Intervention de Bernard Vera

Réunion du 24 février 2006 à 15h15
Égalité des chances — Article 1er

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le contrat d'apprentissage junior est à nos yeux inacceptable.

Au-delà de son apparente souplesse, c'est en réalité un contrat précaire, dont les objectifs seront sans doute assez mal définis et qui participeront autant de la sensibilisation au métier et à l'activité professionnelle que d'une orientation précoce des jeunes qui tendra à favoriser des sorties accélérées du système scolaire pour un nombre croissant de nos enfants.

Sur quelle analyse, en effet, la construction de l'apprentissage junior se fonde-t-elle ?

C'est à partir de la situation scolaire et de la position des jeunes au regard de la réussite scolaire que le concept d'apprentissage junior se définit.

Si l'on suit les auteurs du projet de loi, l'école ne serait plus en situation de faire face aux enjeux de la qualification des jeunes et de la culture commune dont la scolarité vise à assurer l'acquisition.

Le nombre d'enfants ayant deux ans de retard à l'entrée en sixième représente, pour l'ensemble du pays, 3, 4 % des effectifs. Cette proportion s'avère deux fois plus importante dans les quartiers urbains les plus sensibles.

Le nombre de collégiens parvenant en troisième constitue environ les trois quarts des effectifs scolarisés de l'ensemble de notre pays. Sur ce point, demeurer dans une commune plutôt favorisée ou dans un quartier plus sensible fait d'ailleurs peu de différence.

L'essentiel de la différenciation des parcours intervient à la sortie de la troisième, puisque l'on oriente beaucoup plus facilement les jeunes issus des quartiers les plus sensibles vers les lycées d'enseignement professionnel et les filières technologiques des lycées d'enseignement général.

En ZUS par exemple, 22 % des élèves sont orientés vers un bac S, tandis que ce taux est de 29, 5 % dans l'ensemble des établissements scolaires.

On oriente a contrario 17, 5 % des jeunes des quartiers sensibles vers les sections STT, contre 12, 5 % pour l'ensemble des lycéens.

Dans certains établissements, qui ne sont d'ailleurs pas nécessairement classés en zone urbaine sensible, mais qui bénéficient pourtant du classement en ZEP, il est fréquent que 40 % à 50 % des collégiens soient orientés ailleurs que vers un lycée général.

De fait, l'apprentissage junior se présente donc comme une anticipation de ces orientations.

Il ne permet pas de revenir sur l'inégalité d'accès à la formation entre les jeunes : il s'agit concrètement de placer le plus tôt possible certains jeunes sur les rails des formations techniques courtes.

Cette disposition est donc clairement discriminatoire.

À qui fera-t-on croire que l'inscription d'un jeune en contrat d'apprentissage junior pourra constituer une orientation fondée sur le succès ?

En réalité, la mise en oeuvre de l'article 1er constituera une nouvelle formule d'orientation par l'échec.

De plus, cette disposition est encouragée, puisque le crédit d'impôt associé au contrat va être majoré.

Cela se fait de surcroît au moment où l'on envisage clairement, pour la rentrée prochaine, de supprimer les ZEP, qui auraient échoué dans leur mission de formation - ce qui reste à prouver, chiffres à l'appui - pour les remplacer par un nombre plus réduit de pôles où l'on fournirait des efforts particuliers.

La réduction des crédits des ZEP va-t-elle servir à financer la montée en charge des sommes consacrées à l'apprentissage junior ?

Ce serait faire un usage pour le moins discutable des impôts qui sont payés par tous les contribuables de notre pays, y compris les parents des jeunes que vous allez livrer à l'incertitude et au tâtonnement d'une démarche de formation fortement sujette à caution.

Dans ces conditions, messieurs les ministres, vous comprendrez que nous ne puissions, là encore, vous suivre dans cette voie.

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