Intervention de Hervé Morin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 août 2008 : 1ère réunion
Audition de M. Hervé Morin ministre de la défense et de M. Bernard Kouchner ministre des affaires étrangères et européennes sur la situation en afghanistan

Hervé Morin, ministre de la défense :

a estimé que la France venait de payer un lourd tribut pour son engagement en Afghanistan. Il a salué le courage, le sang-froid et le professionnalisme des soldats engagés dans les combats du 18 août et a déclaré partager la douleur des proches et de l'ensemble de la communauté militaire à la suite de la mort de dix d'entre eux.

Le ministre de la défense a tout d'abord souhaité rappeler le cadre politique et juridique dans lequel s'inscrit la présence française en Afghanistan. La France intervient depuis 2001 aux côtés de 37 autres pays, dont certains ne disposent pas d'une grande tradition d'opérations extérieures, comme les pays scandinaves ou des pays neutres tels que l'Autriche et l'Irlande. Cette intervention s'effectue sur la base d'un mandat des Nations unies, et, plus précisément, de la résolution 1386 qui a créé la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), ainsi que des résolutions annuelles qui en renouvellent régulièrement le mandat. Le mandat comporte quatre missions : aider le Gouvernement afghan à étendre son autorité à l'ensemble du pays ; mener des actions destinées à assurer la stabilité et la sécurité en coordination avec les forces de sécurité nationales afghanes ; encadrer et soutenir l'armée nationale afghane ; enfin, apporter un soutien aux programmes du Gouvernement visant à désarmer les groupes illégaux. La résolution est placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui permet aux unités d'exercer leur droit à une légitime défense renforcée. Depuis août 2003, la FIAS est placée sous commandement de l'OTAN, mais, sur les 38 pays participants, 12 n'appartiennent pas à l'Alliance atlantique. Tous les pays membres de l'Union européenne, à l'exception de Chypre et Malte, participent à la FIAS. Cette force compte 51 000 hommes répartis dans cinq régions. Les forces françaises sont concentrées dans la région Centre (Kaboul), les renforts ayant été envoyés dans la région Est (vallée de Kapisa).

a estimé que, compte tenu du mandat des Nations unies, l'enjeu était double pour la coalition : il s'agissait, au niveau afghan, de reconstruire le pays, de le stabiliser et de consolider l'Etat de droit, et, au niveau international, de lutter contre le terrorisme, menace de nature mondiale, qui a frappé ces dernières années aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis, en Afrique du Nord ou en Asie. La présence internationale vise également à défendre les Droits de l'Homme, bafoués sous le régime des Talibans qui imposait également une condition indigne aux femmes afghanes.

En ce qui concerne la pacification et la restauration de la stabilité de l'Afghanistan, le ministre a indiqué que la FIAS avait désormais repris pied sur la quasi-totalité du territoire, à l'exception de l'extrême sud-ouest du pays, très peu peuplé, et que les Afghans reprenaient actuellement la gestion de Kaboul, prélude au passage progressif sous responsabilité de l'armée nationale afghane de l'ensemble de la région Centre d'ici le courant de l'année 2009. Il a estimé que le regain de violence de ces derniers mois était essentiellement lié au renforcement de la présence des forces internationales et des forces de sécurité afghanes dans des zones considérées jusqu'alors comme des sanctuaires des Talibans. En 2007, 70 % des incidents relatifs à la sécurité ont eu lieu dans seulement 10 % des 398 districts du pays, soit sur un territoire qui rassemble 6 % de la population.

S'agissant de la formation des forces de sécurité afghanes, M. Hervé Morin a indiqué que l'armée nationale afghane comptait aujourd'hui environ 50 000 hommes contre 20 000 en 2007, l'objectif étant d'atteindre 120 000 hommes en 2009. Les actions de formation prennent diverses formes : les OMLT (Operational Mentoring and Liaison Team) visant à insérer des hommes de la FIAS en accompagnement des unités afghanes, la formation des officiers, à laquelle la France participe à travers l'opération « Epidote », la formation dans le domaine logistique, avec notamment la création de la Driver mechanic school de Kaboul, et la formation des commandos afghans par des forces spéciales françaises et américaines.

Le ministre a indiqué qu'en matière de reconstruction et de développement, la conférence de Paris, organisée au mois de juin à l'initiative de la France, avait permis de réunir de la communauté internationale des engagements s'élevant à 20 milliards de dollars. Il a aussi donné quelques illustrations des progrès accomplis ces dernières années. Le nombre d'enfants scolarisés est passé de 900 000 à 6,5 millions, parmi lesquels 1,5 million de jeunes filles. La mortalité infantile a chuté de 26 %. Le pourcentage de la population afghane ayant accès aux soins est passé de 8 à 80 %. L'Afghanistan compte aujourd'hui 103 hôpitaux et plus de 800 centres de soins. 4 000 kilomètres de routes ont été construits. Les progrès sont aussi tangibles au plan démocratique, puisqu'une élection présidentielle s'est tenue en 2003 et que le prochain scrutin est prévu en 2009, les élections législatives devant avoir lieu en 2010.

Le ministre a toutefois souligné trois faiblesses persistantes : la situation de la police afghane, peu fiable et gangrenée par la corruption ; la gouvernance des institutions politiques et administratives ; le trafic de drogue, l'Afghanistan fournissant 90 % de la production mondiale d'héroïne.

a ensuite présenté le déroulement détaillé de l'opération du 18 août dernier, tel qu'il résulte du témoignage recueilli auprès de chacun des soldats engagés dans les combats et de l'analyse de l'ensemble des instructions et commandements.

Il a précisé qu'à la suite de l'Italie, la France avait pris, depuis le 8 août, la responsabilité de la vallée de l'Ouzbin, rattachée à la région Centre-Capitale et située en limite de la région Est.

Depuis le 15 août, les forces françaises entreprenaient une opération de reconnaissance de la vallée. La mission du 18 août impliquait une section du 8ème RPIMa, des éléments de l'armée nationale afghane, une section du régiment de marche du Tchad et quelques forces spéciales américaines.

A 13 heures 30, la section de tête de la colonne du 8ème RPIMa entame à pied la reconnaissance du col situé à 2 000 mètres d'altitude, les véhicules de l'avant blindés (VAB) restant au village de Sper Kunday et assurant leur couverture.

A 15 heures 45, le groupe de tête est attaqué. Les insurgés, dont le nombre est estimé à une centaine, attaquent simultanément l'ensemble des éléments de la patrouille, à savoir également l'arrière de la section, la section de l'armée nationale afghane, celle du régiment de marche du Tchad et les forces spéciales américaines.

Le camp de base Tora est alerté de cette attaque à 15 heures 52 et envoie la section de réaction rapide en renfort dès 16 heures 10. Celle-ci arrive sur zone vers 17 heures. Les avions A10 américains, spécialisés dans l'appui au sol, sont quant à eux sur zone dès 16 heures 20 mais ils ne peuvent tirer, les Talibans s'étant volontairement imbriqués avec les forces françaises. Ce n'est qu'à 17 heures 40 que les A10 peuvent enfin délivrer le feu. Ils tirent plus de 1 400 munitions, sans qu'aucun tir fratricide ne soit à déplorer, ainsi que l'ont montré les examens effectués ultérieurement. Cet appui aérien décisif permet au commandant de la section de prendre la décision difficile et courageuse de se replier vers Sper Kunday. Ce repli s'effectue avec professionnalisme, sang-froid et une maturité exceptionnelle.

Les tirs talibans sont alors encore trop nourris pour que l'on puisse poser un hélicoptère et évacuer sans risque les premiers blessés. Ce n'est qu'après 20 heures que les forces françaises parviennent à sécuriser une zone pour que les hélicoptères puissent se poser, ce qui permet, outre l'évacuation des blessés, d'assurer l'approvisionnement de nos troupes. Les rotations d'hélicoptères Caracal se poursuivront durant toute la nuit.

L'opération s'est achevée par la reprise du contrôle de l'ensemble de la zone par la FIAS. Si le bilan est lourd pour nos forces, il l'est également pour les insurgés. Les Talibans auraient perdu une quarantaine d'hommes et compteraient une trentaine de blessés.

a indiqué qu'il présenterait au Président de la République, dans les prochains jours, le retour d'expérience de cette opération. Il a tenu à souligner que nos soldats suivaient une formation spéciale de 6 mois avant de partir pour l'Afghanistan et qu'ils méritaient d'être considérés comme des professionnels aguerris, prêts à combattre dans des situations complexes. Pour autant, le risque zéro n'existe pas dans les armées et l'on ne peut que limiter les risques au maximum par des mesures de sécurité et de protection.

Le ministre a estimé que le combat mené par les forces françaises à 7 000 kilomètres de Paris était celui de la communauté internationale contre le terrorisme. Il s'agissait aussi d'éviter la déstabilisation d'une région extrêmement fragile, voisine de l'Iran et du Pakistan. Enfin, nos forces défendent une cause juste : celle des Droits de l'Homme, de la dignité de la femme, de la démocratie.

Il a également souligné que les Talibans ne pouvaient espérer reprendre le contrôle des zones dans lesquelles les forces internationales sont implantées, mais qu'à travers des opérations comme celle du 18 août, menées avec des moyens renforcés, ils visaient à créer le doute dans les opinions publiques, espérant que cela conduirait certains pays à envisager de se retirer.

En conclusion, M. Hervé Morin s'est déclaré convaincu que la communauté internationale n'avait d'autre choix que de poursuivre l'effort qu'elle a engagé, même si cet effort sera nécessairement long. Il a estimé qu'il s'agissait là d'un combat pour notre propre sécurité.

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