Intervention de Antoine Lefèvre

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 29 novembre 2011 : 1ère réunion
Contrôle des armes moderne simplifié et préventif — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre, rapporteur :

Nous allons examiner la proposition de loi relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif, déposée à l'Assemblée nationale le 30 juillet 2010 par MM. Claude Bodin, Bruno Le Roux et Jean-Luc Warsmann, ainsi que les propositions de loi de MM. Courtois et Poniatowski, déposée le 23 mars 2011, et celle de M. César, déposée le 5 juillet 2011.

Le texte de l'Assemblée nationale résulte des travaux menés par une mission d'information sur les violences par armes à feu, présidée par M. Le Roux et dont le rapporteur était M. Bodin. Le rapport de la mission a été adopté le 22 juin 2010 par la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Le tableau des armes à feu dressé par ce rapport n'est pas des plus inquiétants. La mission a ainsi constaté qu'il n'y avait pas d'augmentation sensible du nombre d'armes à feu dans les quartiers dits « sensibles », bien qu'elles soient peut-être davantage mutualisées qu'avant. Elle estime également qu'Internet ne constitue pas une nouvelle source significative d'approvisionnement en armes à feu. En outre, les principaux détenteurs légaux d'armes à feu que sont les chasseurs et les tireurs sportifs font preuve d'un esprit de responsabilité et leurs activités sont bien encadrées par les fédérations de chasse ou les fédérations sportives auxquelles ils adhèrent.

En revanche, la mission d'information a jugé assez sévèrement les dispositions législatives et réglementaires actuelles en pointant leur manque d'intelligibilité et des difficultés d'application croissantes pour les forces de l'ordre et les préfectures, qui doivent déployer des connaissances pointues pour parvenir à classer les armes dans l'une ou l'autre des catégories actuelles. Les utilisateurs d'armes, quant à eux, seraient dans l'incapacité de saisir la logique d'ensemble du classement.

Cette situation résulte du caractère stratifié des dispositions relatives à la classification, à l'acquisition et à la détention des armes, qui résultent d'un décret-loi du 18 avril 1939 et constituent encore aujourd'hui l'essentiel de la réglementation applicable aux armes à feu. Ces dispositions ont été progressivement intégrées dans d'autres textes, ce qui a eu pour effet de complexifier la réglementation. L'ordonnancement des principales règles énoncées par le décret-loi de 1939 se retrouve dans l'actuel titre II de la partie 2 législative du code de la défense qui prévoit les règles relatives à la fabrication et au commerce des armes, aux importations et aux exportations, aux conditions d'acquisition et de détention, de conservation, de perte et de transfert de propriété, de port, de transport et d'usage. Les dispositions réglementaires du contrôle des armes à feu figurent quant à elles en grande partie dans le décret du 6 mai 1995, qui établit le classement des armes dans les huit catégories fixées par le législateur.

Or, les armes sont classées en fonction tantôt de leur nature (armes blanches), tantôt de leur destination (armes de guerre, armes de chasse). Du fait du choix de ces critères, qui ne sont pas corrélés à un degré de dangerosité, une même catégorie pourra comprendre des armes soumises à plusieurs régimes juridiques différents, puisque ceux-ci se veulent fonction de la dangerosité. Ainsi, la 1ère catégorie comprend des armes de guerre en principe interdites, mais dont certaines peuvent être détenues par les tireurs sportifs sous un régime d'autorisation. Il en est de même des armes de la 4ème catégorie, armes à feu dites de défense et leurs munitions. En ce qui concerne les matériels de catégorie 2 et 3 - véhicules de guerre et équipements de protection contre les armes de combat-, ils sont interdits mais peuvent être collectionnés sous certaines conditions. Enfin, les armes des catégories 5 - armes de chasse - et 7 - tirs et foires - sont tantôt soumises au régime de déclaration, tantôt en détention libre.

Les critères de classement retenus par le pouvoir réglementaire pour placer chaque type d'arme dans tel ou tel régime juridique des diverses catégories sont multiples. Il peut s'agir de données concrètes et mesurables comme le calibre, la longueur totale, la longueur du canon, la capacité du magasin ou du chargeur, le millésime du modèle et de la fabrication, mais aussi de données plus abstraites telles que la convertibilité en arme de poing ou la dangerosité.

La grande précision dans l'énumération des matériels aboutit à un classement des plus complexes. En outre, il n'échappe pas à une multiplication des sous-catégories et des dérogations.

Forts de ce constat, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité tout d'abord simplifier la classification des armes à feu. Ils proposent ainsi de créer quatre catégories (A, B, C, D) au lieu des huit actuelles. En outre, alors que le classement en vigueur repose sur les caractéristiques techniques des armes, le nouveau classement repose directement sur une gradation des régimes juridiques auxquels elles sont soumises : interdiction, autorisation, déclaration, enregistrement ou liberté.

L'Assemblée nationale a toutefois intégré un amendement du Gouvernement divisant à nouveau la catégorie A en deux sous-catégories pour les armes de guerre (A1) et les matériels de guerre (A2). En effet, il est indispensable de garder cette distinction du code de la défense, en particulier au regard des règles du commerce des armes dans l'Union européenne, issues d'une directive transposée par la loi du 22 juin 2011.

Rappelons aussi que la catégorie A ne peut être dite « interdite » de manière absolue puisque l'Etat, ou même les tireurs sportifs, peuvent détenir les armes et matériels qu'elle comprend et que le commerce de ces armes est réglementé mais pas interdit.

La rédaction proposée par le Gouvernement préserve enfin une certaine souplesse en prévoyant que des armes qui ne sont pas des armes de guerre mais qui présentent une même dangerosité pourront figurer dans la même catégorie. En outre, la mention « à feu » a également été supprimée afin de ne pas préjuger de la dangerosité des armes selon leur nature.

Les nouvelles catégories se voient assigner par l'article 3 un régime juridique spécifique : l'interdiction sauf exception pour les catégories A1 et A2, l'autorisation pour la B, la déclaration pour la C et la liberté pour la D. Certaines armes de cette dernière catégorie pourront toutefois être soumis à des formalités légères tel qu'un enregistrement, afin d'en assurer la traçabilité. En outre, l'acquisition des armes soumises à autorisation ou à déclaration supposera l'absence d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire de certaines condamnations dont je vous proposerai de modifier la liste.

Le classement des armes dans les nouvelles catégories reviendra au pouvoir réglementaire. L'administration ne pourra donc faire l'économie d'un toilettage complet de l'inventaire actuel. Selon l'article 1er, les armes devront être classées en fonction de leur dangerosité, elle-même appréciée selon des critères que nous évoquerons plus précisément lors de l'examen d'un amendement du Gouvernement.

En second lieu, la proposition de loi modifie le régime des armes et des matériels de collection. L'article 2 facilite ainsi l'activité des collectionneurs en fixant à 1900, au lieu de 1870 ou 1892, la date avant laquelle les armes sont considérées, sauf dangerosité particulière, comme inoffensives et pouvant donc être détenues librement. Toutefois, les reproductions d'armes inventées entre 1870 et 1900 devront être neutralisées, la date de 1870 correspondant au passage de la poudre noire aux munitions à étui métallique. En outre, l'Assemblée nationale a décidé d'inclure les matériels dont le modèle est antérieur au 1er janvier 1946 dans la liste des armes historiques et de collection, afin de favoriser la conservation et la mise en valeur d'un patrimoine national remarquable. Ces matériels devront toutefois avoir été neutralisés. Ce nouveau régime de la collection paraît trouver un juste équilibre entre la sécurité publique, la liberté des collectionneurs et les impératifs de sauvegarde de notre patrimoine.

En revanche, je suis plus réservé sur l'article 8 qui tend à créer un statut du collectionneur d'armes. La possibilité d'accéder à ce statut via un agrément serait subordonnée soit à l'exposition de collections dans des musées ouverts au public, soit à la volonté de contribuer à la conservation, à la connaissance ou à l'étude des matériels et des armes. S'il permettrait de faciliter la vie des véritables collectionneurs, souvent confrontés à des tracasseries administratives, un tel statut présenterait l'inconvénient d'ouvrir le droit de détenir des armes pour un motif autre que ceux, traditionnels, de la chasse et du tir sportif. Ce faisant, il risquerait de constituer une voie privilégiée d'accès aux armes pour les personnes ayant pour seul but de détenir des armes sans motif véritablement légitime. Un amendement de suppression du Gouvernement nous donnera l'occasion d'ouvrir la discussion.

En troisième lieu, les auteurs de la proposition de loi entendaient améliorer la connaissance et le suivi des armes par l'instauration d'une « carte grise » pour chaque arme à feu, qui aurait mentionné, outre la catégorie, le nom du détenteur et un numéro d'immatriculation unique. Au moment où la proposition de loi a été déposée, en juillet 2010, le fichier des propriétaires et possesseurs d'armes, dit Agrippa, ne fonctionnait pas de manière satisfaisante. Quant au fichier des interdits d'acquisition et de détention d'armes, le Finiada, bien que prévu par l'article L. 2336-6 du code de la défense, il n'avait pas été créé.

Depuis cette date, le Finiada a été mis en service et l'efficacité du fichier Agrippa s'est nettement améliorée. La possibilité de se connecter par Internet avec le Finiada a en outre été ouverte aux armuriers et aux fédérations de chasse.

Ces progrès récents m'ont amené à approuver la décision de l'Assemblée nationale de supprimer l'article 4 créant la carte grise des armes. Toutefois, je demanderai au Gouvernement de confirmer que les fichiers Agrippa et Finiada sont pleinement opérationnels.

La proposition de loi comprend une longue série d'articles destinés à rendre obligatoire, sauf décision spécialement motivée de la juridiction, le prononcé des peines complémentaires d'interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation, de détenir un permis de chasser ou encore la peine de confiscation des armes détenues par l'intéressé. Il s'agit d'inciter les juridictions à prononcer une sanction souvent méconnue, mais qui peut s'avérer particulièrement pertinente lorsque la personne condamnée a commis certains crimes ou délits dénotant un comportement manifestement incompatible avec la détention d'une arme.

A l'exception de l'article 24, ces articles ne créent aucune peine nouvelle : ils ne font que rendre obligatoire le prononcé de peines complémentaires d'ores et déjà prévues et susceptibles d'être prononcées par la juridiction lorsque cette dernière l'estime utile.

En outre, le dispositif prévu par ces articles paraît compatible avec les principes qui fondent notre droit pénal. En effet, le Conseil constitutionnel a, à deux reprises, admis la constitutionnalité de dispositions encadrant le pouvoir d'appréciation du juge dans la détermination des peines : une première fois lors de la création de peines planchers, une seconde fois lors de la création d'une peine de confiscation obligatoire du véhicule pour un certain nombre d'infractions par la Loppsi II, dès lors que la juridiction conserve la possibilité de ne pas prononcer la peine en raison des circonstances de l'espèce.

En outre, les peines complémentaires relatives aux armes à feu sont d'une nature particulière, différente des autres peines complémentaires telles que l'interdiction des droits civiques ou la peine de confiscation par exemple : en effet, il n'existe pas en France de droit absolu à détenir une arme à feu. En raison de leur dangerosité, la détention et l'utilisation des armes sont soumises à un encadrement strict dans lequel prédomine un impératif de sécurité publique. A cet égard, il ne me paraît pas choquant de priver du droit d'utiliser une arme une personne qui a commis une infraction d'atteinte volontaire aux personnes ou aux biens, ce type de comportement pouvant légitimement être considéré comme incompatible avec la détention et l'usage d'une arme.

Au demeurant, les articles 10 à 24 préservent le pouvoir d'appréciation des juridictions. Je vous propose donc de retenir ce dispositif, tout en lui apportant quelques modifications, comme de supprimer les dispositions prévoyant le caractère obligatoire des peines complémentaires pour des infractions ne manifestant pas nécessairement un comportement incompatible avec la détention et l'usage d'une arme à feu. Il conviendra en revanche de les étendre à des infractions pour lesquelles ce dispositif se justifie, notamment en cas d'attroupement armé ou d'introduction d'armes dans un établissement scolaire. Enfin, je vous soumettrai des amendements pour réaffirmer l'entier pouvoir d'appréciation de la juridiction quant à la durée de la peine.

La proposition de loi comporte également des dispositions harmonisant ou renforçant les peines prévues dans le code de la défense pour les infractions à la réglementation sur les armes. Vous ne serez saisis que de quelques modifications rédactionnelles. Elle prévoit enfin un régime transitoire pour les armes dont le régime de détention sera modifié du fait de l'application de la nouvelle classification. Alors que la proposition de loi d'origine était très favorable à la préservation des droits acquis des détenteurs, l'Assemblée nationale, suivant une recommandation du Conseil d'Etat, a prévu un régime plus équilibré. Ainsi, les autorisations accordées seront maintenues jusqu'à leur expiration. Par ailleurs, les déclarations devront être déposées et les demandes d'autorisation formulées auprès des préfectures à la prochaine cession de l'arme concernée. Enfin, les armes qui passeraient en catégorie A1 devraient être remises à l'Etat, sauf autorisation spéciale dont les modalités seront fixées par un décret en Conseil d'Etat.

Afin de coordonner certaines dispositions de la proposition de loi, qui entreront en vigueur dans un délai de dix-huit mois, avec celles de la loi du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre, divers amendements devront être adoptés.

La proposition de loi de MM. Courtois et Poniatowski et celle de M. César comportent de nombreuses dispositions communes avec celle qui nous vient de l'Assemblée nationale. En ce qui concerne l'article 1er, la proposition de loi de MM. Poniatowski et Courtois trouve un écho dans un amendement du Gouvernement. La proposition de loi de M. César évoque plus particulièrement les droits des collectionneurs, question que j'ai déjà évoquée. Ce texte constitue une avancée importante dans ce domaine, même si la question du statut du collectionneur reste pendante. En revanche, les deux propositions de loi évoquent également la question du port d'armes, en proposant d'en alléger l'encadrement pour les chasseurs. Cette question concerne un sujet quelque peu différent de celui traité par la proposition de loi de l'Assemblée nationale, qui est l'encadrement de l'acquisition et de la détention des armes. Il convient d'y réfléchir de manière plus approfondie avant de proposer d'éventuelles modifications.

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