s'est associé aux remerciements adressés par M. Philippe Marini, président, aux membres de la mission, pour la contribution qu'ils avaient apportée à la réflexion commune. Il a souligné l'intérêt qu'avait représenté, à ses yeux, l'engagement d'une démarche conjointe à trois commissions permanentes du Sénat, permettant de conjuguer des points de vue et des angles d'approche complémentaires. Il a exposé la philosophie qui avait guidé l'élaboration des propositions du rapport de la mission : agir sur les « causes », c'est-à-dire les déficits d'attractivité et d'efficacité, et donc sur un plan économique, plutôt que sur les « effets », en l'occurrence les tentatives de prises de contrôle, par la mise en place d'obstacles juridiques qu'il a jugés « sans doute illusoires ». Il a fait valoir que, du point de vue de la mission, la protection la plus efficace des entreprises tenait à la qualité de leurs performances, et l'amélioration de la protection des territoires au renforcement de leur compétitivité. Il a précisé que l'Etat n'avait pas à se substituer aux entreprises, mais qu'il pouvait, cependant, contribuer à la mobilisation des forces des agents économiques nationaux par une action volontariste.
Il a alors présenté ses propositions, au nombre de 28, regroupées en trois grandes séries distinctes. La première série consiste dans 8 mesures de gouvernance des entreprises, tendant à maintenir les centres de décision sur le territoire national. M. Christian Gaudin, rapporteur a distingué quatre rubriques.
A la première rubrique, relative au droit des sociétés, il a proposé :
- 1° d'étendre l'usage des actions à droit de vote multiple, en s'inspirant par exemple de l'expérience des pays nordiques. Sur ce point, il a indiqué qu'il était possible de faciliter la création de nouvelles catégories d'actions comme de faire varier, selon la durée de détention des titres, les droits attachés à l'actionnaire ;
- 2° de consacrer, sur le plan juridique, la notion de groupe de sociétés, en créant un régime optionnel, inspiré de la pratique allemande. Il a précisé que cette réforme se traduirait par la mise en place d'une convention de contrôle et par le transfert de certaines obligations et responsabilités à la société « contrôlante » ;
- 3° d'utiliser la fiducie pour détenir des actions lors d'opérations de rapprochement. Il a rappelé que la fiducie avait été introduite dans le droit français par la loi du 19 février 2007.
A la deuxième rubrique, relative au droit du travail, il a envisagé :
- d'une part, de recommander l'accroissement de l'actionnariat des salariés. Il a souligné le rôle stabilisateur, pour la mise en oeuvre des stratégies à moyen et à long termes des entreprises, de ce type d'actionnariat ;
- d'autre part, de renforcer les droits à l'information des salariés, notamment à partir du modèle néerlandais, en vue d'obtenir, des initiateurs d'offres publiques, qu'ils explicitent leurs intentions industrielles.
La troisième rubrique de ces mesures relatives à la gouvernance vise la protection des secteurs sensibles. A cet égard, il a d'abord proposé, sur le plan interne, de mettre en oeuvre, d'une manière effective, le décret du 30 décembre 2005 sur les secteurs sensibles. Sur le plan international, ensuite, il a préconisé de négocier une pratique plus homogène de la réglementation anti-corruption de l'OCDE. Il a fait valoir que l'objectif, en la matière, était de ne pas handicaper les industries sensibles de notre pays par une application plus stricte que celle de ses concurrents.
La quatrième et dernière rubrique concerne les aspects linguistiques. En effet, il a rappelé que, tout au long des auditions auxquelles la mission avait procédé, le sujet était apparu comme fondamental, dans la mesure où la langue constitue un élément clé de la culture d'entreprise. En conséquence, tout en encourageant la maîtrise de l'anglais partout où elle s'avérait indispensable, il a proposé d'inciter à la préservation de l'usage du français comme langue de travail dans l'entreprise. Il a exposé que, dans cette optique, les dispositions de la loi du 4 août 1994, dite loi « Toubon », pourraient être complétées sur plusieurs aspects.
Puis il a présenté une deuxième série de propositions, tenant en 9 mesures destinées à favoriser la compétitivité et l'attractivité du territoire français.
En premier lieu, il a proposé 5 mesures en faveur des quartiers généraux des firmes globales et des centres de décision secondaires :
- 1° renforcer l'attractivité du site « France » pour les cadres de haut niveau et, plus généralement, pour les talents de niveau mondial, par la mise en place d'un régime de résident fiscal temporaire, sur le modèle des « non ordinary residents » britanniques ;
- 2° accroître la prévisibilité et la lisibilité du droit national, en particulier en matière de relations sociales et d'emploi, en vue d'atténuer une complexité préjudiciable à l'attractivité du territoire ;
- 3° assouplir certaines procédures administratives, telles que l'obtention des visas, dans le cadre d'une politique d'immigration « choisie » ;
- 4° clarifier la procédure de rescrit fiscal, tout en raccourcissant ses délais ;
- 5° orienter plus nettement l'Agence française des investissements internationaux (AFII) vers un travail d'analyse comparative (« bench-marking ») en matière de centres de décision au sens large. Il a précisé que ce travail tiendrait compte, en particulier, des emplois dans le secteur de la recherche, en prenant notamment pour référence les performances des pays nordiques et du Royaume-Uni.
En second lieu, il a appelé au renforcement, sur 4 points, de mesures de compétitivité bénéficiant à l'ensemble du tissu économique.
D'abord, il a proposé un renforcement de la compétitivité du droit français, non seulement en améliorant sa prévisibilité et sa lisibilité, mais encore en prenant, par anticipation, des mesures d'adaptation juridique aux nouveaux marchés. En particulier, il a précisé qu'il convenait de consolider les atouts de la place financière de Paris par certaines mesures techniques, par exemple en encourageant le développement de la finance islamique par la suppression des frottements fiscaux et juridiques.
Ensuite, il a proposé d'encourager les entreprises à accomplir des sauts de productivité, notamment par la reconfiguration des processus de production, la rationalisation des sites ou le rapprochement avec les clients, ou encore par la concentration sur des activités à plus forte valeur ajoutée.
Il a en outre préconisé d'aménager le droit des brevets, grâce à la ratification du protocole de Londres, et de poursuivre les négociations sur le brevet communautaire.
Enfin, il a estimé qu'il était impératif d'internationaliser la recherche et les universités françaises, en prenant soin de développer les synergies autour des pôles de compétitivité. Prenant l'exemple du secteur automobile, il a fait observer que la France souffrait d'un déficit de partenariats entre constructeurs et équipementiers petits ou moyens, mais aussi de recherches soutenues par l'Etat et les universités.
Il a alors détaillé la troisième et dernière série de ses propositions, soit 11 mesures structurelles de consolidation économique à moyen et à long termes, regroupées en quatre ensembles.
Le premier ensemble vise à favoriser l'épargne longue. Dans ce but, il a formulé trois propositions.
En premier lieu, il a préconisé le développement de l'épargne retraite, en suivant plus attentivement l'élaboration des normes internationales. Notamment, il a appelé à un effort d'infléchissement de la future directive communautaire « Solvabilité II », de telle sorte que les investisseurs institutionnels français ne soient pas handicapés et que la part relative des placements en actions soit maintenue et renforcée.
En deuxième lieu, il a préconisé que soit encouragé le « capital-patient », pour l'amorçage des jeunes entreprises. C'est dans cet esprit qu'il a souhaité le réexamen et la simplification du régime des outils de capital-risque et de placement dans l'innovation.
En troisième et dernier lieu, il a préconisé un encouragement de l'actionnariat de type familial, dont il a souligné le caractère fortement stabilisateur pour le capital. A cet effet, il a proposé d'atténuer les handicaps fiscaux susceptibles d'affecter la pérennité de cet actionnariat.
Le deuxième ensemble de mesures entend poursuivre l'allègement des charges pesant sur les entreprises. A cet égard, il a proposé :
- 1° d'abaisser le taux facial de l'impôt sur les sociétés. Il a précisé que, dans un premier temps, cette baisse pourrait être réalisée à un niveau légèrement inférieur à 30 %, par le « recyclage » de niches fiscales et de certaines aides aux entreprises. De manière concomitante, il a jugé nécessaire d'harmoniser l'assiette de cet impôt, en soutenant à Bruxelles l'initiative communautaire « ACCIS » ;
- 2° d'étendre la diffusion du régime du bénéfice mondial consolidé. Dans cette perspective, il a souhaité que la mission demande au gouvernement d'examiner, à la lumière des expériences étrangères, les avantages et les inconvénients que présente le maintien du principe de territorialité de l'impôt sur les sociétés ;
- 3° de renforcer l'attractivité du régime d'intégration fiscale par l'introduction de modalités intermédiaires, à caractère optionnel ou se substituant au dispositif actuel. Il a envisagé que l'intégration soit proportionnelle, à partir d'un seuil de détention de 75 %, puis intégrale au-delà de 95 % ;
- 4° d'expérimenter la TVA sociale, afin d'alléger les charges et de mieux répartir le poids de la protection sociale entre produits nationaux et produits importés.
Le troisième ensemble de ces propositions structurelles s'attache à renforcer la résilience du tissu économique national. A cet égard, il a recommandé, au niveau des territoires, la promotion des écosystèmes susceptibles de s'auto-renforcer, de nature à rendre les adaptations moins douloureuses et, par conséquent, plus faciles, en assurant une « défense opérationnelle économique du territoire ». En particulier, il a appelé à la réforme des universités, en vue de la création d'un vivier de talents rendant plus liquide et plus profond le « marché des compétences ». Sur ce plan, il a proposé de renforcer les actions en faveur des chercheurs français à l'étranger, en veillant aux conditions de leur retour, et, à la fois, de développer l'accueil des étudiants et chercheurs étrangers à haut potentiel.
Le quatrième et dernier ensemble tend à favoriser la constitution de champions nationaux ou européens ayant une taille critique au niveau mondial. Il a présenté, dans cette perspective, trois propositions :
- d'abord, utiliser les positions d'actionnariat direct et indirect et ne pas hésiter à favoriser les rapprochements au niveau national ou européen, afin d'éviter que les entreprises françaises, du fait de leur petite taille, ne deviennent des proies faciles pour des « prédateurs » ;
- ensuite, s'attacher à faire évoluer la politique de la concurrence de la Commission européenne, en vue de favoriser la constitution de champions européens ;
- enfin, promouvoir, au niveau européen, les programmes coordonnés dans les domaines de haute technologie, par exemple l'adoption de standards techniques communs en matière de télécommunications.
Pour conclure, M. Christian Gaudin, rapporteur, a fait valoir que les 28 propositions qu'il venait de développer, quelle que soit leur ampleur respective, répond toutes à la nécessité de « promouvoir la souveraineté économique de la France à l'heure de la mondialisation ». Il a proposé en conséquence ce sous-titre pour le rapport de la mission.
Un débat s'est alors engagé.