Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous connaissez mon opinion sur l'apprentissage puisque, chaque année, au cours de la discussion budgétaire, je suis chargée de rapporter devant vous les crédits le concernant.
Aussi, vous vous dispenserez de toute interprétation inopportune sur ma prétendue position anti-apprentissage, puisqu'il est écrit dans mon rapport : « l'apprentissage peut également apparaître comme une filière de réussite, participant aux objectifs d'élévation des niveaux de formation ».
Cependant, vous l'aurez compris, je ne parle pas de l'apprentissage au sens de la transformation qui en est proposée au travers de ce texte.
En effet, dans ce même rapport, je me positionnais contre l'apprentissage à quatorze ans, résumant ainsi ma position : « il ne va pas dans le sens d'une revalorisation de l'image de l'apprentissage. Le système éducatif doit garantir en effet à toutes et tous les jeunes l'acquisition d'un niveau de formation générale suffisamment élevé pour leur épanouissement et leur émancipation [...] ; en outre, les métiers d'aujourd'hui sont en constante évolution et, de plus en plus fréquemment, le monde du travail demande à chaque salarié(e) de se réorienter [...], en passant par des périodes de formation continue, d'où l'importance d'une formation initiale de qualité. Enfin, l'apprentissage doit s'appuyer sur un projet professionnel solide, et votre rapporteur doute que de si jeunes élèves aient la maturité suffisante pour l'élaborer ».
Je veux d'abord dire haut et fort que cet apprentissage dès quatorze ans marque, pour nous communistes, un recul de société historique et inacceptable, car il s'agit avant tout d'expulser du système scolaire avant qu'ils aient atteint l'âge de seize ans les jeunes les plus en difficulté. Dans le même temps, il constitue une véritable remise en cause de l'obligation scolaire jusqu'à seize ans !
De plus, loin de constituer une voie de diversification au collège, cette mesure signe la fin du collège pour tous, en instaurant une voie d'exclusion sans apporter aucune réponse aux besoins de ces jeunes.
C'est une mesure supplémentaire de renoncement à tout effort pour garantir la réussite scolaire pour tous, et elle constitue une stigmatisation pour une partie de la jeunesse.
Cette nouvelle filière équivaut à une préorientation deux ans avant le terme de la scolarité obligatoire, et ne peut constituer une réponse aux difficultés scolaires des collégiens, pour qui la maîtrise des savoirs et des connaissances doit rester l'objectif fondamental du système éducatif national.
Ces élèves seront donc éjectés du système scolaire, davantage stigmatisés et étiquetés comme étant des éléves « à problèmes ». Les conséquences risquent d'être dramatiques pour nombre d'entre eux, tant sur le plan psychologique que sur le plan social.
Par ailleurs, et c'est là un aspect particulièrement inadmissible de ce projet de loi, en prétendant apporter une solution au problème de ces élèves, vous les livrez au marché du travail - qui plus est du travail de nuit ! - et à des conditions bien plus dégradées que celles que connaît le reste du salariat et sans garantie de quoi que ce soit !
Pourtant chacun sait qu'il faut au contraire à ces jeunes « plus et surtout mieux d'école ». Ce n'est donc pas en leur donnant « moins d'école » qu'on leur permettra de résoudre leurs difficultés.
De plus, toutes les études montrent aujourd'hui la nécessité d'élever les niveaux de qualification. Le monde professionnel, lui-même, assure qu'il a besoin de jeunes de plus en plus qualifiés.
Ainsi, vous mentez aux jeunes et vous mentez aux familles en leur faisant croire que ce dispositif facilitera l'accès à une qualification. Aucune réelle perspective d'avenir ne leur est offerte. Pourquoi les patrons embaucheraient-ils plus facilement les enfants de quatorze ans que ceux de seize ans ?
C'est un miroir aux alouettes. D'autant que la discrimination est énorme pour l'obtention des stages. Monsieur Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois, l'a d'ailleurs fort justement dénoncé hier.
Vous leur mentez également quand vous leur faites croire que, après avoir été privés des enseignements nécessaires, ils pourraient réintégrer à tout moment le cursus ordinaire et y réussir.
Par ailleurs, en faisant rimer de nouveau difficultés et orientation professionnelle précoce, en répondant à l'échec scolaire par l'apprentissage, vous contribuez à dévaloriser encore un peu plus la voie professionnelle de formation et, surtout, vous vous exonérez de toute réflexion sur les causes réelles de l'incapacité du système éducatif à prendre en charge les difficultés scolaires de ces jeunes.
L'école, aujourd'hui, ne permet pas à tous les jeunes de notre pays d'accomplir leur parcours scolaire avec succès, et nous en sommes bien conscients.
Cependant des solutions existent pour mettre un terme à cette situation. C'est d'ailleurs le sens de la proposition de loi pour une école de l'égalité, de la justice et de la réussite de tous les jeunes, que nous avons déposée sur le bureau du Sénat en mars 2005. Au travers de ce texte, nous vous invitions à mettre en oeuvre une toute autre politique éducative que celle qui est contenue dans votre récent projet de loi, adopté, je vous le rappelle, contre l'avis de pratiquement tous les partenaires de l'école.
Pour notre part, nous affirmons qu'il est urgent de refonder un service public d'éducation nationale, qui ne saurait être considéré comme une activité marchande. Ses missions doivent obéir aux principes de laïcité de l'enseignement et des personnels de l'État, de gratuité tout au long de la scolarité, d'obligation scolaire et d'égalité pour tous les élèves face à l'éducation. Cette école doit offrir des conditions de scolarisation améliorées pour tous, dès la maternelle et tout au long de la scolarité obligatoire, afin d'amener chaque jeune à un haut niveau de formation générale, professionnelle et citoyenne.
Dans cette optique, l'école maternelle est la première étape de la scolarité. Mais aujourd'hui cette école est menacée, notamment par manque de moyens et d'enseignants, car telle est votre politique.
Pour ce qui nous concerne, nous proposons que l'école soit rendue obligatoire de trois à dix-huit ans et que soit ouvert le droit à la scolarisation dès l'âge de deux ans pour les familles qui en émettent le souhait.
Par ailleurs, nous proposons la création d'observatoires de la scolarité avec pour objectif de donner à l'ensemble de la communauté éducative, à tous les niveaux, des outils communs de diagnostic et d'initiative.