a rappelé qu'en matière d'indemnisation des accidentés du travail, la première loi, votée après une vingtaine d'années de débat parlementaire, remonte à 1898 pour répondre à l'insécurité sociale subie alors par les travailleurs, tant les conditions d'embauche et de travail étaient difficiles. D'autres lois ont suivi, dans le même objectif, jusqu'à la création de la sécurité sociale en 1946. Or, on constate désormais l'effritement du système social, qui explique le dépôt de cette proposition de loi par le groupe CRC-SPG. Son objectif est triple :
- d'une part, revenir sur la fiscalisation partielle des indemnités journalières versées en cas d'accident du travail qui vient d'être votée en loi de finances pour 2010 ;
- d'autre part, améliorer le montant des indemnisations servies dans cette hypothèse ;
- enfin, pour favoriser la prévention des accidents, soumettre à l'impôt sur les sociétés les cotisations patronales accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), qui en sont aujourd'hui exonérées.
La fiscalisation des indemnités journalières consiste à intégrer, dans le revenu imposable des personnes victimes d'un accident du travail, la moitié des sommes qui leur sont versées par la branche AT-MP de la sécurité sociale. Ces indemnités correspondent à 60 % du salaire journalier jusqu'au vingt-huitième jour de l'arrêt de travail et à 80 % au-delà ; leur versement s'interrompt dès lors que la victime est pleinement rétablie ou qu'une incapacité permanente est reconnue, ce qui entraîne le versement d'une rente. Pendant plusieurs années, la commission s'est opposée au principe de fiscalisation proposé, au cours des derniers débats budgétaires, par la commission des finances. Selon Mme Annie David, rapporteur, c'était avec raison et il faut regretter que le Sénat s'y soit finalement rallié en décembre dernier.
En effet, au-delà même de l'amputation de revenu qui en résulte pour les victimes, la fiscalisation marque une nouvelle étape dans la mutation du rapport au travail : elle accrédite l'idée que l'indemnité journalière est une mesure de maintien du revenu, et non l'indemnisation d'un préjudice. En témoigne le fait que les rentes et indemnités versées aux victimes de dommages autres que professionnels ne sont pas imposables en application de l'article 885 K du code général des impôts. En affirmant que les indemnités journalières, par opposition aux rentes, ne constituent pas une compensation mais un revenu, on affirme aussi que le risque fait partie du travail du salarié et qu'il doit l'assumer tant que le dommage causé n'est pas irrémédiable.
Qui plus est, cette évolution remet en cause le fondement même de la loi de 1898 qui, en remplaçant la notion de responsabilité par celle de risque, avait permis :
- aux salariés, de bénéficier d'une présomption d'imputabilité de l'accident au travail, ce qui leur évite d'avoir à faire la preuve de la responsabilité de l'employeur et permet une indemnisation rapide ;
- aux employeurs, de s'assurer collectivement contre le risque lié aux accidents et de verser des compensations d'un montant moins élevé : le préjudice subi est en effet réparé forfaitairement, et non pas intégralement comme c'est le cas lors d'une condamnation en responsabilité civile.
Or, s'il est logique que seul l'employeur cotise au régime AT-MP, puisque c'est lui qui fait assumer un risque au salarié, le fait de fiscaliser les indemnités journalières reporte une part du risque sur le salarié, en oubliant le lien de subordination qui le lie à son employeur.
Cette évolution n'est, à son sens, pas acceptable, dans la mesure où elle ne fait qu'accentuer l'érosion progressive des droits des salariés résultant de la mutation des modèles de production, qui conduit à faire peser sur les salariés la responsabilité de s'auto-organiser, et donc d'être adaptables, réactifs et disposés à prendre des risques. Cette incitation à la prise de risque, au moment où les formes collectives de travail les plus protectrices disparaissent, aboutit nécessairement à des accidents et à une augmentation du mal-être au travail. Ce faisant, on revient aussi sur l'inconditionnalité des droits sociaux, au profit d'une logique de contrepartie.
Pour ces motifs, la proposition de loi souhaite rétablir l'exonération fiscale des indemnités journalières, leur fiscalisation n'ayant d'ailleurs qu'un rendement attendu faible, soit 135 millions d'euros.
Au-delà de cette mesure, le texte propose aussi d'améliorer l'indemnisation des accidents du travail car, contrairement à une image trop souvent véhiculée par la presse, les victimes d'AT-MP sont moins bien indemnisées que les autres :
- tout d'abord, d'autres lois, et plus particulièrement celle du 5 juillet 1985 relative aux victimes d'accidents de la route, sont allées au bout de la logique assurantielle et ont prévu une réparation intégrale, et non pas forfaitaire, du préjudice. Ceci aboutit au paradoxe qu'un accident de trajet domicile-travail sera indemnisé forfaitairement et qu'un accident de la route le sera intégralement, alors que les préjudices peuvent être les mêmes ;
- par ailleurs, les critères de mise en cause de la responsabilité civile ont été progressivement assouplis. A la suite du drame de l'amiante, la Cour de cassation a jugé, en 2002, que l'employeur a « une obligation de sécurité de résultat » et que le manquement à cette obligation présente le caractère d'une faute inexcusable. Dès lors, une réparation intégrale est possible pour la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle à condition de se tourner vers les tribunaux pour engager la responsabilité civile de l'employeur.
L'intérêt du régime des AT-MP s'en trouve nécessairement amoindri et la cohérence, autant que la justice, voudrait que l'on abandonne l'indemnisation forfaitaire pour passer à une indemnisation intégrale du préjudice. De nombreux rapports ont été écrits sur cette question depuis 1991 mais les partenaires sociaux n'ont pas retenu l'indemnisation intégrale pour des raisons de coût. La proposition de loi soutient donc le choix politique d'établir la réparation intégrale du préjudice, dès le stade des indemnités journalières.
a ensuite indiqué que son rapport écrit distinguera clairement sa position et celle de la commission dans l'hypothèse où, en vertu de l'accord politique conclu entre les présidents de groupe, la commission déciderait de ne pas adopter de texte afin que le débat s'ouvre, en séance publique, sur la version initiale de la proposition de loi.
Elle a ensuite détaillé le contenu des sept articles :
- l'article 1er propose de supprimer la fiscalisation des indemnités journalière telle que prévue par l'article 85 de la loi de finances pour 2010 ;
- l'article 2 pose le principe de la réparation intégrale du préjudice subi au titre d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ;
- l'article 3 précise les différents types de préjudices indemnisés par le régime AT-MP afin d'aboutir à une compensation intégrale, y compris le préjudice moral subi par la famille. Le coût de cette mesure a été évalué par le rapport Laroque de 2004 à 3 milliards d'euros. Ce coût peut paraître important, rapporté au budget de la branche AT-MP -environ 10 milliards dont 7,3 milliards de prestations directes- mais il faut rappeler qu'aujourd'hui les différents préjudices, et singulièrement ceux liés au recours à l'aide d'une tierce personne ou aux aménagements résultant d'une incapacité permanente, sont supportés par les départements au titre des prestations compensatrices du handicap. Or, il n'est pas légitime que la collectivité nationale assume des charges qui relèveraient, dans le cadre d'un contentieux de la responsabilité civile, de l'employeur ;
- l'article 4 prévoit que le calcul des rentes se fera à partir du taux réel d'incapacité. Il supprime donc, d'une part, la référence actuelle au taux minimal d'incapacité de 10 %, au-dessous duquel aucune rente n'est due, d'autre part, la possibilité pour la caisse de moduler la rente. Dès lors, toute incapacité permanente ou cumul d'incapacités permanentes ouvriraient droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité. Le coût de cette mesure est estimé à 2,98 milliards d'euros, dont 2,2 milliards résultant de la suppression de la possibilité de moduler le taux de la rente en fonction de la gravité de l'incapacité ;
- l'article 5 fixe le montant de l'indemnité journalière au niveau du salaire net perçu, et non plus à 60 % ou 80 % du salaire journalier de base. Le coût de cette disposition est estimé à 160 millions d'euros ;
- l'article 6 tend à réintégrer, dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés, les 10 milliards d'euros de cotisations versés au titre du régime AT-MP et qui sont, pour l'instant, exclus de l'assiette de l'impôt. Ceci aurait pour vertu d'augmenter les recettes de l'Etat et donc de participer à la compensation des sommes déjà versées par les départements en raison de la non-compensation intégrale du préjudice par le régime AT-MP. Par ailleurs, cette mesure serait de nature à renforcer l'incitation, pour les entreprises, à adopter des mesures de prévention. Elle est susceptible de rapporter au budget de l'Etat jusqu'à 2 milliards d'euros par an ;
- enfin, l'article 7 gage les conséquences financières liées à la proposition de loi par un accroissement de la taxation sur les revenus du capital qui bénéficient d'une fiscalité allégée.