Intervention de Bruno Retailleau

Commission des affaires économiques — Réunion du 28 octobre 2008 : 1ère réunion
Diffusion et protection de la création sur internet — Examen du rapport pour avis

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau, rapporteur pour avis :

a souligné la légitimité de la commission des affaires économiques à donner un avis sur ce projet de loi : ce dernier comprend en effet la modification d'un article important du Code des postes et communications électroniques, code dont la commission est familière, et de la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l'économie numérique, dont la commission fut saisie au fond.

Il a tout d'abord souligné l'enjeu économique et artistique du piratage : un milliard de fichiers sont piratés chaque année en France alors que, par ailleurs, depuis cinq ans, l'industrie du disque a vu chuter de moitié ses ventes de CD.

a ensuite exposé le caractère non satisfaisant de la situation juridique actuelle : du fait de la loi droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) de 2006, un pirate encourt une sanction pénale au titre du délit de contrefaçon, qui apparaît disproportionnée par rapport à la faute commise (300 000 euros d'amende et trois ans d'emprisonnement).

L'idée du projet de loi est donc de mettre en place une sanction administrative, plus légère et plus simple, en réponse à tout manquement à l'obligation de sécurisation de l'accès à internet.

Le texte prévoit à cette fin la création de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) se substituant à l'Autorité de régulation des mesures techniques et chargée de faire respecter le droit d'auteur par un mécanisme de « riposte graduée ». Au premier acte de téléchargement illégal, le pirate serait averti par courrier électronique, puis le deuxième acte conduirait à un avertissement par lettre recommandée avec accusé de réception et, enfin, au troisième acte commis dans un délai d'un an, l'abonnement à internet du pirate pourrait être suspendu.

Cependant, la personne considérée comme fautive n'étant pas forcément celle qui commet la faute, mais celle qui a l'obligation de surveiller et de sécuriser son accès à internet, le texte prévoit trois motifs d'exonération de la responsabilité de l'abonné : mise en oeuvre d'un moyen de sécurisation de l'accès, détournement frauduleux de son accès par un tiers, force majeure.

a souligné que son rapport avait cherché à trouver un équilibre, en s'inspirant des conclusions de la mission conduite par M. Denis Olivennes à l'automne 2007. Ces dernières avaient en effet souligné la nécessité d'encourager l'offre légale, parallèlement à la mise en place d'un système de sanction. Il a également appelé à une meilleure articulation de la protection du droit de la propriété intellectuelle avec la protection de la vie privée, notamment en matière de constitution de fichiers. Il a considéré qu'en tout état de cause, si on ne pouvait admettre une atteinte massive au droit de la propriété intellectuelle, la sanction du piratage à travers une riposte graduée ne suffirait pas à résoudre toutes les difficultés de la filière culturelle. Celle-ci doit définir de nouveaux modèles économiques et prendre en compte les contraintes et les opportunités du réseau internet.

a ensuite exposé les trois directions qui avaient orienté son travail.

Tout d'abord, il a exprimé son souhait de promouvoir la dissuasion du piratage, non seulement par la sanction, mais aussi par l'encouragement de l'offre légale, point sur lequel le projet de loi est muet. Cet encouragement pourrait se faire par exemple en conditionnant les aides publiques aux films à leur disponibilité en vidéo à la demande, en renforçant l'interopérabilité ou en réduisant le délai entre la sortie en salle d'un film et sa mise en ligne.

Ensuite, il a indiqué vouloir préserver le potentiel d'internet et du numérique en matière d'emplois et de productivité. Le projet de loi ne doit donc pas porter atteinte à l'essence d'internet, au risque de brider ce gisement de croissance, et ce seulement en France. Conformément aux accords de l'Elysée signés en novembre 2007, tout filtrage des réseaux, très difficile et coûteux à mettre en oeuvre, intrusif et d'une efficacité très discutable, doit donc être écarté.

Enfin il a insisté sur la nécessité d'une meilleure compatibilité entre le droit de propriété intellectuelle et la protection de la vie privée et a déclaré soutenir le principe d'une riposte graduée en trois étapes, proposé par le texte gouvernemental.

Cependant l'audition des responsables du Conseil général des technologies de l'information (CGTI) et de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a fait apparaître un risque de rupture d'égalité des Français devant la loi, induit par le troisième étage de la sanction. En effet, du fait de l'impossibilité de faire un tri entre les flux, la suspension de l'abonnement internet peut conduire, pour plus de 1,2 million de lignes, à la suspension de l'accès au téléphone ou à la télévision par ADSL. M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, a donc souligné le risque d'inconstitutionnalité de cette mesure. Il a proposé de substituer à la suspension de l'abonnement, une amende. Ce type de sanction présente plusieurs avantages : elle frappe chacun de la même façon, évite d'avoir à constituer un fichier destiné à empêcher le réabonnement des internautes suspendus et induit des recettes qui pourraient être distribuées aux artistes lésés. En outre, le rapporteur pour avis a rappelé que le Président de la République avait assimilé l'accès au haut débit à une « commodité essentielle » et que la France plaidait pour l'inclusion du haut débit dans le service universel à l'échelon communautaire, ce qui paraît interdire sa suspension. L'amende est donc préférable, d'autant plus que la Chancellerie, dans une circulaire du 3 janvier 2007, a souligné que « les peines de nature exclusivement pécuniaires apparaissent parfaitement adaptées et proportionnées à la répression du téléchargement illicite qui est essentiellement motivé par un souci d'économie ».

a fait valoir que, par cette modification, le texte se trouverait juridiquement sécurisé et serait moins attentatoire aux libertés.

En conclusion, il a noté que l'avis de la commission des affaires économiques permettait de garder le coeur de la « riposte graduée » tout en la rendant plus efficiente et plus juste. Par ailleurs, il a estimé nécessaire que, face à ce texte difficile et qui donne lieu à des débats ardus, le Sénat se positionne dans le contexte nouveau induit par la révolution numérique et cherche à adapter les réponses d'aujourd'hui et de demain à ce contexte en pleine évolution.

Un débat s'est alors ouvert.

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