Intervention de Alain Grimfeld

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 février 2010 : 1ère réunion
Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé — Audition de M. Alain Grimfeld président

Alain Grimfeld, président du CCNE :

A titre liminaire, M. Alain Grimfeld, président du CCNE, a souhaité évoquer l'organisation du comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

Celle-ci tend à assurer que la pluralité du comité ne se limite pas à une simple pluridisciplinarité mais permet une interdisciplinarité grâce à laquelle des personnes venant d'horizons très divers peuvent avoir un langage commun et faire progresser ensemble la réflexion éthique.

Elle résulte des textes constitutifs du CCNE et de son règlement intérieur et comporte, outre la formation plénière du comité, une section technique et des groupes de travail qui peuvent être organisés en fonction des sujets étudiés.

Le CCNE peut être saisi par une grande variété d'autorités et d'établissements publics ainsi que par des organismes de recherche. Il peut aussi se saisir de questions posées par d'autres personnes ou par certains de ses membres, si ces demandes citoyennes ou « proactives » portent sur des sujets qui lui semblent pertinents.

Lorsqu'un groupe de travail a été constitué sur un dossier et l'a étudié, une navette s'organise entre ce groupe et la section technique qui, lorsqu'elle estime que le résultat de la réflexion ainsi menée est suffisamment mature, le transmet au comité plénier qui délibère sur l'avis et sa publication.

La publication d'un avis donne désormais systématiquement lieu à une conférence de presse afin de concourir à la réalisation de l'objectif, essentiel pour le CCNE, d'associer les citoyens à sa réflexion de manière pérenne et non occasionnelle : il ne paraît en effet plus possible de se contenter d'alerter les citoyens et de solliciter leur réflexion sur des sujets éthiques de manière impromptue ou épisodique.

Depuis sa création en 1983, le CCNE a publié cent huit avis, ce qui correspond à un rythme moyen annuel de publication nettement plus élevé que celui des organismes analogues existant dans d'autres pays de référence, tels l'Allemagne ou le Royaume-Uni. En 2008, en dépit des retards qui ont affecté, pour des raisons d'ordre conjoncturel, la nomination de son président et celle d'une partie de ses membres, le comité a publié deux avis.

Le premier portait sur le dossier médical personnel (DMP), sur la saisine de la ministre chargée de la santé qui avait interrogé le comité sur les mesures concrètes susceptibles de concilier la nécessité de l'accès des acteurs de soins aux données consignées dans le DMP avec le droit du patient de contrôler la diffusion de ces données. Dès lors que ce dossier mettait en cause des principes fondamentaux et que la réflexion éthique correspond à « un exercice de morale active », l'avis rendu par le CCNE a privilégié le volontariat des personnes auxquelles serait proposé le DMP, qui devraient prioritairement être des patients atteints de maladies chroniques et donc susceptibles d'en tirer bénéfice au niveau du suivi et de la prise en charge de leur affection.

Le second avis, rendu sur saisine du Premier ministre, portait sur les questions méritant d'être débattues lors des Etats généraux de la bioéthique. Cet avis constituait aussi, pour le CCNE, une feuille de route en vue de sa propre participation aux discussions sur le réexamen des lois de bioéthique et il a suscité certaines autosaisines du comité sur des sujets actuellement en cours d'étude ou qui seront étudiés pendant le premier semestre de cette année.

Le comité a par ailleurs organisé en 2008, comme chaque année, des « Journées annuelles de la bioéthique » qui se sont tenues les 25 et 26 novembre : ces journées ont pour objet de faire participer le public à des débats et de le solliciter sur les thèmes abordés par le CCNE pendant l'année écoulée ; elles intègrent l'intervention de jeunes, en particulier de lycéens issus de différents établissements.

Au niveau international, le CCNE a organisé en 2008, en coopération avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le sommet mondial des comités d'éthique nationaux, tenu en septembre et, en novembre, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le sommet européen des comités d'éthique.

En 2008, le CCNE a ainsi engagé une politique d'ouverture, tant au niveau national vers les régions, en suscitant notamment avec elles le débat public, qu'au niveau international en direction des pays désireux de développer ou d'enrichir un dialogue Nord-Sud en bioéthique, en collaboration avec l'OMS et en liaison avec l'Unesco.

En 2009, l'activité du CCNE a été dominée, sur le plan national, par la constitution des groupes de travail destinés à prendre en charge la réflexion sur les sujets entrant dans le cadre de la révision de la loi bioéthique de 2004.

Le comité a cependant aussi tenu compte, très logiquement, de l'actualité brûlante que constituait la pandémie grippale et il a réfléchi sur la mise en place technique des moyens de prévention et sur les moyens d'assurer la protection de certaines populations, notamment les personnes vulnérables.

En ce qui concerne les thèmes abordés dans le cadre de la révision de la loi bioéthique, M. Alain Grimfeld a d'abord observé que les techniques d'assistance médicale à la procréation apportent désormais, dans les pays avancés, une contribution au maintien du développement « normal » de l'espèce, en palliant notamment les conséquences de l'infertilité et en évitant la constitution ou la transmission d'affections évitables. Bien entendu, la notion de développement normal ne fait nullement référence à une démarche normative relative à la détermination d'un taux de naissances adapté à des impératifs démographiques ou à leurs corollaires économiques, ni à la naissance d'êtres répondant à des « modèles étalons », ce qui va de soi dans un pays d'ancienne tradition démocratique et républicaine.

L'avis du CCNE sur le diagnostic anténatal mérite qu'on s'arrête sur un point très débattu : la position prise par le comité en faveur de l'autorisation de recherche d'une trisomie 21 à l'occasion d'un diagnostic préimplantatoire (DPI). Cette position se fonde évidemment non sur un souci d'eugénisme mais sur celui d'éviter le sentiment de « pretium doloris » de la mère, en cas de détection tardive de cette anomalie, qui la confronterait au choix douloureux d'une interruption médicale de grossesse.

On doit aussi évoquer l'avis rendu par le comité, saisi par le député Jean Leonetti, sur la question du développement et du financement des soins palliatifs. Cette question mettait en regard le problème de la limitation des moyens financiers disponibles et celui de l'absolue nécessité de prendre en charge les personnes en fin de vie. Les progrès de la médecine ont prolongé à la fois l'espérance de vie et l'espérance de vie en bonne santé : il paraît donc légitime de souhaiter également bénéficier d'aides permettant d'affronter dans les meilleures conditions possibles la fin de vie. La conclusion du CCNE sur cette question, qui ne peut, comme toutes celles concernant la réflexion éthique, qu'être provisoire et se présenter comme un questionnement, rejoint son souci de solliciter la réflexion citoyenne et collective. Le comité a considéré, en effet, qu'en l'état actuel, la question posée n'est pas uniquement financière : elle met aussi en évidence la nécessité d'interroger les citoyens sur l'accompagnement des personnes en fin de vie. Le progrès technologique peut ainsi ramener vers l'humanisme car on ne peut se contenter de mettre en place des moyens : il faut également assurer, dans le cadre des soins palliatifs, un véritable accompagnement des personnes en fin de vie - aux niveaux de l'entourage familial, amical, social et sociétal.

a souligné le souhait très vif de la jeunesse de participer au débat éthique, qui s'est manifesté à nouveau en 2009 lors des journées annuelles d'éthique, ainsi que la pertinence et la maturité des interventions des lycéens qui ont pris part à ces journées. Ceux-ci demandent d'ailleurs à contribuer de façon continue à ce débat et il est nécessaire d'entretenir avec eux une réflexion éthique commune, par exemple dans le cadre des espaces de réflexion éthique régionaux.

Sur le plan international, le comité a participé en 2009 au forum européen, qui s'est réuni en mars à Prague et en septembre à Stockholm, et à la réunion trilatérale entre l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France, organisée en décembre à Berlin.

Les perspectives du CCNE en 2010 intègrent, sur le plan national, les travaux des groupes de travail mis en place sur les thèmes liés à la révision de la loi bioéthique : la recherche sur l'embryon in vitro, la gestation pour autrui, l'assistance médicale à la procréation post-mortem, le don d'organes et la communication scientifique. Ce dernier thème est majeur : il existe en effet actuellement une suspicion du public vis-à-vis d'un discours scientifique qui lui donne l'impression que l'on décide à sa place, que lorsque des progrès ont été réalisés leur application est possible, et que ce qui est possible est « autorisable ». Mais ce qui est possible n'est pas toujours autorisable, loin s'en faut, notamment dans le domaine de l'évolution de l'espèce humaine. Vouloir associer les citoyens au débat éthique ne relève donc pas de la démagogie, mais au contraire du réalisme.

Le CCNE envisage aussi de nouvelles autosaisines, qui pourraient notamment concerner les progrès des neurosciences et de l'imagerie cérébrale fonctionnelle susceptibles de permettre de déterminer les possibilités de développement de certaines manifestations neuropsychiatriques ou de certains comportements, progrès qui posent par conséquent des problèmes éthiques absolument majeurs. Il faut aussi développer la réflexion sur les relations entre bioéthique et biodiversité. On ne peut en effet se limiter à une conception réductrice de la bioéthique et il faut considérer l'espèce humaine à l'intérieur et dans l'ensemble du vivant. Certes, il ne s'agit pas de privilégier l'éco-centrisme ou le bio-centrisme aux dépens de l'anthropocentrisme, mais on ne peut plus considérer isolément de l'ensemble du vivant le développement de l'espèce humaine - éventuellement modifiée par les technologies mises au service de sa reproduction.

En troisième lieu, le CCNE entend aussi développer des relations partenaires avec d'autres instances, parmi lesquelles, par exemple, l'agence de biomédecine, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde), la Haute Autorité de santé (HAS), la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (Mildt), le conseil national de l'ordre des médecins ou le Médiateur de la République, afin de mettre en place des mécanismes d'alerte et d'information réciproque sur les préoccupations et les travaux des uns et des autres.

a ensuite évoqué la mise en oeuvre de projets citoyens. Rappelant qu'il avait eu l'honneur de présider des groupes de travail dans le cadre du Grenelle de l'environnement, il a indiqué avoir, à cette occasion, interrogé les élus sur leur éventuel intérêt pour l'organisation de débats de réflexion auxquels participeraient leurs administrés. Leurs réponses ont été unanimement positives : l'exemple de la petite commune où il réside témoigne de l'importante participation de la population, en particulier celle des jeunes, aux réunions organisées par le maire sur les rapports entre santé et environnement. Il n'est bien sûr pas question d'imposer de tels débats dans les 36 000 communes, mais les espaces de réflexion éthique régionaux prévus par les textes relatifs aux CCNE pourraient être sollicités à ce sujet. L'organisation de ces espaces doit être prochainement précisée par un texte réglementaire et ils pourront devenir les maillons constituant, avec le comité national, un réseau de bioéthique.

Enfin, au niveau international, le CCNE participera, en 2010, au sommet européen qui se tiendra en mars à Madrid, au huitième sommet mondial des comités nationaux d'éthique, qui aura lieu à Singapour au mois de juillet, et il organisera à Paris, en décembre, le prochain séminaire trilatéral réunissant les comités d'éthique allemand, anglais et français.

Un débat a suivi.

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