Abordant ensuite le thème concernant les restitutions à l'exportation des produits agricoles, qui a été le thème central de la Conférence, M. Jean Bizet a précisé que l'objectif de toutes les délégations était de contraindre l'Union européenne à s'engager sur une date butoir, aussi rapprochée que possible. Il a rappelé que si l'UE avait toujours déclaré accepter cette perspective, c'était sous la réserve que, dans le même temps, soient démantelés tous les mécanismes, très opaques, de soutien utilisés par les Etats-Unis et les autres grands pays producteurs, tels l'Australie ou le Canada : les « marketing loans », l'aide alimentaire et l'intervention des sociétés monopolistiques d'État. Après avoir souligné que les restitutions communautaires s'élevaient à 3 milliards d'euros, alors qu'elles représentaient 12,5 milliards d'euros aux États-Unis, il a estimé que le résultat de cet aspect de la négociation était partagé ; il a en effet observé que l'Union européenne :
- avait préservé l'essentiel en acceptant l'élimination des restitutions au plus tard en 2013, et d'une façon substantielle vers 2010, c'est-à-dire selon un calendrier respectant totalement les accords communautaires sur la PAC et ses perspectives financières, et dans des termes techniques qui devraient en réalité permettre de supporter aisément le choc ;
- avait obtenu, en contrepartie « conditionnelle » à cet engagement, que les autres pays exportateurs s'engagent sur des « disciplines » sur leurs propres outils d'exportation, que les modalités soient négociées d'ici le 30 avril 2006 et validées par la réunion ministérielle de Genève, et que les offres chiffrées soient déposées avant le 30 juillet 2006 ;
- avait dû céder en revanche, sur le plan des principes, à la très forte pression qui pesait sur elle en acceptant que le débat porte presque exclusivement sur les restitutions, abandonnant de facto son « approche globale » de la négociation, formule qui soulignait que toute avancée sur le dossier agricole devrait s'accompagner d'un accord sur les autres lignes de négociation, bien plus importantes pour elle, qu'étaient l'accès au marché des produits non agricoles, c'est-à-dire globalement les biens industriels (NAMA), et les services.
En ce qui concerne précisément le NAMA, troisième thème de la Conférence, M. Jean Bizet a indiqué que l'UE avait réaffirmé l'engagement qui était le sien depuis le début du Cycle de Doha : une plus grande ouverture du marché intérieur aux produits agricoles - marché qui est déjà le plus ouvert du monde - était soumise à la condition que les pays bénéficiaires accomplissent un effort parallèle d'ouverture de leurs marchés industriels. Il a relevé que, nonobstant, les pays du G 20, emmenés par le Brésil, avaient fait montre de leurs réticences à l'ouverture de leurs marchés aux produits industriels étrangers, bloquant de facto la question du NAMA à Hong Kong, au grand dam de l'UE. Il a en outre observé que les PMA et plusieurs pays en développement (ACP ou G 90) n'étaient pour leur part pas mécontents de ce statu quo, un plus grand accès au marché communautaire des produits agricoles du G 20 réduisant les avantages comparatifs de leurs propres produits, qui bénéficient du système dit du « traitement spécial et différencié », et étant ainsi susceptible de les placer en position concurrentielle difficile.
Enfin, M. Jean Bizet a regretté que dernier thème de la Conférence, qui concernait les services, n'ait pratiquement pas été abordé, relevant que cela constituait un problème pour l'UE et son économie, leader mondial dans ce secteur qui représente une réserve de croissance et d'emplois très importante, et plutôt une bonne chose pour les Etats-Unis ainsi que pour quelques membres du G 20 comme l'Inde ou le Brésil, qui allaient pouvoir disposer d'un temps plus long pour se construire une industrie de services capable de soutenir la concurrence des services européens. A cet égard, il a ajouté qu'il lui semblait nécessaire que, pour affermir son marché intérieur, l'UE résolve, au plan communautaire, un certain nombre de questions, notamment dans le cadre du prochain examen de la directive « services », dite Bolkestein.
Pour conclure, M. Jean Bizet a souhaité dresser un bilan global de la 6e Conférence ministérielle de Hong Kong.
Il s'est tout d'abord félicité de l'existence d'une Déclaration finale, qui lui a paru témoigner du succès de la Conférence. Après les échecs des sommets de Seattle et de Cancún, et après la demi-réussite du sommet de Doha au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, il a considéré qu'un nouvel échec aurait signifié la fin du multilatéralisme en matière commerciale. Or, a-t-il estimé, l'OMC est devenue indispensable à la régulation des échanges internationaux, ainsi que le prouve le rôle de l'organe de règlement des différends (ORD), qui empêche la naissance de coûteuses et contre-productives « guerres commerciales ». Il a ajouté que ce succès devait pour beaucoup au nouveau directeur général de l'OMC, M. Pascal Lamy, qui a utilement oeuvré pour débloquer les négociations et trouver des points d'entente permettant d'avancer et qui, pratiquement à lui seul, a permis d'aboutir à un accord entre les délégations.
Il s'est également réjoui que l'Europe ait « tenu bon ». Observant qu'elle était restée unie, avait fait preuve de force et de solidarité, et avait été remarquablement représentée par M. Peter Mandelson, il s'est déclaré convaincu que cela résultait en partie de la qualité du tandem formé par les ministres du commerce extérieur et de l'agriculture, Mme Christine Lagarde et M. Dominique Bussereau, qui avait défendu avec talent et subtilité les intérêts français lors des cinq réunions du Conseil des ministres de l'UE organisées à Hong Kong et au cours des discussions bilatérales. Précisant que « tenir bon » signifiait ne pas céder sur l'essentiel malgré la difficulté des négociations, il a estimé que, si l'UE avait dû faire des concessions paraissant supérieures à celles de ses partenaires, en particulier des Etats-Unis, le mandat donné au négociateur n'avait pas été remis en cause dans sa substance et que les intérêts des agriculteurs avaient été préservés jusqu'en 2013, ce qui était l'objectif premier de la France.
a enfin relevé qu'un certain nombre de questions devaient encore être résolues dans les mois à venir. Il a ainsi rappelé que l'accord de Hong Kong devait être précisé pour pouvoir être réellement avalisé et mis en oeuvre, une première étape étant fixée, conformément à ce qui avait été envisagé en décembre et décidé lors de la « mini-ministérielle » s'étant tenue en marge du Forum de Davos il y a quinze jours, au 30 avril prochain à Genève, et une seconde durant l'été. Il a souligné que ces deux étapes seraient déterminantes pour vérifier si les négociateurs voulaient véritablement parvenir à un accord, en bonne et due forme, et s'il existait une chance réelle d'achever positivement le Cycle de Doha, non pas en 2006, cette date-butoir étant désormais définitivement exclue, mais éventuellement en 2007.
Par ailleurs, il a considéré que l'espoir d'un accord sur les restitutions, venant s'ajouter aux orientations retenues sur la réduction des soutiens internes et des protections douanières en matière agricole, permettrait de solder durablement la question agricole et aurait donc, dès lors, deux vertus :
- celle de permettre de relancer, au second semestre 2006, les thèmes du NAMA et des services, qui sont absolument essentiels pour l'économie de l'Union, et d'éventuellement renverser la pression, pour la faire peser davantage sur les pays du G 20 ;
- celle de donner une visibilité à long terme aux agriculteurs européens, qui ont désormais compris qu'il fallait préparer l'après-2013 et investir davantage dans la recherche-développement pour fonder une agriculture capable de subir de plein fouet le choc de la mondialisation.
A cet égard, il s'est déclaré confiant dans les capacités des agriculteurs français à demeurer compétitifs sur des marchés chaque jour plus concurrentiels, pour autant que les différentes structures de la profession préparent dès à présent l'après-2013 avec une hauteur de vue adaptée à la nature des enjeux et que les professionnels se positionnent sur des registres porteurs d'avenir.
En conclusion, M. Jean Bizet a indiqué que le groupe de travail, commun à la commission des affaires économiques et à la délégation du Sénat pour l'Union européenne, se réunirait à trois reprises dans la première quinzaine de mars pour entendre une demi-douzaine de personnalités sur les travaux passés et à venir de l'OMC.