Intervention de Josselin de Rohan

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 avril 2011 : 1ère réunion
Protocole annexé aux traités sur l'union européenne sur le fonctionnement de l'union européenne et instituant la communauté européenne de l'énergie atomique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président :

en remplacement de M. Robert del Picchia, rapporteur - Nous sommes appelés à nous prononcer, après son adoption par l'Assemblée nationale, sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole modifiant le protocole sur les dispositions transitoires annexé au traité de Lisbonne, visant à modifier la composition du Parlement européen et qui prévoit notamment d'accorder deux députés européens supplémentaires à la France.

Ce projet de loi autorisant la ratification d'une convention internationale s'accompagne d'un projet de loi « classique », relatif au mode de désignation de ces deux députés européens supplémentaires, qui contient également des dispositions relatives à la participation des Français établis hors de France aux élections européennes, et qui a été renvoyé à la commission des Lois.

Je concentrerai mon propos sur le premier texte, qui seul nous intéresse ici, même si ces deux projets de loi feront l'objet d'une discussion commune en séance publique, et si notre rapporteur, Robert del Picchia, intervient en séance, en sa qualité de sénateur des Français établis hors de France, sur la participation des Français de l'étranger aux élections européennes, sur laquelle il a déposé plusieurs propositions de loi.

Avant de vous présenter les dispositions de ce protocole, je voudrais revenir brièvement sur l'historique de son élaboration.

Depuis son élection au suffrage universel direct en 1979, les pouvoirs du Parlement européen, à l'origine simple assemblée consultative, ont beaucoup augmenté.

« Le vrai gagnant de la Convention sur l'avenir de l'Europe, c'est le Parlement européen » aurait dit le Président Valéry Giscard d'Estaing.

Avec le Traité de Lisbonne, le Parlement européen a vu ses pouvoirs considérablement renforcés, aussi bien en matière législative, avec la généralisation de la procédure de co-décision, qu'en matière budgétaire, avec la suppression de la distinction entre dépenses obligatoires et non obligatoires. Aujourd'hui, le Parlement européen tend à affirmer ses prérogatives, y compris sur des matières qui demeurent du domaine intergouvernemental, comme la politique étrangère et la défense.

Or, malgré l'augmentation continue de ses pouvoirs, la légitimité démocratique du Parlement européen n'a cessé de se réduire, comme en témoigne la baisse continue du taux de participation aux élections européennes. En France, le taux de participation est tombé de 60 % en 1979 à 40 % en 2009 et la même tendance se retrouve à l'échelle européenne.

Par ailleurs, depuis l'origine, la composition du Parlement européen est fondée sur la règle de la dégressivité proportionnelle, qui assure une « surreprésentation » des « petits » pays par rapport aux « grands ». D'après ce principe, plus un pays est peuplé, plus le nombre d'habitants que chacun de ses députés européens représente est élevé. Ainsi, un député européen luxembourgeois représente environ 80 000 habitants, tandis qu'un député européen allemand en représente 830 000.

Enfin, s'il existe certaines règles communes, comme la proportionnelle, le mode de scrutin n'est pas uniforme.

Le Traité de Lisbonne fixe le nombre maximal de députés européens à 750 plus le président (soit 751). Le nombre maximal de députés européens avait été fixé à 732 par le traité de Nice. Le traité de Lisbonne prévoit également un seuil minimal de six députés européens et un seuil maximal de 96 députés par Etat membre. En revanche, à la différence des traités antérieurs, le traité de Lisbonne ne détermine pas lui-même le nombre de députés européens par Etat membre. En effet, le traité de Lisbonne renvoie sur ce point à une décision du Conseil européen, adoptée à l'unanimité, sur proposition du Parlement européen et après son approbation.

L'article 2 du protocole sur les dispositions transitoires annexé au traité de Lisbonne prévoit ainsi qu' « en temps utile avant les élections européennes de 2009, le Conseil européen adopte (...) une décision fixant la composition du Parlement européen ». Seule institution européenne élue au suffrage universel direct, le Parlement européen se voit ainsi reconnaître un rôle de premier plan pour déterminer sa composition interne.

Cette solution présente aussi l'avantage d'éviter que chaque nouvel élargissement rende nécessaire une révision des traités imposant, outre l'unanimité au Conseil, une ratification unanime des Etats membres.

En juin 2007, le Conseil européen a donc invité le Parlement européen à présenter lui-même un projet concernant sa future composition en précisant que cette répartition devait respecter le principe de la proportionnalité dégressive.

Les deux rapporteurs désignés par le Parlement européen, le français Alain Lamassoure pour le PPE et le roumain Adrian Severin pour le PSE, ont présenté un rapport qui a donné lieu à une résolution adoptée le 12 octobre 2007. La résolution du Parlement européen respecte les conditions fixées par le traité : seuil minimal de 6 députés européens pour Malte (contre 5) et seuil maximal de 96 députés européens pour l'Allemagne (contre 99). Elle respecte aussi le principe de « proportionnalité dégressive », qui assure une surreprésentation des « petits pays » par rapport aux « grands ».

En effet, c'est la contrepartie exigée des « petits pays » à la réforme de la règle de la majorité qualifiée au Conseil, et à l'introduction, à partir de 2014, de la règle de la « double majorité » (55 % des États représentant au moins 65 % de la population), qui avantage les pays les plus peuplés. Le Parlement européen a choisi d'utiliser pleinement le chiffre plafond de 750 députés européens en le répartissant entièrement entre les 27 pays membres, sans tenir compte d'éventuels élargissements, considérant qu'un dépassement temporaire, déjà utilisé pour les élargissements précédents, sera toujours possible.

De plus, le Parlement européen a jugé préférable, non pas de « remettre à plat » toute la distribution des sièges, mais d'utiliser la « marge » existante entre le chiffre prévu par le traité de Nice (732) et le nouveau plafond de 750 pour répartir ces sièges supplémentaires aux Etats les moins bien dotés. Ainsi, selon la résolution, L'Espagne aurait quatre sièges supplémentaires, la France, la Suède et l'Autriche 2 sièges chacun, et le Royaume-Uni, la Pologne, les Pays-Bas, la Bulgarie, la Lettonie, la Slovénie et Malte un siège.

La France aurait donc 74 députés européens, contre 72 actuellement. Ce système a le mérite de la simplicité mais il aboutit à une différence de traitement entre les Etats membres. Ainsi, même si l'Allemagne perd trois députés européens en raison du plafond, le nombre de députés européens dont elle bénéficie (96) reste encore très favorable. D'un point de vue strictement arithmétique, la France compte par exemple 19,2 millions d'habitants de plus que l'Espagne et se voit accorder 20 députés européens supplémentaires, alors que l'Allemagne compte 19,5 millions d'habitants de plus que la France mais se voit accorder 22 députés européens supplémentaires. Pour les petits pays, on constate que l'Estonie, qui compte 1,3 million d'habitants, dispose de 6 députés européens, comme Malte, qui compte moins de 400 000 habitants.

En outre, la résolution s'appuie sur les statistiques d'Eurostat pour définir la population de chaque Etat membre. Or, la population résidant sur le territoire de chaque Etat ne correspond pas directement au nombre de citoyens européens. Ainsi, plusieurs millions de Polonais vivant en Irlande ou au Royaume-Uni sont comptabilisés dans la population de la Pologne et non dans celle de leur pays de résidence où ils disposent pourtant du droit de vote.

Le Parlement européen a donc préféré une approche pragmatique plutôt qu'un modèle mathématique. Comme l'a fait valoir notre compatriote Alain Lamassoure, il n'était pas possible, dans le temps imparti, de construire un système idéal et définitif. Dans son article 3, la résolution précise qu'en tout état de cause la décision sur la composition du Parlement européen sera révisée « suffisamment longtemps avant le début de la législature 2014-2019 ». La Conférence intergouvernementale qui a adopté le Traité de Lisbonne a validé cette composition sous réserve de l'octroi d'un siège de député européen supplémentaire à l'Italie. Cette dernière a fortement contesté, en effet, son « décrochage » par rapport aux trois Etats les plus peuplés après l'Allemagne. En conséquence, afin de respecter le plafond de 750 députés européens, il a été décidé d'exclure le Président du Parlement du décompte. C'est la raison pour laquelle on dit que le Parlement européen comprend « 750 députés, plus le président ».

La nouvelle composition du Parlement européen devait s'appliquer aux élections européennes de juin 2009, puisque le traité de Lisbonne devait initialement entrer en vigueur avant le 1er janvier 2009. Toutefois, le 12 juin 2008, le Traité de Lisbonne a été rejeté par une majorité d'Irlandais lors d'un premier référendum. Compte tenu des incertitudes sur l'entrée en vigueur de ce traité, il a été décidé d'organiser les élections européennes de juin 2009 sur la base des dispositions du traité de Nice, avec un nombre de députés européens de 732. Le Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 a toutefois adopté une déclaration prévoyant, au cas où le traité de Lisbonne entrerait en vigueur, qu'une solution transitoire sera mise en oeuvre pour permettre l'entrée des 18 députés supplémentaires en cours de législature. Puisqu'il n'est pas envisageable de priver un député européen de son mandat en cours de législature, il a été décidé de maintenir à 99 jusqu'en 2014 le nombre de députés européens accordés à l'Allemagne, et donc de relever provisoirement le plafond du nombre total de députés européens à 754.

Le Conseil européen a également fixé certaines conditions pour la désignation de ces sièges supplémentaires. Il a ainsi formulé trois options pour les pays concernés :

- une élection ad hoc ;

- la référence aux résultats des élections européennes de juin 2009 (soit la désignation des suivants figurant sur les listes) ;

- ou encore la désignation par le Parlement national, en son sein, du nombre de représentants requis.

Les sièges requis ne peuvent toutefois être pourvus que par des personnes élues au suffrage universel direct et, en cas de désignation par un parlement en son sein, les règles de non cumul des mandats devront s'appliquer.

Après la victoire du « oui » lors du second référendum en Irlande et l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, le protocole a été approuvé par la Commission européenne le 27 avril 2010, puis par le Parlement européen le 10 mai 2010. Celui-ci a donné son « feu vert » pour réunir une conférence intergouvernementale, qui s'est réunie le 23 juin 2010 et a adopté ce protocole.

A ce jour, vingt et un États ont ratifié le protocole et seize ont déposé les instruments de ratification. Dans les cinq autres pays restants (Belgique, Grèce, Lituanie, Roumanie, Royaume-Uni), le processus est initié mais des incertitudes entourent certaines procédures. Ainsi, au Royaume-Uni par exemple, la ratification du protocole par le Parlement est incluse dans le projet de loi imposant la tenue d'un référendum sur tout nouveau transfert de compétences à l'Union européenne. En ce qui concerne la désignation des députés européens supplémentaires, certains des douze pays concernés avaient pris les devants en prévoyant, avant les élections, que les députés européens supplémentaires seraient désignés selon les résultats du scrutin de juin 2009. C'est le cas de l'Espagne, de l'Autriche, de la Lettonie, de la Suède, de Malte et de la Bulgarie.

La France, comme le Royaume-Uni, la Pologne et l'Italie, n'a pas souhaité modifier sa législation avant le scrutin du 7 juin 2009 pour ne pas donner l'impression de préempter les résultats du second référendum irlandais. Cependant, tous les autres, hormis la France, se sont ralliés au système des suivants de liste. Aucun Etat n'a souhaité recourir à une élection ad hoc. La France est le seul des douze pays concernés à ne pas avoir choisi de désigner ces deux sièges supplémentaires sur la base des résultats du scrutin de juin 2009.

Cette singularité française mérite quelques explications. D'une part, le Gouvernement français a considéré qu'il n'était pas souhaitable de modifier la législation électorale avant le scrutin du 7 juin 2009, afin de ne pas préempter les résultats du second référendum irlandais. D'autre part, le Gouvernement a estimé qu'il n'était pas possible après le scrutin de 2009 de se référer aux résultats de l'élection pour pourvoir ces deux sièges supplémentaires, compte tenu du découpage entre les huit circonscriptions interrégionales et des évolutions démographiques. En effet, la répartition des sièges entre circonscriptions dépend, en effet, de données démographiques qui ne sont plus aujourd'hui les mêmes que celles qui ont servi de base à l'élection de juin 2009. Le Gouvernement français a donc préféré recourir à une élection par l'Assemblée nationale des deux députés européens supplémentaires. C'est l'objet du projet de loi relatif à l'élection des députés européens, qui a été renvoyé à la commission des Lois et dont l'entrée en vigueur est conditionnée à celle du présent protocole modificatif. Le projet de loi prévoit que les membres de l'Assemblée nationale éliront en leur sein deux députés européens.

Cette élection se déroulera à la proportionnelle et devrait vraisemblablement aboutir à la désignation d'un député de la majorité et d'un député de l'opposition. Ils devront démissionner de leur mandat national. Alors que le texte du protocole dispose que ces représentants seront désignés par « le Parlement national » de l'Etat membre concerné, cette solution revient donc à écarter les sénateurs au bénéfice des seuls députés. Il est vrai que le protocole fixe comme condition que les personnes aient été élues au suffrage universel direct, mais c'est le cas de certains sénateurs exerçant un mandat local (les maires notamment).

Une autre solution possible aurait été de procéder à une élection ad hoc. En septembre dernier, M. del Picchia avait d'ailleurs déposé une proposition de loi afin que ces deux députés européens supplémentaires soient élus par les Français de l'étranger au sein d'une circonscription « outre mer » élargie. Même si le projet de loi ne reprend pas cette solution, il prévoit néanmoins de rétablir la participation des Français établis hors de France aux élections européennes, ce qui mettra un terme à une « anomalie » démocratique et de corriger un oubli de la réforme du scrutin européen de 2003. Les députés européens élus par les Français de l'étranger devraient être rattachés à la circonscription « Ile de France » d'après le projet de loi.

Quelles que soient les réserves ou interrogations que l'on peut avoir à l'égard du mode de désignation des deux députés européens proposé par le Gouvernement, le projet de loi dont nous sommes saisis vise uniquement à permettre de modifier la composition du Parlement européen en accordant notamment à la France deux sièges supplémentaires de députés européens. Par ailleurs, il faut bien avoir à l'esprit qu'il s'agit uniquement de dispositions transitoires qui s'appliqueront jusqu'en 2014. Le vrai débat porte sur la composition du Parlement à compter de 2014. Le Parlement européen a d'ailleurs déjà commencé ses travaux, sur la base d'une proposition de M. Andrew Duff, qui repose sur la définition d'une procédure uniforme d'élection, la création d'un contingent de députés européens élus sur une base transnationale et l'élaboration d'une formule mathématique d'application du principe de proportionnalité dégressive. Autant de sujets d'importance pour l'influence de la France au sein de cette institution qui joue aujourd'hui un rôle majeur dans l'Union européenne.

Je vous proposerai donc d'adopter ce projet de loi.

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