Mes chers collègues, je débuterai ma présentation par une série d'informations globales sur les finances publiques de nos partenaires européens. Ces données confirment la sortie de crise et le fort potentiel de la croissance allemande, ainsi qu'un phénomène de reprise plus lent au Royaume-Uni qu'en France. De plus, je dirai que le débat sur le réalisme des prévisions de croissance concerne nos deux pays. Les chiffres que je vous présente démontrent également la question de l'ampleur des réductions de déficit public que nous devons réaliser, et notamment la profondeur du « creux » irlandais. De ce point de vue, je sous-estimais la gravité de la situation irlandaise avant de me rendre dans ce pays.
Les graphiques indiquent également que, malgré une récession deux fois plus forte en Allemagne qu'en France, le déficit public de celle-ci n'a jamais dérapé au-delà de 3,3 % du PIB. Les finances publiques allemandes sont indéniablement plus robustes que celles de notre pays.
En outre, contrairement à ce que l'on entend ici ou là, l'Italie s'impose une réelle discipline sur la trajectoire de ses finances publiques, et ce depuis le milieu des années 2000. Elle y est en effet contrainte par une forte pression des marchés.
L'ensemble de ces chiffres m'amène à poser la question suivante, à laquelle il est aujourd'hui difficile de répondre : quel peut être l'effet macroéconomique sur l'économie réelle de la réduction simultanée de l'ensemble de ces dettes publiques ?
Je terminerai cette présentation liminaire en abordant l'enjeu essentiel, à savoir la soutenabilité de la dette. La France et l'Allemagne ont des courbes d'endettement proches, même si on ne peut exclure un risque de décrochage de la France. Les pays d'Europe centrale et orientale se maintiennent à un niveau de dette inférieur à 60 % du PIB. Enfin, la Grande-Bretagne et l'Irlande dépassent nettement le plafond de 60 %, alors qu'elles maîtrisaient leur dette publique avant la crise. Ainsi, le Royaume-Uni a rejoint le niveau d'endettement public de la France et de l'Allemagne, tandis qu'en deux ans, l'Irlande a rejoint celui de l'Italie.
De même, le graphique relatif à la balance des paiements souligne le lien existant entre le solde extérieur d'un pays et la soutenabilité de ses finances publiques. On constate la dégradation de la situation irlandaise depuis 2004, et le fait que la Grèce et le Portugal sont entrés dans l'euro avec des situations de balance extérieure déjà dégradée. Le solde extérieur de l'Espagne a quant a lui plongé - coïncidence ou non ? - avec la création de l'euro. A l'inverse, la Belgique n'a connu un déficit courant qu'en 2008. De fait, ce pays n'est pas encore menacé par la sanction des marchés. Pourtant, il s'agit à ce jour du seul État membre qui n'est pas en mesure de faire voter par le Parlement son programme de stabilité et de croissance.
J'en viens maintenant à quelques observations sur la République tchèque. De façon générale, ce pays se caractérise par la prudence de son engagement politique européen, en raison notamment de la personnalité du Président de la république, Vaclav Klaus. Depuis juillet 2010, le Gouvernement rassemble une coalition sous le leadership du parti de l'ODS, qui s'est allié avec deux autres partis, dont l'un est pro-européen et a fait campagne sur le thème du redressement des comptes publics. La République tchèque a pris l'engagement d'adhérer à la zone euro dès 2004. Cependant, aucune date précise n'a été fixée pour le moment. Ce pays entretient une relation ambivalente avec la Slovaquie, partenaire aux positions européennes souvent individualistes.
Sur certains sujets, la République tchèque est un allié pour la France. A cet égard, il me semble qu'il ne faut pas négliger l'importance des relations bilatérales dans la mécanique européenne, notamment pour construire des majorités au sein de l'Union. Antifédéraliste, la République tchèque privilégie l' « intergouvernementalisme » et se méfie de tout renforcement des pouvoirs de la Commission européenne. De plus, elle est favorable à l'énergie nucléaire, position qu'elle a confirmée après la catastrophe de Fukushima, et qui se traduit par des relations étroites avec la France dans ce domaine. Les Tchèques sont heureux de se distinguer de l'Allemagne sur certaines positions stratégiques. C'est un moyen pour eux de s'individualiser par rapport à leur grand voisin.
Cependant, des sujets de désaccord existent également entre la France et la République tchèque. C'est le cas notamment sur la question de l'effort demandé à l'Irlande en matière d'impôt sur les sociétés.
La République tchèque s'est profondément transformée, à un rythme soutenu, depuis le milieu des années 1990. Il s'agit aujourd'hui d'un pays ouvert et exportateur, notamment en direction de l'Union européenne. Sa santé économique est très dépendante de l'Allemagne. Son niveau de vie moyen a rejoint celui de l'Europe de l'ouest, même si de fortes disparités demeurent entre la capitale et la province. Le PIB par habitant atteint 82 % de la moyenne de l'Union européenne. Sur ce même critère, la région de Prague dépasse l'Ile-de-France. Elle est la cinquième région européenne derrière le Grand Londres, Luxembourg, Bruxelles, et Hambourg.
Malgré tout, les salaires restent 3,7 fois inférieurs à ceux de la France, même si l'écart s'est réduit, puisqu'il était encore de 1 à 7,5 en 1997. J'en déduis que la République tchèque se verra vite confrontée aux même problèmes de compétitivité que nous, et qu'elle ne restera pas une terre d'accueil pour les délocalisations.
Je voudrais maintenant insister sur la bonne santé du système bancaire tchèque, caractérisé par son excès de liquidité, ce qui doit être souligné ! Les prêts représentent 70 % des dépôts. La plupart des banques appartiennent à l'étranger, mais elles agissent avec prudence. En revanche, les investissements marquent le pas et le pays est menacé par le risque récurrent de poussées inflationnistes. La Slovaquie est beaucoup plus aventureuse que la République tchèque et parvient à attirer plus d'investissements.
J'en viens à la stratégie fiscale du nouveau gouvernement tchèque, dont l'objectif est de stabiliser les charges pesant sur le travail, en majorant les impôts indirects. En mai 2011, le Parlement a ainsi voté la mise en place d'un taux unique de TVA à 17,5 % à compter de 2013. Aujourd'hui, il existe un taux réduit à 10 % et un taux normal à 20 %. Le taux réduit passera à 14 % en 2012. De plus, une réforme de la fiscalité des personnes est en cours de réflexion, qui serait fondée sur une harmonisation de l'assiette de l'impôt sur le revenu et de l'assiette des prélèvements sociaux. Enfin, le gouvernement tchèque entend supprimer les niches fiscales qui mitent l'impôt sur le revenu, en conservant seulement quelques dépenses fiscales correspondant à des politiques d'intérêt général (recherche, dépendance, politique familiale, dons aux oeuvres).
Pour conclure ma présentation sur la République tchèque, j'indique rapidement qu'elle a su trouver en matière de quotas de CO2 un dispositif, qui me semble à la limite de la conformité avec le droit communautaire, pour rendre une fraction des quotas payants dès 2011.
En ce qui concerne le Royaume-Uni, je voudrais tout d'abord souligner que ce pays s'est livré à quelques gestes européens. Tout d'abord, un programme de convergence budgétaire a été lancé. En effet, même sans être lié par les obligations du pacte de stabilité, Londres subit les mêmes menaces sur sa dette souveraine que les membres de la zone euro. En outre, le pays participe au dispositif de soutien à l'Irlande, ce qui s'explique notamment par les liens économiques entre les deux pays.
Le nouveau gouvernement issu de l'alternance politique s'est également lancé dans la rénovation de l'architecture de la supervision financière, qui passe par l'abandon du modèle britannique de l'autorité unique (FSA) et par la création de trois nouvelles structures : un régulateur macro-prudentiel, un régulateur micro-prudentiel, sous l'autorité de la banque d'Angleterre, et une autorité de protection des consommateurs. Le pays s'est aussi rallié à la création de l'autorité européenne des marchés financiers (AEMF), dont le siège est à Paris. Malgré tout, les Britanniques restent fidèles à leurs spécificités nationales dans un certain nombre de domaines, à commencer par la politique monétaire. Il existe en effet une forte divergence entre la politique monétaire de la banque d'Angleterre et celle pratiquée par la Banque centrale européenne (BCE). Malgré le niveau de l'inflation, le débat sur la hausse des taux n'est pas encore tranché Outre-manche. Il existe une vraie vie collégiale au sein du comité de politique monétaire britannique, caractérisé par sa grande culture de la transparence.
Enfin, Londres ne s'est pas associée au pacte euro + et à une politique de concurrence fiscale. Au contraire, dans le cadre du budget 2011-2012, le gouvernement britannique s'est lancé dans une politique de concurrence fiscale, à travers la réduction progressive de 27 % à 23 % du taux nominal de l'impôt sur les sociétés et l'instauration de mesures en faveur des entreprises, notamment dans le domaine du capital-investissement. Enfin, le Royaume-Uni a récemment relevé son taux de TVA de 17,5 % à 20 %. De ce point de vue, il me semble que l'on peut parler de convergence à la hausse des taux de TVA en Europe.
S'agissant de l'Irlande, je voudrais tout d'abord rappeler l'origine de la crise. On ne peut pas comparer ce pays au cas de la Grèce, car l'Irlande était un pays très vertueux sur le plan budgétaire, mais elle a laissé se développer une bulle immobilière au coeur de son système financier. C'est le système du crédit à taux variable alloué à des débiteurs sans véritable appréciation des capacités réelles de remboursement, qui, avec l'effet de levier du crédit hypothécaire, a été dévastateur, d'autant plus que les banques irlandaises, contrairement à la République tchèque, étaient toutes sous contrôle irlandais. Ce pays ne compte que 4,4 millions d'habitants. Il a été victime d'un aveuglement collectif, d'une faillite de la régulation financière, voire de l'endogamie d'un petit système et de la fascination du modèle américain. La pratique des subprimes à l'échelle irlandaise a ainsi eu des effets beaucoup plus dévastateurs et dramatiques qu'à l'échelle du territoire américain. Enfin, la politique budgétaire procyclique du pays n'a rien arrangé.
Aujourd'hui, le système bancaire est sous perfusion et l'Etat est insolvable. Les problèmes de liquidité étaient apparus dès 2008. La décision du gouvernement irlandais de l'époque de garantir la totalité du système bancaire a transformé les dettes privées en dettes publiques. On estime que le total des recapitalisations effectuées à ce titre pourrait atteindre 100 milliards d'euros. Le déficit public s'élève à 32 % du PIB en 2010, et la dette devrait dépasser les 120 % du PIB en 2012.
Le retour en arrière a ainsi été très brutal, tant en termes de PIB nominal que réel. De plus, le marché du travail irlandais s'est avéré très volatil, puisque le pays comptait en 1990 le deuxième plus fort taux de chômage en Europe, puis le deuxième taux le plus faible dans les années 2000. Aujourd'hui, son taux de chômage est à nouveau parmi les plus élevés de la zone euro.
Les Irlandais considèrent que le fait de bénéficier d'un programme d'assistance mené par l'Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (FMI) est normal, et que les conditions ne leur sont pas favorables. En outre, l'image du FMI est meilleure aujourd'hui en Irlande que celle des institutions européennes perçues comme responsables de l'austérité actuelle.
Le pays est donc engagé dans un plan d'ajustement budgétaire très sévère, dont le premier objectif est le retour à l'équilibre primaire pour rendre la dette soutenable. Il reste deux inconnues : le taux de croissance et la date de retour de l'Irlande sur le marché, ce qui pose aussi la question du besoin potentiel de financements additionnels du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et des autres créanciers. L'ajustement budgétaire engagé repose aux deux tiers sur les dépenses, tandis qu'est également initiée la reconstruction du système fiscal, lequel était avant la crise beaucoup trop dépendant du secteur immobilier. De fait, plusieurs mesures ont été prises ou sont envisagées : l'augmentation du taux normal de TVA, de 21 % à 23 %, la création d'un deuxième taux réduit en faveur du tourisme, à 9 %, un élargissement de l'assiette de l'imposition des revenus, à travers la création d'une sorte de CSG progressive, d'une taxe foncière et d'une taxe sur l'eau.
En revanche, l'impôt sur les sociétés reste le tabou irlandais. Le taux de cet impôt y est en effet considéré comme un élément de compétitivité, au même titre que le coût du travail dans d'autres Etat, dont l'économie est désormais « structurellement dépendante ». Pour mémoire, ce taux était passé de 32 % à 12,5 % entre 1998 et 2003. Il se caractérise par une assiette non « mitée », avec un taux réel proche du taux nominal. Il existe aussi un taux majoré de 25 % applicable aux bénéfices « passifs », mais le produit de ce dernier taux ne représente que 10 % du total. L'Irlande s'est également résolue à instaurer en 2010 une législation sur les prix de transfert au sein d'un groupe.
Au total, ce pays est devenu fortement dépendant des multinationales qui s'en servent de « base » en Europe, ce qui crée un écart important entre le PIB, c'est-à-dire la production dans un pays donné, et le revenu national brut, qui mesure les entrées et les sorties de revenus dans un pays. Les sorties de bénéfices excèdent largement les entrées, alors qu'en France et en Allemagne, les deux s'équilibrent.
Le modèle économique irlandais pose donc de réels problèmes. Certes, la présence de nombreuses multinationales non affectées par la crise, tels les grands groupes pharmaceutiques, offre de meilleures perspectives de reprise, mais dans quelle proportion en profite réellement l'économie irlandaise ?
La crise a créé un désenchantement européen en Irlande. Le gouvernement issu des dernières élections a dû aligner ses positions sur celles de son prédécesseur. Je souligne au passage l'attitude ambivalente des représentants du FMI dans cette affaire, qui considèrent que le relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés ne serait pas cohérent avec les objectifs du plan de redressement, en oubliant de rappeler que, si la zone euro ne converge pas sur le plan fiscal, elle implosera et la solidarité européenne ne pourra donc plus bénéficier à l'Irlande.
Au total, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation très confuse et contradictoire de la relation entre l'Union européenne et l'Irlande.
En conclusion, on peut s'interroger sur les leçons que l'on peut en tirer pour la zone euro. Je crois qu'il faut mettre l'accent sur les questions fondamentales suivantes : pourra-t-on tenir jusqu'en 2013 sans défaut d'un Etat souverain, et combien de temps la zone euro peut-elle s'accommoder d'Etats qui ne se financent pas sur les marchés ? A l'inverse, quelles seraient les conséquences sur le système financier d'un défaut avant 2013 ? Comment faire pour disposer de scénarii clairs et chiffrés ?