Comment avons-nous raisonné, en sachant que nous cumulons tous deux des mandats, comme une grande majorité de parlementaires ? Nous avons repris à notre compte la phrase de Guy Carcassonne, professeur des universités : « Mettre fin à cette absurde exception française est une nécessité. Mais le faire unilatéralement serait suicidaire ». Nous avons repris, l'un après l'autre, les arguments : est-ce que serait inhérente à la culture française une pratique qui serait différente dans d'autres pays ? Dans d'autres pays, s'il n'y a pas de cumul, c'est généralement parce que la règle mise en place le limite strictement ou l'interdit ; seule la Grande-Bretagne, qui n'a pas une tradition d'écriture de son droit, ne le fait pas.
Est-ce que c'est une question de disponibilité ? Si c'est vrai, alors mettons en place des garde-fous. Est-ce que c'est une question de compatibilité ? On a le droit de penser que l'Assemblée nationale ou le Sénat ne sont pas simplement la somme des préoccupations des territoires, qu'on n'est pas seulement à Paris pour la proximité présumée que cela apporte avec les ministres et le gouvernement, ni pour la possibilité de faire valoir des points de vue locaux ou de revenir vers son territoire avec des avantages particuliers. Il nous a semblé, et c'est un point qu'il faudrait peut-être approfondir, que l'intérêt général n'étant pas la somme des intérêts particuliers, il était sans doute raisonnable d'imaginer, plutôt qu'une cote mal taillée, qu'un arbitrage moyen entre les préoccupations de chacun, des lieux de dialogue, voire de négociation, via des instances représentatives, et avec des intérêts territoriaux, comme il en existe avec les syndicats ou avec le monde associatif par exemple. On peut en discuter de façon plus approfondie. Ce qui est certain, c'est qu'on a bien vu l'ambiguïté : d'un côté, les partis, qui déposent les propositions de loi quand ils sont sûrs qu'elles ne seront pas adoptées ; de l'autre, des propositions assez radicales formulées par des commissions, - celle de M. Mauroy, celle de M. Balladur - dont on a repris bien des propositions intéressantes, à l'exception des recommandations visant l'interdiction du cumul des parlementaires avec un mandat exécutif local. Ce que nous avons cherché à faire, c'est inventer des seuils démographiques pour rendre acceptable cette interdiction des cumuls, par étape.
La table ronde que nous avons organisée avec les associations d'élus n'a pas permis d'avancer. Toutes ont envoyé des représentants élus, en situation de cumul de mandats, qui ont expliqué que leur association était dans une situation compliquée sur ces questions. Les arguments tournaient autour de deux éléments essentiels : le premier concernait la précarité du statut et les problèmes de rémunération, à l'issue d'un mandat, ou lors de l'interruption du cumul, ce qui nous amène à souligner la nécessaire cohérence entre notre rapport et celui de Jean-Claude Peyronnet et Philippe Dallier sur le statut de l'élu local. Le deuxième type de préoccupation portait sur la crainte d'avoir des élus à « deux vitesses » : d'un côté, des praticiens qui seraient en phase avec la réalité du terrain et soumis aux inconvénients et aux pressions des intérêts locaux ; et de l'autre, des « apparatchiks », comme le disait Jacques Chirac, liés à leur parti plus qu'aux territoires mais coupés de la réalité. Comment avancer ?
On a vu aussi, lors de cette table ronde, que les associations d'élus ont conscience du fait que les citoyens rejettent massivement l'idée même du cumul des mandats. Ces citoyens sont en fait ambivalents, puisqu'ils votent pour des « cumulards ». Par ailleurs, on constate l'existence d'une dimension populiste désagréable dans le rejet du cumul, qui va avec les accusations de vénalité, de rupture avec le monde réel, etc., usuellement adressées aux élus.
Dans le même temps, la comparaison avec les autres pays européens montre que nos voisins ont réglé ce problème. C'est très douloureux pour les élus en situation de cumul, que nous sommes en grande majorité, de se demander si une évolution similaire va être organisée ou subie, sous forme d'un discrédit des politiques en général et d'un détournement des citoyens des urnes. Mais c'est une question qu'il faut poser.