Intervention de Guy Fischer

Réunion du 24 février 2006 à 15h15
Égalité des chances — Article 1er

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'article 1er du présent projet de loi est, si l'on en croit l'exposé des motifs, l'un des éléments fondamentaux de la politique de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances.

On peut ainsi lire dans l'exposé des motifs : « Dans leur parcours scolaire, de nombreux jeunes sont aujourd'hui confrontés à des difficultés qui les conduisent à n'entrevoir aucune perspective d'avenir au sein de notre société. La création du dispositif d'apprentissage junior doit leur permettre de retrouver confiance en leurs capacités et le goût de la réussite en consolidant l'acquisition de connaissances fondamentales et en accédant à une formation initiale diplômante que permet l'apprentissage. [...]

« Enfin, le dispositif d'apprentissage junior concourt à renforcer la voie d'excellence qu'est l'apprentissage et contribue à atteindre l'objectif de 500 000 apprentis fixé par le Gouvernement. »

C'est à se demander si l'essentiel dans le dispositif qui nous est proposé n'est pas de créer les conditions pour atteindre l'objectif de 500 000 contrats d'apprentissage que s'est fixé le Gouvernement. Il est vrai que 500 000 apprentis répertoriés âgés de seize à vingt-cinq ans, cela fait autant de jeunes que l'on peut soustraire, sans trop de risques, à la douloureuse présentation statistique du chômage.

À vrai dire, tout se passe quelque peu comme si le développement de l'apprentissage était instrumentalisé aux seules fins de pouvoir, dans une douzaine de mois, présenter un bilan pas trop négatif sur la question de l'emploi. Car tous les moyens sont bons en ces matières pour parvenir à réduire le nombre de personnes privées d'emploi.

Les études menées ces derniers temps par les services de l'emploi sont d'ailleurs intéressantes. Si le nombre de demandeurs d'emploi dits de première catégorie est en baisse - une diminution largement organisée à grands coups de radiations statistiques -, celui des chômeurs d'autres catégories n'est pas en réduction. Ainsi, notre pays compte plus de 516 000 chômeurs à la recherche d'une activité réduite inférieure à un mi-temps et plus de 600 000 chômeurs à la recherche d'une activité réduite supérieure à un mi-temps.

De plus, sans revenir inutilement sur le sujet, notons que ce sont de 120 000 à 170 000 chômeurs qui font l'objet, tous les mois, depuis le début de l'année 2005, d'une radiation pour absence au contrôle.

Les jeunes sont particulièrement concernés par le chômage, puisque le taux global de chômage des jeunes de 15 ans à 24 ans sortis du système scolaire atteint le niveau exceptionnellement élevé de 17 % chez les jeunes hommes et de 24 % chez les jeunes femmes, avec des niveaux respectifs de 36 % et 41 % dans les zones urbaines sensibles, comme les Minguettes à Lyon.

Cette situation corrobore évidemment les éléments fournis par le recensement général de la population, qui attestent de la grande vulnérabilité, dans le monde du travail, des jeunes qui sont sortis un peu trop tôt de la vie scolaire.

L'apprentissage junior peut-elle constituer une réponse adaptée ?

À dire vrai, cette réponse est totalement contradictoire, et tout laisse penser que cette forme de passage obligé par la voie professionnelle dès l'âge de quatorze ans ne concourra pas à la satisfaction des besoins en personnel qualifié de nos entreprises.

Qu'on le veuille ou non, le passage à un contrat d'apprentissage junior va s'apparenter, pour l'élève, à une forme d'orientation par l'échec, aucun diplôme n'étant censé sanctionner le présent contrat et aucun contenu n'étant réellement fixé quant aux objectifs pédagogiques de ce type de démarche.

L'article 1er est plus que contestable : il remet en question le droit à la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans, sur lequel repose, depuis plus de quarante ans, l'élévation du niveau de formation de notre jeunesse.

L'apprentissage junior va clairement à l'encontre de ce mouvement global de qualification : à une difficulté scolaire plus ou moins affirmée, nous allons répondre par l'illusion d'une formation prétendument professionnelle, qui ne fera que mettre des jeunes sans qualification réelle aux prises avec les aléas de la vie professionnelle.

Nous ne sommes pas même certains que l'apprentissage junior corresponde à une demande expresse formulée par les milieux professionnels. On nous l'a dit.

Dans bien des métiers, dans nombre de secteurs, pour des raisons parfaitement légitimes au demeurant, on sollicite un relèvement du niveau de qualification et une plus grande maîtrise des fondamentaux de la culture scolaire commune.

L'apprentissage junior, très concrètement, dans un contexte de fortes tensions au sujet des comptes publics, c'est de l'argent public gaspillé, sans garantie d'efficacité en termes d'insertion professionnelle.

Vous comprendrez donc, messieurs les ministres, que nous ne puissions vous suivre dans cette voie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion