C'est bien là que réside la difficulté. L'examen plus fin des territoires délégués et des territoires gérés par l'Etat ne permet pas de dégager des conclusions générales si l'on compare les résultats obtenus au regard des objectifs de production de logements.
Les résultats sont contrastés à l'extrême entre les territoires de programmation, indépendamment de leur mode de gestion et la délégation n'est pas déterminante. Les écarts résultent plutôt des difficultés propres aux territoires et parfois du manque de réalisme des objectifs qui reflétaient les ambitions du plan de cohésion sociale.
En termes de performance purement qualitative de l'action publique, le bilan des délégations est mitigé. On note une complexité accrue des procédures dans le circuit administratif de programmation des aides à la pierre qui doit s'adapter à la coexistence de plusieurs types de territoires de programmation. Pour les subventions de l'ANAH, il m'a été indiqué que les temps moyens de traitement d'un dossier d'aide sont augmentés de trois jours supplémentaires pour le délégataire compte tenu des délais de transmission.
Plus fondamentalement, on peut déplorer, de la part de l'Etat, le refus de modifier ses pratiques, notamment pour la répartition régionale des crédits d'aides à la pierre. La détermination des enveloppes régionales n'a pas évolué par rapport à ce qu'elle était avant la délégation.
Quant au bilan en termes de dépenses de fonctionnement et de personnel, il n'a jamais été fait. Mais s'il est sûr que les délégataires ont recruté, l'Etat n'a pas forcément réduit d'autant ses effectifs. D'abord, parce que ses services assurent toujours l'instruction des dossiers de financement sur près de 80 % des territoires de délégation. Mais aussi parce que la délégation de compétence induit une activité supplémentaire liée au pilotage des conventions qui doit être assurée par les agents des services déconcentrés ou de l'ANAH, que l'instruction des dossiers ait été prise par le délégataire ou non.
Enfin, de la part des délégataires comme du côté de l'Etat, on note des lacunes importantes dans le suivi des résultats, la remontée d'information et l'appréciation de la performance qui reste une préoccupation mineure. Ce point a particulièrement été mis en valeur par un audit national de la Direction générale des finances publiques en 2010.
Depuis les années 2009-2010, après une phase d'engouement, on observe un désenchantement des collectivités territoriales à l'égard des délégations. Cela s'explique à la fois par un changement de contexte et par une évolution du modèle des conventions devenu moins attrayant pour les collectivités.
Les premières délégations d'aides à la pierre ont été mises en place dans le contexte favorable et sans doute déterminant du Plan de cohésion sociale (PCS) marqué par une très forte ambition de l'Etat en faveur du logement social. C'était aussi la période de la création ou du renforcement des instruments de la politique locale de l'habitat : programme local de l'habitat (PLH) et plan départemental de l'habitat (PDH). Ce contexte a changé ; il est marqué désormais par la restriction des aides à la pierre, que le plan de relance aura compensé momentanément. Ainsi, après le chiffre record de 131 509 logements sociaux financés au cours de l'exercice 2010, la nouvelle programmation pour 2011 est établie sur un total de 119 000 logements, en diminution dans toutes les régions sauf l'Ile de France et Provence-Alpes-Côte d'Azur. La baisse des crédits se double en outre d'un recentrage accentué sur les zones tendues qui ne sont pas nécessairement les territoires en délégation.
Ces nouvelles orientations concernent aussi l'ANAH qui avait connu des années fastes avec le PCS. Un nouveau régime d'aides est entré en vigueur le 1er janvier 2011. Il a été l'occasion de revoir les priorités en réduisant les aides vis-à-vis des propriétaires bailleurs au profit des propriétaires occupants modestes.
Les délégataires, notamment les départements, se trouvent placés dans une situation plus difficile et moins prévisible. Ils sont confrontés en premier lieu à des incertitudes budgétaires mais aussi à l'impact de la révision de la carte intercommunale et à la redistribution des délégations qui pourrait en résulter. L'intervention des départements n'étant que supplétive, l'émergence de communautés plus puissantes pourrait remettre en jeu les attributions de délégations entre le niveau départemental et celui de l'intercommunalité.
A ce contexte tendu s'ajoutent les conditions plus restrictives des conventions de délégation qui résultent à la fois des modalités de financement de l'ANAH et des nouvelles conventions types.
Le financement de l'ANAH étant désormais assuré sur les fonds d'Action logement, ex-1% patronal, et non plus sur crédits budgétaires, aucune fongibilité n'est plus autorisée entre les crédits LLS et les crédits pour le parc privé. C'est une contrainte supplémentaire qui retire de la souplesse puisqu'auparavant, les conventions autorisaient le basculement partiel des crédits entre les deux formes d'action.
Par ailleurs, faisant suite aux critiques formulées par plusieurs audits, la gestion budgétaire des délégations est devenue plus stricte. De nouvelles clauses ont été introduites pour mettre un terme à certaines dérives et lacunes. Ainsi, par exemple, les conventions dites de « première génération » ne comportaient aucune clause de réajustement budgétaire en cas d'insuffisance de réalisation d'un ou des objectifs fixés. Le représentant de l'Etat n'avait que la possibilité de résilier la convention, disposition qui n'a jamais été mise en oeuvre. Ce point a été très récemment corrigé et désormais le montant des droits à engagement alloués au délégataire pourra être révisé en cas de résultats insuffisants.
Il en est de même des avances de trésorerie dont pouvaient disposer les délégataires compte tenu des règles particulières de versement. L'échéancier de paiement sur quatre ans des crédits de paiement qui était intégré aux conventions obligeait les services de l'État à verser 77,5 % des crédits sur cette durée, quel que soit l'état de réalisation de la convention. De ce fait, certains délégataires avaient bénéficié d'avances de trésorerie qui atteignaient 238 millions d'euros à fin 2009.
Sur un plan plus anecdotique, les nouvelles conventions doivent intégrer une communication sur les autres aides de l'Etat (TVA à taux réduit, exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties et aides de circuit) et les obligations de remontée d'information ont été renforcées.
Tous ces éléments pèsent sur les relations entre l'Etat et les délégataires. Selon les informations qui m'ont été données quelques retraits du système de délégation sont envisagés principalement du côté des départements, même s'il faut rester prudent sur ces annonces.
Evidemment on peut s'interroger sur la capacité de l'Etat à reprendre la gestion de ces aides à la pierre dans l'ensemble des territoires où il les a déléguées.