Vous savez que, la plupart du temps, c'est la commission des affaires européennes qui examine en premier les textes d'origine européenne. Dans le cas présent, notre commission de l'économie a choisi, le 6 juillet dernier, de se saisir elle-même de cette proposition de directive présentée par la Commission européenne le 22 juin 2011. Disons tout de suite que ce texte a été rédigé rapidement et qu'il comporte de nombreuses imprécisions. J'ai auditionné une vingtaine d'organismes entre la fin du mois d'août et le début du mois d'octobre, en commençant par M. Claude Turmes, rapporteur du texte pour le Parlement européen.
Je vous présente une proposition de résolution que j'ai déposée la semaine dernière, en vous rappelant que vous disposez désormais d'un délai pour déposer des amendements afin que la commission puisse être en mesure d'adopter et de remettre sa position au Gouvernement mi-novembre. En effet, dès le 24 novembre les gouvernements des États membres se rencontreront pour échanger leurs points de vue relatifs à cette proposition de directive.
Cette directive est ambitieuse et comporte de nombreuses dispositions concernant aussi bien les politiques énergétiques des États que les actions des collectivités territoriales, les activités industrielles et les particuliers. L'objectif est de réaliser 20 % d'économies d'énergie d'ici à 2020. Or la commission a constaté que de nombreux pays étaient en retard.
Je vais parcourir les quatre grandes séries de mesures comprises dans ce texte.
En premier lieu, la proposition de directive impose des obligations nouvelles pour les organismes publics. Ceux-ci devront en effet rénover chaque année 3 % des bâtiments qu'ils détiennent. Je formulerai trois objections :
- cet objectif est fixé de manière uniforme dans tous les États membres. Or certains pays ont déjà fait de grands efforts et je vous rappelle que l'Europe, dans d'autres domaines, a proposé des objectifs adaptés à la situation de départ de chaque État. Ainsi, la France doit-elle intégrer 23 % d'énergies renouvelables dans sa production électrique, contre 17 % pour l'Italie et 49 % en Suède. Il devrait en être de même pour le taux de rénovation des bâtiments publics. La loi Grenelle I du 3 août 2009 a déjà prévu en France un programme de rénovation permettant de réduire de 40 % les consommations d'énergie des bâtiments de l'État et les collectivités territoriales ont déjà réalisé de gros travaux de rénovation, en particulier pour les bâtiments scolaires ;
- la contrainte porte sur la surface des bâtiments. Or il faudrait tenir compte de la consommation d'énergie globale des collectivités, en tenant compte des gisements d'économies d'énergie qui existent par exemple dans l'éclairage public ;
- les logements sociaux sont concernés en France, mais pas dans tous les pays, car le texte se fonde sur le statut des organismes qui s'en occupent. Or l'effort doit être fait par tous les pays qui ont des logements sociaux.
En deuxième lieu, la commission propose d'instaurer un mécanisme équivalent aux certificats d'économie d'énergie dans tous les pays de l'Union. Je m'en réjouis car c'est une reconnaissance de l'action menée en France à la suite de la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique ou loi POPE. J'aurai toutefois quelques réserves :
- il faudra veiller à ce que le système proposé par la commission soit compatible avec le mécanisme mis en place en France ;
- la commission voudrait permettre l'échange de certificats entre États : on peut l'envisager à terme, mais cela ne doit pas être un moyen pour les entreprises de se dispenser de réaliser des économies d'énergie sur le territoire national ;
- le texte prévoit des obligations d'économie d'énergie de 1,5 % par an. Ici encore, un chiffre imposé de manière uniforme à tous les pays ne paraît pas approprié ;
- le texte favorise avec raison les audits énergétiques, mais je vous rappelle qu'en France, les diagnostics de performance énergétique produisent des résultats trop variables selon l'organisme qui les réalise : le Gouvernement est en train de mettre en place des règles permettant de les harmoniser. Il faudra a fortiori, au niveau européen, que des règles identiques soient fixées pour tous les pays concernant les audits énergétiques.
En troisième lieu, la commission veut renforcer le comptage et la facturation de l'énergie. Notre nouveau collègue Jean-Claude Lenoir et moi avons présidé le comité de pilotage du compteur Linky, dont le Gouvernement vient de décider la généralisation. Le compteur Linky remplit les objectifs de la proposition de directive en donnant toutes les informations nécessaires au fournisseur, au distributeur et au consommateur.
Cependant, il n'est pas certain que le système de comptage prévu par la directive soit compatible avec celui qui est mis en place en France, concernant par exemple la mise à disposition des informations auprès des clients.
Le texte prévoit aussi la mise en place d'un comptage individuel fournissant une information détaillée non seulement pour l'électricité, mais aussi pour le gaz naturel, le chauffage et le refroidissement urbains et enfin l'eau chaude urbaine à usage domestique. Or la majorité des pays ne seront pas en mesure de fournir cette information pour tous les types d'énergie.
Par ailleurs, le texte prévoit que la facturation précise et fondée sur la consommation réelle soit disponible dès 2015, ce qui entre en contradiction avec la directive 2009/72/CE qui prévoyait le déploiement des compteurs dits intelligents pour 80 % des clients en 2020.
Enfin, la proposition de directive prévoit une facturation en fonction de la consommation réelle chaque mois. Or il est très important que les clients puissent continuer à bénéficier d'un lissage des consommations sur l'année, tout particulièrement pour le gaz dont la consommation varie dans de grandes proportions entre l'été et l'hiver.
En quatrième lieu, la commission met l'accent sur la cogénération. Les installations de production d'électricité de plus de 20 MW, lors de leur création ou de leur rénovation, devraient être équipées d'un dispositif de cogénération à haut rendement.
Une fois de plus, il faut tenir compte des situations de chaque pays. La récupération de chaleur n'a de sens que si on peut utiliser cette chaleur à proximité : le texte prévoit de transporter la chaleur sur 60 à 100 kilomètres de distance, ce que les professionnels contestent. En fait, certains pays froids ont des réseaux de plusieurs dizaines de kilomètres, mais ce n'est pas valable partout. Ainsi, il ne serait pas pertinent de réaliser des investissements lourds pour récupérer la chaleur perdue dans des pays du sud de l'Europe où cette chaleur ne serait pas utilisée.
Le texte ne mentionne pas la petite cogénération. Or celle-ci se développe, notamment à partir de la biomasse, et il faut la favoriser, en prenant bien entendu en compte les coûts que cela entraîne.
En conclusion, je voudrais soulever les points suivants :
- la commission prévoit le passage éventuel à des objectifs obligatoires d'efficacité énergétique. Plusieurs États s'y opposent, à juste titre, car les mesures incitatives sont préférables ;
- le texte laisse de côté le secteur des transports, qui représente 32 % de la consommation d'énergie finale en France. L'immobilier privé, aussi bien les bureaux que les bâtiments commerciaux et résidentiels, ne sont pas concernés par l'obligation de rénovation. Or les bureaux, par exemple, font l'objet de mutations importantes en superficie chaque année, ce qui donnerait l'occasion de formuler des exigences particulières en termes de performance énergétique.
Voilà l'esprit de la proposition de résolution que j'ai déposée. Je suis très favorable à ce qu'elle soit enrichie par les propositions qui seront faites par nos collègues.