurance/assistance. Toutefois, la solidarité entre les assurés sociaux ne se limite pas à l'existence d'un régime non contributif, car elle s'opère également dans le cadre de la mutualisation qui préside au régime assurantiel.

a observé que les dépenses de solidarité représentent aujourd'hui entre 25 % et 30 % des dépenses de protection sociale, soit un montant total d'environ 130 milliards d'euros. Cette somme étant équivalente au produit actuel de la CSG et de l'impôt sur le revenu, on pourrait envisager de fusionner ces deux impôts afin d'en affecter le produit au financement de la protection sociale de solidarité.

La gestion de la dépense sociale ne peut être améliorée, à son sens, qu'en rapprochant les gestionnaires de la dépense. Telle est la raison pour laquelle les partenaires sociaux doivent rester les gestionnaires principaux de la sécurité sociale. D'ailleurs, dans certains domaines, les assurés sociaux pourraient eux-mêmes piloter la dépense : en matière de retraites, il serait possible de fixer simplement des règles de neutralité actuarielle permettant aux assurés de faire leur choix en toute connaissance de cause, au lieu d'intervenir sans cesse par des mesures législatives.

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