Intervention de Claire Brisset

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 janvier 2006 : 1ère réunion
Familles monoparentales et familles recomposées — Audition de Mme Claire Brisset défenseure des enfants

Claire Brisset, Défenseure des enfants :

a indiqué qu'elle allait traiter le sujet des familles monoparentales et recomposées à travers le biais des droits des enfants, dont elle est chargée par la loi d'assurer la défense. Elle a rappelé qu'elle avait d'abord été journaliste sur les questions sociales et qu'elle avait, à ce titre, notamment couvert la loi libéralisant l'avortement en France, puis qu'elle avait travaillé pour l'UNICEF, dont le mandat concerne à la fois les enfants et leurs mères, pendant 12 ans au cours desquels elle avait été très fréquemment au contact de femmes de divers horizons.

Elle a indiqué que la loi avait fixé quatre missions au Défenseur des enfants :

- recevoir des plaintes individuelles concernant le non-respect des droits de l'enfant ;

- relever les dysfonctionnements qui peuvent affecter de façon collective les droits des enfants ;

- formuler des propositions de modification des textes et des pratiques afin de faire cesser ces dysfonctionnements. Mme Claire Brisset a évoqué, au titre de la modification des textes, sa proposition de relever l'âge minimum du mariage des filles de 15 à 18 ans afin de lutter contre les mariages forcés, que le Sénat a votée dans le cadre de la proposition de loi relative à la lutte contre les violences au sein du couple, ou encore de sanctionner pénalement les clients de prostituées mineures. Elle a considéré qu'il était plus difficile de modifier des pratiques, qui sont par définition très décentralisées, que des textes, et a cité, à titre d'exemple, la nécessité pour la France de mener une véritable politique de l'adolescence, notamment en étendant le champ de la pédiatrie à l'hôpital jusqu'à l'âge de 18 ans, et non plus de 15 ans, ou en créant des unités réservées aux adolescents au sein des hôpitaux ;

- diffuser des informations en faveur des droits des enfants, comme le prévoit la Convention internationale relative aux droits des enfants, ces informations devant être orientées en priorité vers les familles qui sont très souvent à l'origine de la violation des droits des enfants.

a indiqué que, depuis 2000, début de son mandat de six ans, elle avait été saisie de la situation de 11 000 enfants au total, et a souligné la croissance de 30 % du nombre de saisines entre 2004 et 2005. Elle a rappelé que le législateur avait tenu à ce que le Défenseur des enfants puisse être saisi directement et non par l'intermédiaire d'un parlementaire, comme c'est le cas pour le Médiateur de la République. Elle a précisé que les enfants, qui interviennent à la fois par écrit et par message électronique, étaient à l'origine d'environ 10 % du nombre de saisines, de même que les associations. Elle a noté que les 80 % de saisines restantes étaient le fait des parents, ces saisines étant réalisées à hauteur de 11 % par des couples, par des pères pour 16 % et par des mères pour 35 %. Elle a précisé que 61 % des adultes auteurs de ces saisines étaient des parents célibataires, divorcés ou séparés et que 10 % d'entre eux étaient veufs. Elle a donc fait observer que 71 % des auteurs des saisines, soit une proportion écrasante, vivaient seuls avec leurs enfants ou avec des personnes qui ne sont pas leurs parents. Elle a également indiqué que certaines personnes saisissaient le Défenseur des enfants, même si la loi ne l'avait pas prévu, par exemple des médecins, des magistrats, des avocats, ainsi que des grands-parents, ces derniers représentant 5 % des auteurs des saisines - dont deux fois plus de grands-parents maternels que de grands-parents paternels -. Elle a expliqué que, dans ces éventualités, elle décidait de s'autosaisir si elle l'estimait nécessaire et a cité l'exemple de l'action qu'elle avait entreprise suite à la saisine de grands-parents ayant signalé l'incapacité de leur fille malade mentale à élever l'enfant qu'elle avait eu d'un père inconnu.

a ensuite exposé l'objet de ces saisines. Elle a indiqué qu'un tiers des saisines concernait, de façon constante, des conflits familiaux inextricables et souvent marqués par une extrême violence, tels que des enlèvements d'enfants, transnationaux ou vers l'outre-mer, ainsi que des décisions de justice inappliquées. Elle a ensuite noté que, pour la première fois en 2005, la situation d'enfants étrangers constituait le deuxième motif de saisine, qu'ils arrivent seuls sur le territoire national ou en famille, notamment dans le cadre d'une procédure de demande d'asile. Elle a précisé que les conflits avec l'éducation nationale arrivaient en troisième position, et qu'ils laissaient apparaître une évolution marquée par une forte diminution des mauvais traitements infligés par des enseignants à leurs élèves, mais, en revanche, par une hausse des saisines liées à la situation des enfants handicapés à l'école, regrettant l'absence de structures d'accueil adaptées, en particulier pour les enfants polyhandicapés, qui oblige les familles à avoir recours à des établissements spécialisés à l'étranger, notamment en Belgique. Selon elle, la faiblesse de la prise en compte des enfants handicapés par notre société a pu mériter la qualification de scandale national. Enfin, elle a souligné l'existence d'autres causes de saisine, telles que des problèmes de logement, de placement d'enfants ou encore liés à l'incarcération d'un parent, voire à l'influence de sectes. Elle a conclu en insistant sur le fait que les femmes et les enfants se trouvant dans des situations familiales difficiles constituaient la source majoritaire des saisines du Défenseur des enfants.

a cité l'étude conjointe de l'Institut national d'études démographiques (INED) et de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de 1998 sur les familles monoparentales, qui fait ressortir que plus d'un million et demi d'enfants vivaient alors au sein de familles monoparentales, dont 84,8 % avec leurs mères. Elle a estimé que la solitude de ces mères était la source de différents problèmes, en particulier le regard social porté sur elles, qui peut s'apparenter à une stigmatisation, même si celle-ci a indéniablement reculé depuis une cinquantaine d'années. Elle a également souligné la précarité et la pauvreté qui affectent très souvent les familles monoparentales et a attiré l'attention, à ce sujet, sur le récent rapport de M. Martin Hirsch, président d'Emmaüs France. Elle a également évoqué les problèmes juridiques auxquels sont confrontées ces femmes, en particulier leurs difficultés d'accès aux droits qui leur sont ouverts au titre de très nombreuses allocations, qui forment aujourd'hui un « maquis » complexe. Elle a également fait observer que beaucoup de ces femmes rencontraient des difficultés liées à leurs horaires de travail, en particulier dans le milieu hospitalier et la grande distribution.

a ensuite évoqué la question de la scolarité à deux ans, constatant que la France était le seul pays industrialisé à envoyer des « bébés » à l'école. Elle a en effet considéré que cette situation constituait souvent un pis-aller, faute de moyens pour placer les enfants dans une crèche, notamment en cas de chômage des parents. Elle a souligné l'absence d'études solides sur les avantages d'une scolarité à deux ans, comme le lui avaient d'ailleurs fait remarquer plusieurs pédopsychiatres, enseignants et linguistes. Elle a précisé que le processus d'acquisition du langage pouvait être perturbé par une scolarisation trop précoce, faute pour l'enfant d'avoir un contact suffisant avec des adultes, d'autant plus que les enseignants ne recevaient pas de formation adaptée à cette classe d'âge et que les besoins de sommeil des enfants pendant la journée ne pouvaient être respectés dans le cadre de l'école. Selon elle, l'école à deux ans est donc une « fausse bonne idée », qui peut être à l'origine d'un retard linguistique important et parfois difficilement rattrapable. Elle a conclu en indiquant que de nombreuses femmes élevant seules leurs enfants les envoyaient à l'école dès l'âge de deux ans parce qu'elles n'avaient, en réalité, pas le choix, faute de modes de garde adaptés.

Elle a expliqué que l'absence de référence paternelle pouvait également être source de difficultés pour les familles monoparentales, rappelant que 85 % des enfants de parents séparés étaient placés chez leur mère et qu'un tiers d'entre eux n'avait plus de contacts avec leur père. Elle a donc appelé de ses voeux le développement d'actions en faveur du soutien à la parentalité.

a fait observer que les familles recomposées étaient confrontées à des difficultés différentes, dont les germes sont par nature présents au sein de ce type de familles. Elle a considéré que l'insécurité psychologique et l'instabilité dans lesquelles vivent parfois les familles recomposées trouvaient leurs sources dans des conflits structurels qui peuvent conduire à des violences parfois très vives.

Puis elle a souligné les problèmes causés par l'absence de statut juridique des beaux-parents, indiquant, par exemple, que la seule solution pour faire naître des liens de droit entre un beau-père et l'enfant de sa femme était de l'adopter. A ce titre, elle a noté que la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les droits de la famille et de l'enfant allait remettre très prochainement ses conclusions, qui devraient comporter un certain nombre de recommandations relatives à l'institution d'un statut du beau-parent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion