Quatre remarques liminaires essentielles doivent d'abord être faites sur le cumul des mandats. Rappelons tout d'abord que la question du cumul des mandats et des fonctions est une sorte de marronnier de la vie politique française ; elle se pose à chaque échéance électorale et des sondages mettent régulièrement en évidence l'opposition de la population à la pratique du cumul. Force est de constater, toutefois, que ces appréciations ne se traduisent pas dans les urnes : le citoyen et l'électeur peuvent avoir des avis parfois différents.
Deuxième remarque, contrairement à la thèse souvent avancée en France, selon laquelle la faiblesse du cumul des mandats dans les démocraties étrangères s'expliquerait par la culture politique, il apparaît que la restriction du cumul des mandats est réglementée dans la majorité des grandes démocraties. En effet, à l'exception de la Grande-Bretagne, la plupart des grandes démocraties disposent de normes qui interdisent ou limitent très fortement la pratique du cumul des mandats.
Troisièmement, nous constatons que quinze propositions de loi ou de loi organique visant à restreindre la pratique du cumul ont été déposées depuis 2002, ce qui montre l'existence d'une réelle volonté politique de limiter le cumul des mandats. La dernière en date, est une proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l'exercice d'une fonction exécutive locale, déposée au Sénat par M. Jean-Pierre Bel, les membres du groupe socialiste et apparentés, le 8 septembre 2010. Cette proposition de loi a été renvoyée en commission lors de son examen en séance du 28 octobre dernier, ce qui doit permettre à notre délégation de proposer des pistes et des recommandations, avant que ce texte ne revienne en séance publique.
Nous avons évidemment, à cet instant, le désir de revenir sur l'interprétation de la volonté politique de la limitation du cumul des mandats ; quinze propositions de loi, déposées avec d'autant plus d'enthousiasme, que leurs auteurs, quel que soit le groupe politique dont ils sont issus, savent qu'elles ne seront pas forcément adoptées. Plusieurs anciens Premiers ministres se sont penchés sur cette délicate question du cumul des mandats, dans le cadre plus large d'une réflexion sur la réforme constitutionnelle. Cela a notamment été le cas de la commission Mauroy en 2000 et de la commission Balladur en 2007. Bien que les conclusions de ces commissions aient souvent été adoptées à l'unanimité, y compris sur des sujets aussi sensibles que la limitation du cumul des mandats, il faut remarquer, qu'à l'instar des quinze propositions de loi déposées sur le bureau de nos assemblées, les mesures très concrètes proposées en matière de restriction du cumul des mandats n'ont pas connu de traduction législative.
Enfin, rappelons que les questions relatives au statut de l'élu et au cumul des mandats sont étroitement liées, comme l'a démontré la table ronde sur le statut de l'élu local, organisée par notre délégation le 1er juin dernier. C'est la raison pour laquelle les problématiques évoquées dans ce rapport sont indissociables des questions soulevées par nos collègues Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet dans leur rapport consacré au statut social de l'élu.
Avant de vous présenter les principales recommandations de notre rapport, nous souhaitons rappeler, brièvement, la législation actuelle sur le cumul ainsi que les chiffres de la pratique du cumul en France.
Avant 1985, aucune règle ne limitait la pratique du cumul des mandats et des fonctions. Les grandes lois de décentralisation ayant largement accentué les pouvoirs des élus locaux, une législation plus contraignante a été adoptée en matière de cumul des mandats. Tout d'abord, deux lois du 30 décembre 1985, l'une consacrée aux parlementaires et la seconde aux élus locaux, ont restreint la pratique du cumul.
Cette législation a ensuite été renforcée par deux lois du 5 avril 2000 : la loi n° 2000-294 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux, consacrée à la situation des parlementaires nationaux, et la loi n° 2000-295 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives et à leurs conditions d'exercice, qui précise les incompatibilités applicables aux élus locaux, aux représentants au Parlement européen ainsi que les incompatibilités entre les fonctions exécutives locales.
S'agissant des restrictions à l'exercice du mandat parlementaire, le cumul des mandats de député et de sénateur est interdit au nom du bicamérisme. De même, il existe une incompatibilité absolue entre le mandat parlementaire et celui de représentant au Parlement européen. Par ailleurs, le mandat de parlementaire est incompatible avec l'exercice de plus d'un mandat local parmi les suivants : conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants.
Précisons, néanmoins, qu'un parlementaire peut toujours exercer une fonction exécutive locale parmi les fonctions de président de conseil régional, de président de conseil exécutif de Corse, de président de conseil général, de maire et de maire d'arrondissement.
Enfin, s'agissant des restrictions propres aux mandats locaux, le cumul horizontal est interdit pour chacun des mandats. Par ailleurs, nul ne peut cumuler plus des deux mandats électoraux suivants : conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse ou membre du conseil exécutif de Corse, conseil général, conseiller de Paris et conseiller municipal.
Malgré l'adoption de cette législation déjà contraignante, le cumul des mandats est un phénomène d'une ampleur importante en France. Tout d'abord, le cumul des mandats demeure la règle pour une grande majorité de parlementaires : 84 % des députés et 72 % des sénateurs exercent au moins un autre mandat électif. A noter que le phénomène s'est accentué depuis plusieurs décennies. En effet, en 1973, 30 % des députés n'avaient pas d'autre mandat, alors qu'aujourd'hui cette proportion s'est réduite de moitié.
Comme nous l'avons rappelé précédemment, les fonctions de président d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ne sont pas comprises dans le champ des interdictions relatives au cumul prévues par les lois du 5 avril 2000. Or, 86 % des présidents d'EPCI exercent au moins un autre mandat électif que celui de conseiller municipal.
Il est également intéressant d'observer que, malgré l'étendue des compétences des communautés urbaines et des communautés d'agglomération, et donc de la charge de travail qui incombe à leurs présidents, ces derniers sont très souvent en situation de cumul.
En effet, 10 des 16 présidents de communautés urbaines cumulent leurs fonctions avec au moins deux autres mandats et 48 des 60 présidents de communautés d'agglomération de plus de 100 000 habitants cumulent leurs fonctions avec au moins deux autres mandats. Il apparaît ainsi que les responsables des intercommunalités les plus importantes sont également ceux qui cumulent le plus de mandats.
Enfin, je voudrais faire une remarque sur la situation particulière des ministres. Comme vous le savez, l'article 23 de la Constitution traite de l'incompatibilité des fonctions ministérielles avec un mandat parlementaire ou avec toute autre activité professionnelle. Cet article a été modifié par la loi du 23 juillet 2008, qui prévoit le retour au Parlement d'un ministre ayant cessé ses fonctions ministérielles. En revanche, la loi ne prévoit aucun dispositif particulier de limitation des mandats locaux, alors que la commission Balladur prévoyait l'interdiction du cumul entre une fonction ministérielle et un mandat local.