Monsieur le Président, messieurs les sénateurs, la commission des services financiers est le régulateur des activités financières de la place de Jersey, centre financier de premier plan. S'agissant du statut constitutionnel de l'île, celui-ci apparaît comme une curiosité car Jersey est une dépendance de la Couronne Britannique, tout comme Guernesey et L'Ile de Man. Elle possède une autonomie législative et fiscale depuis l'an 1204. Cependant, elle ne dispose pas de la capacité indépendante de conclure des traités et des conventions internationales. Sans être une colonie, elle n'est donc pas souveraine pour autant. Elle dépend de la Couronne Britannique pour ses relations internationales et le secteur de la défense.
Dans la pratique, cette responsabilité est prise en charge par le gouvernement du Royaume Uni qui l'exerce en fonction des enjeux politiques interprétés sous le prisme londonien. Au cours des dernières années, Londres a tenté de responsabiliser les dépendances de la Couronne, y compris Jersey, en ce qui concerne la négociation directe des accords internationaux et la signature des accords sur l'échange d'informations en matière fiscale prévus par l'OCDE.
Cette pleine responsabilité des relations internationales est réclamée depuis longtemps par Jersey. Nous estimons que la prise de contact directe par Jersey dans le cadre des négociations, de la conclusion et de la signature des accords, est de nature à favoriser l'essor de ces relations et d'en améliorer la qualité. Depuis une quinzaine d'années, la politique internationale de Jersey a connu un processus d'ouverture sur le monde. Nous nous considérons comme un territoire coopératif et fiscalement autonome. Cependant, nous ne faisons partie ni du Royaume Uni, ni de l'Union Européenne.
En ce qui concerne la surveillance financière, Jersey respecte pleinement les standards internationaux en termes de contrôle des bourses, des opérations de titres et des fonds collectifs, de surveillance des banques (par le comité de Bâle), et de lutte contre le blanchiment d'argent (par le groupe d'action financière GAFI).
Nous attachons une importance particulière à la transparence et à l'échange d'informations en matière fiscale en suivant les programmes d'actions de l'OCDE et de l'Union Européenne, pas uniquement depuis la crise financière de 2008 mais depuis 2002, date à laquelle nous avons signé notre premier accord fiscal avec les Etats-Unis.
En réponse à votre question quant à l'existence d'une législation suffisante pour faire face à nos obligations d'échange, je tiens à souligner que celle-ci a été mise en place à l'occasion de l'accord signé avec les Etats-Unis. C'est la raison pour laquelle on ne retrouve pas dans celui conclu avec la France la même clause insérée dans ceux signés avec les autres territoires, qui exige la mise en place de la « législation nécessaire ».
La politique jersiaise menée depuis une quinzaine d'années vise à ce que les intérêts mutuels de Jersey et de l'Union Européenne soient respectés, dans une approche de « bon voisinage ». Nous dépendons des pays de l'Union européenne et travaillons avec eux.
L'île oeuvre également pour améliorer la compréhension des fondamentaux de son économie. Nous réfutons le qualificatif de « paradis fiscal ». Le développement du secteur financier dans l'île se fonde essentiellement sur le concept de « neutralité fiscale » qui se distingue de l'évasion fiscale. Ce concept consiste, en effet, à accueillir des sociétés qui ne sont pas fiscalisées mais qui appartiennent à une structure plus large, établie par la place de Londres. Les dividendes et distribution réalisés à partir de la société jersiaise vers le pays de résidence du bénéficiaire sont alors fiscalisés. Nous participons aux opérations d'ingénierie financière pratiquées par la City de Londres sans ajout d'un coût supplémentaire au niveau de la société « holding » de Jersey. L'opération récente de Glencore, ainsi que vous l'avez souligné Monsieur le président, suit ce modèle.
En quoi consistent les activités de centre financier à Jersey ? Celui-ci s'est développé depuis 1961 avec le processus de décolonisation de l'Empire Britannique et le rétrécissement de la zone internationale de la livre sterling. Jersey a, en effet, répondu à la demande de personnes, par exemple, résidents du Kenya ou de Singapour, qui souhaitaient que leur fortune soit gérée en livres sterling sans pour autant la transférer en Angleterre.
Une croissance importante des opérations menées par les institutions financières internationales a suivi ainsi que la création de sociétés de « trusts » d'envergure. Ces dernières constituent un secteur d'activité très important qui est par ailleurs soumis à surveillance.
Bien entendu, il existe un lien très étroit avec les activités de la City de Londres. Jersey en constitue un satellite, utilisé en partie par les fonds et prestataires de services spécialisés en matière d'ingénierie financière. 13 000 professionnels qualifiés travaillent dans le secteur financier de l'île, sur une population active de 50 000, soit approximativement 25 %.
La clientèle de Jersey comprend principalement trois segments. Ainsi que j'avais eu l'opportunité de l'évoquer il y a quelques années à Monsieur le Rapporteur général, il y a tout d'abord le statut de « résidents non-domiciliés ». Il est attribué aux personnes travaillant en Angleterre qui bien que résidents dans ce pays n'y resteront pas définitivement. Celles-ci bénéficient d'un statut fiscal favorable. Leur fortune gérée en dehors de l'Angleterre n'y est pas imposée. Jersey répond à cette demande de gestion. La deuxième catégorie de clientèle est constituée des expatriés britanniques. Ces derniers, résidant et travaillant dans un autre pays que l'Angleterre, échappent à l'impôt britannique si leur fortune est gérée dans un centre comme Jersey. Enfin, nous administrons les fortunes des particuliers, en créant plus spécifiquement des trusts essentiellement axés sur la succession familiale. Ce sont des structures financières « fiscalement neutres » pour la City.
Les actifs globaux gérés par l'île s'élèvent à approximativement 1 000 milliards de livres sterling, composés de 200 milliards de livres sterling de dépôts bancaires, 250 milliards de livres sterling sous forme de Fonds collectifs, ainsi que des actifs gérés dans les sociétés de trust, pour 500 milliards de livres sterling. Ces derniers sont plus difficiles à estimer en raison de leur nature (oeuvres d'art, immobilier, bateaux).
La composition du secteur financier se répartit entre quarante grandes banques dont la BNP et la Société générale qui travaillent essentiellement avec Londres et 183 sociétés de gestion de trusts. Ce chiffre est en réduction de 25 %. On en dénombrait 241 en 2001. En effet, la mise en place d'un système de contrôle rigoureux des trusts, d'évaluation des opérations des trustees et d'autorisation de la part de la commission des services financiers a mis fin à l'existence de certains d'entre eux. Notre secteur comprend également des gestionnaires et dépositaires liés aux fonds de placements collectifs. Le secteur de l'assurance est, quant à lui, modeste. D'une manière générale, on constate également une forte présence de cabinets d'experts comptables et d'avocats spécialisés dans les opérations financières.
En conséquence, la contribution du secteur financier au produit national brut s'élève à 43 %. Il produit un pourcentage significatif des recettes fiscales. L'imposition du secteur financier de 10 % couvre l'intégralité des dépenses publiques destinées à l'éducation, à la santé et à la sécurité sociale. Le secteur financier procure également 25 % de l'emploi.
Cette présentation liminaire faite, je tiens à souligner que nous avons jugé nécessaire de mettre en oeuvre la coopération fiscale afin de préserver la compétitivité de notre secteur financier. Jersey constitue un territoire réglementé et transparent.
Selon le classement trimestriel établi par le Global Financial Centres Index (GFCI), en mars 2011, Londres ressort comme la première place financière, New-York la deuxième, Hong Kong la troisième, Singapour la quatrième, Paris la dix-huitième, il me semble. Quant à Jersey, il est classé en vingt-troisième position et premier des centres dit « offshore ».
Les activités financières de Jersey ont fait l'objet de nombreuses évaluations dont le rapport « Foot », demandé par le Premier ministre du Royaume-Uni, Gordon Brown, au plus fort de la crise financière, en 2009. Cette étude indépendante a mis en évidence les opportunités et les défis des dépendances de la Couronne britannique. Elle confirme le niveau élevé de la réglementation de Jersey et le rôle essentiel joué par l'île en termes d'apports de liquidités aux marchés financiers, et en particulier la place de Londres. Je rappelle que Jersey accueille 200 milliards de livres sterling de dépôts bancaires.
Le rapport souligne également l'évaluation très positive menée par le Fonds monétaire international (FMI) en 2009 et le fait que Jersey a figuré sur la liste blanche de l'OCDE dès le 2 avril 2009, date de l'élaboration de la première liste, lors du Sommet du G 20 à Londres.
La liste comprend les « juridictions appliquant les normes internationales en matière de transparence et d'échange d'informations ». A l'époque, Jersey avait déjà signé et mis en place une douzaine d'accords d'échange de renseignements.
Selon nous, les caractéristiques d'un centre compétitif et coopératif, en dehors des avantages fiscaux et de l'expertise financière, consistent tout d'abord en l'évaluation de la conformité aux standards internationaux par des tiers (FMI, OCDE), puis en une surveillance financière renforcée consistant en des strictes conditions pour l'identification des clients, et le reporting des transactions suspectes. Enfin, le centre financier doit être également engagé dans un processus international de coopération fiscale ou judiciaire. Si la France formule une demande de renseignements, trois voies lui sont offertes : la voie légale ou la « porte judiciaire » qui existe depuis longtemps. Elle ne dépend pas d'un accord fiscal. La demande est présentée au procureur. Il existe de nombreux cas où les renseignements ont été fournis. Plus récemment, des accords ont été conclus pour régler les échanges d'informations entre les administrations fiscales. Enfin, en cas de blanchiment et de crimes économiques notamment, les autorités chargées de la surveillance financière coopèrent. Jersey est lié par une convention avec l'Autorité des marchés financiers (AMF). Elle en signera bientôt une avec l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP).
Je souhaite revenir sur l'historique de la coopération judiciaire concernant les affaires pénales. J'insiste sur le fait qu'il n'y a pas de secret bancaire à Jersey et à Guernesey. La fraude et l'évasion fiscales sont spécifiquement réprimées depuis la loi « Proceeds of Crime Law », adoptée en 1999. A la différence de la Suisse, il n'y a pas de condition requise pour une « double criminalité ». Une demande en Suisse ne peut être satisfaite que si les faits reprochés constituent un crime non seulement dans le pays demandeur mais également en Suisse. Ce n'est pas le cas de Jersey. Nous sommes ouverts aux demandes.
Il existe une obligation d'établir un « reporting » auprès des autorités de police financière à Jersey pour toute transaction jugée « suspecte ». En cas de manquement à cette obligation par une institution financière, son autorisation peut lui être retirée.
Or, en dépit de ces dispositifs, Jersey a reçu relativement peu de demandes de la France ou d'autres pays pour échanger des informations par la voie judiciaire. On s'interroge sur ce constat. Afin de remédier à toute éventuelle méconnaissance des mécanismes d'échanges judiciaires, nous avons aussi rencontré des juges d'instruction français.
S'agissant de coopération fiscale, Jersey s'est engagé dès 2002, à mettre en place la transparence et l'échange d'informations sur demande. Nous avons cependant exigé la participation de la Suisse, du Luxembourg et d'autres places financières importantes telles que Singapour et Hong Kong.
Jersey a poursuivi depuis 2002 sa politique de signature d'accords d'échanges de renseignements avec quelques pays clés, comme la France face à la crise financière de 2008 et aux mesures prises par le G20 contre les « juridictions non-coopératives » à compter du Sommet d'avril 2009. Jersey a ainsi signé vingt-et-un accords d'échange de renseignements entre novembre 2002 et janvier 2011. Ainsi que vous pouvez le constater, ces accords sont conclus avec des membres du G 20. Nous n'avons pas cédé à la facilité, comme d'autres centres offshore, de les conclure entre centres financiers uniquement.
Quant aux derniers développements de cette politique conventionnelle, des négociations sont en cours ou des accords en attente de signature, selon le cas, avec l'Afrique du Sud, l'Argentine, le Brésil, la Grèce, l'Inde, l'Italie, le Japon, la Pologne, la République de Corée, la République Tchèque. Des négociations sont également bien avancées, avec une première mouture d'accord échangé avec la Hongrie. Nous rencontrons quelques difficultés avec l'Espagne qui ne souhaite conclure l'accord qu'avec un Etat souverain, c'est-à-dire le Royaume-Uni. Jersey a également établi des contacts avec le Luxembourg, la Russie et la Suisse. Seules l'Autriche, la République Slovaque et l'Arabie Saoudite n'ont pas encore officiellement répondu à notre demande d'ouverture d'un cycle de négociations.
S'agissant de la coopération en matière de surveillance financière, Jersey a signé de nombreux accords bilatéraux (notamment avec la France), multilatéraux ou régionaux (avec l'Afrique de l'ouest). Notre tissu conventionnel couvre donc une grande partie du monde.
En ce qui concerne la réglementation du secteur financier, Jersey dispose d'une autorité autonome depuis 1998, la Jersey Financial Services Commission (commission des services financiers de Jersey), afin d'en assurer la surveillance. Celle-ci fait preuve d'un fort engagement en matière de respect des standards internationaux tels que ceux établis par les organismes internationaux dont le GAFI. Ainsi, Jersey se conforme aux quarante-neuf recommandations du GAFI comme l'attestent les conclusions de l'évaluation du système de surveillance financière conduite par le FMI en 2009. Jersey tente de se conformer aux standards internationaux en matière de contrôle des fonds collectifs, ainsi qu'aux normes définies par Bâle pour les banques, et par l'International Association of Insurance Supervisors (IAIS) pour le secteur de l'assurance.
Jersey a également établi un système de surveillance efficace pour les trusts ou les special purchase vehicles. Nous considérons que le dispositif ainsi mis en place est à la pointe en matière de contrôle de ces structures financières. Il est, par exemple, nettement en avance dans ce domaine sur les mécanismes utilisés aux Etats-Unis et au Royaume Uni.
Le rapport du FMI en date du 14 septembre 2009, élaboré dans le cadre du programme mondial d'évaluation du secteur financier (FSAP), a conclu que Jersey est « globalement en conformité » avec l'ensemble des principales règles internationales du GAFI. Quarante-quatre des quarante-neuf recommandations ont été notées « conformes » ou « en grande partie conformes ». Le leader mondial était alors les Etats-Unis avec un score inférieur de quarante-trois. Guernesey a depuis lors réalisé une meilleure performance que Jersey.
Le FMI s'est également exprimé sur le système financier de Jersey en général. Il a conclu que l'île avait mis en place un cadre juridique complet et « robuste » afin de lutter contre le blanchiment. Il s'agit notamment de l'enregistrement obligatoire auprès du Registar of Companies, qui permet d'obtenir, de maintenir et de vérifier les informations sur le bénéficiaire de la propriété des entreprises y compris les parties à un trust ou ses légataires.
Jersey dispose d'un cadre juridique de l'entraide judiciaire mutuelle et de l`extradition efficace. Bien qu'une analyse des questions fiscales ne fasse pas partie du cadre de cette évaluation, le FMI a relevé que Jersey fait partie des pionniers en matière de conclusion d'accords d'échange de renseignements.
Quant au processus d'examen par les Pairs dans le cadre du Forum Mondial de l'OCDE, le rapport sur Jersey combinant la phase 1 et 2 est sur le point d'être publié. Nous sommes satisfaits de ses conclusions. Il convient, cependant, de souligner que la phase 2 est récente car la signature de l'accord date de 2009. Ce dernier n'est entré en vigueur que l'an dernier. Il y a donc peu de demandes. Nous garantissons un traitement rapide et efficace, conformément à notre politique de coopération déjà mise en oeuvre avec les autres pays.
S'agissant des propositions de Jersey pour l'avenir, certains dossiers constituent des thèmes importants tels que la directive sur l'Epargne et le Code de conduite sur la fiscalité des sociétés et la réglementation des trusts.
Nous avons évoqué avec la France et les Etats membres de l'Union européenne quelques légères mesures compensatoires en faveur de Jersey en reconnaissance de sa politique de coopération et de « bon voisinage ». Tout d'abord, en ce qui concerne la directive Epargne, il s'agit d'un engagement volontaire de Jersey et Guernesey. En juin 2003, a été mise en place une retenue à la source ou un échange d'informations, selon le voeu du client. 50 % de ceux-ci ont choisi cette seconde option tandis que l'autre moitié a préféré conserver le système de retenue à la source.
Jersey est prêt à s'engager dans la prochaine étape, à savoir l'échange automatique d'information à condition que la Suisse, l'Autriche et le Luxembourg en fassent autant. C'est une question de principe.