Cette proposition de loi, déposée le 7 août 2009 sur le bureau de l'Assemblée nationale par Jean-Luc Warsmann, a été adoptée par les députés le 2 décembre 2009. Je remercie notre président Jean-Paul Emorine et vous mes chers collègues de m'avoir désigné comme rapporteur, c'est une première pour moi depuis mon élection au Sénat.
L'examen de ce texte n'a pas été simple car, comme les autres lois de simplification adoptées depuis 2004, il s'agit d'un texte « fourre-tout » : ses dispositions concernent des secteurs très divers et sont de portée très variable. La commission des lois nous a délégué l'examen au fond de 25 des 206 articles du texte et nous nous sommes également saisis pour avis des articles portant réforme du droit de préemption urbain (DPU). Enfin, le calendrier d'examen du texte en séance publique reste aléatoire.
Vous imaginez donc bien que mon travail de rapporteur a été complexe. J'ai réalisé à peu près une trentaine d'auditions, rencontrant notamment les acteurs des principaux secteurs concernés par les articles délégués au fond par la commission des lois, des experts automobiles aux syndicats du personnel navigant en passant par les géomètres-experts ou le médiateur de l'eau.
Je me suis également intéressé à la démarche de simplification, en interrogeant plusieurs professeurs de droit. Avant de passer à l'examen des articles et des amendements, je souhaite donc vous faire part de mes réflexions sur le fond.
La simplification du droit, d'abord, est-elle utile ? Notre droit est complexe, chacun en convient. Voyez l'article de la dernière loi de finances qui supprimait la taxe professionnelle : il comptait 135 pages et plus de 1 200 alinéas ! Dans ces conditions, comment les citoyens, et même les maires de petites communes, peuvent-ils avoir accès au droit ? La complexité de notre droit a un coût : dans son rapport de 2006 « Sécurité juridique et complexité du droit », le Conseil d'Etat affirme que « la complexité croissance des normes menace l'Etat de droit », en estimant qu'une « fracture juridique » apparaît dans la population. Plus généralement, la complexité de notre droit pèse sur l'activité de nos entreprises, sur l'action des administrations ou encore sur l'attractivité de notre pays. La simplification du droit correspond donc une attente forte de nos concitoyens.
Les initiatives n'ont pas manqué ces dernières années pour simplifier les formalités administratives, les lois, et codifier. En fait, si la complexité est une caractéristique du droit, si elle peut même être protectrice pour les citoyens, il faut éviter que le droit n'ajoute une complexité formelle, qui le rend moins applicable.
Les lois générales de simplification sont-elles un outil adéquat ? Depuis le début des années 2000, quatre lois de simplification ont été adoptées en 2003, 2004, 2007 et 2009.
Les deux premiers textes ont été votés à l'initiative du Gouvernement et le Parlement a été largement tenu à l'écart du processus de simplification : une soixantaine d'ordonnances ont été prises sur la base du texte de 2004.
Depuis 2004, l'initiative la simplification est revenue au Parlement, c'est même l'un des « chantiers prioritaires » de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Son président, nommé parlementaire en mission par le Premier ministre sur cette question en 2008, a été à l'initiative des textes de 2007 et de 2009, ainsi que de la présente proposition de loi.
Ces textes sont-ils les vecteurs adéquats de la simplification ? Ou plutôt, comme nous l'a dit le professeur de droit M. Pierre Delvolvé, sont-ils des textes « indignes du Parlement » ?
Au terme de mes réflexions, ces textes « fourre-tout » me paraissent insatisfaisants. Les dispositions sont souvent d'un intérêt limité : il s'agit souvent d'actualiser des terminologies, de procéder à des coordinations, de corriger des erreurs de référence. On améliore certes la qualité des textes existants, mais est-ce vraiment la priorité du Parlement ? Quel est l'intérêt de supprimer une disposition obsolète ou une référence devenue inutile à des mesures réglementaires ?
L'examen parlementaire des textes de simplification n'est pas satisfaisant. Plusieurs commissions les instruisent, obligeant les rapporteurs de plusieurs commissions à de l'équilibrisme. Comment organiser les débats en passant sans transition d'une disposition relative au logement à une autre relative à la santé ? Comment mobiliser les parlementaires spécialisés sur les différents sujets abordés ?
Enfin, ces textes de simplification sont eux-mêmes complexes, car chaque ministère y apporte sa touche, revue et corrigée par les parlementaires : la précédente loi de simplification est ainsi passée de 50 à 140 articles au cours de l'examen parlementaire, au prix parfois de graves erreurs, comme l'a montré la dernière loi de simplification.
Les textes de simplification, au-delà de leur imperfection, révèlent des dysfonctionnements de notre démocratie parlementaire. D'abord l'inflation législative : entre 2000 et 2006, on compte 70 lois, 50 ordonnances et 1 500 décrets par an ! L'ordonnance de 1945 sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France a été réformée 70 fois entre son édiction et 2006... Le recours à la procédure accélérée, ensuite, et la réforme constitutionnelle n'y ont rien changé. Le manque d'études d'impact, enfin, est patent, mais la réforme constitutionnelle de 2008 a commencé à changer cet Etat des choses, puisque ces études sont désormais obligatoires en annexe de chaque projet de loi.
Quelle alternative, cependant, aux lois générales de simplification ? Je ne suis pas hostile, vous l'avez compris, à la démarche de simplification. Que nous enseignent les exemples étrangers ? Que la France est une exception : les autres pays recourent à des lois de simplification sectorielles, c'est le cas aux Pays-Bas, en Allemagne ou encore aux Etats-Unis. Nous nous sommes aperçus, lors des auditions, que certaines professions concernées par le texte que je vous présente, n'étaient pas même informées de son existence, alors qu'il avait été adopté par l'Assemblée nationale.
La simplification ne nous dispensera pas de réfléchir aux moyens de rendre le droit plus accessible. Dans ce sens, je crois utile la suggestion de Jean-Luc Warsmann de faire publier, avec toute nouvelle loi, un document explicatif à destination du grand public.
La proposition que nous examinons illustre les défauts des lois de simplification : les articles se suivent sans lien entre eux, ni étude d'impact, nombreux sont ceux qui ne sont que rédactionnels, ou bien qui suppriment des dispositions obsolètes. Je déplore, ensuite, de mauvaises conditions d'examen : la proposition de loi a fait l'objet d'un rapport du Conseil d'Etat, une première constitutionnelle, mais nous n'avons pas eu connaissance de ce rapport, l'auteur de la proposition de loi s'est contenté d'en transmettre certains passages seulement au rapporteur de l'Assemblée nationale ; nos collègues députés ont consacré à peine deux minutes de débat par article, en moyenne ; certaines dispositions, enfin, ont été intégrées dans d'autres textes, par exemple dans la loi de modernisation agricole ou le texte relatif aux chambres consulaires.
Cette proposition de loi comprend en outre des réformes de fond qui n'ont pas leur place dans un texte de simplification, en particulier la réforme du droit de préemption urbain, j'y reviendrai. Le texte comprend également des dispositions transposant la directive « Services », le Gouvernement ayant refusé de passer par une loi-cadre, qui, malgré ses imperfections, aurait permis un véritable débat parlementaire. La directive « Services » sera donc transposée en catimini : je le regrette, mais, compte tenu du retard de notre pays dans la transposition de ce texte, je serai défavorable aux amendements de suppression déposés par nos collègues socialistes.
S'agissant du texte lui-même, dont je vous épargne l'énumération des articles qui nous ont été délégués au fond par la commission des lois, je vous proposerai des amendements de suppression quand nous avons déjà voté les dispositions visées dans d'autres textes, des amendements de précision et des amendements portant article additionnel.
Les articles 83 A et 83 B, dont nous nous sommes saisis pour avis, réforment en profondeur le droit de préemption urbain (DPU), instrument d'action foncière utilisé par les collectivités pour acquérir des biens et mener des politiques d'aménagement. En réécrivant trois chapitres du code de l'urbanisme, ces articles pourraient constituer un projet ou une proposition de loi à eux seuls, tant par leur longueur que par l'importance de leur contenu.
La réforme proposée supprime le régime juridique actuel du DPU et des zones d'aménagement différé, elle les remplace par deux nouveaux droits distincts : un droit dit de « priorité », aux prix et conditions de la déclaration d'intention d'aliéner, où le titulaire du droit de préemption ne pourra plus contester le prix devant le juge ; un droit de préemption à l'intérieur de « périmètres de projet d'aménagement ou de protection », dans lesquels la puissance publique pourra faire modifier le prix par le juge de l'expropriation, mais avec pour contrepartie la possibilité pour les propriétaires de mettre le titulaire du droit de préemption en demeure d'acquérir leur bien. La collectivité sera alors obligée d'acheter le bien, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui dans les ZAD ni dans les zones où le DPU est institué.
Après avoir auditionné l'ensemble des acteurs concernés, je suis parvenu à la conclusion que notre commission ne saurait accepter cette réforme. Le secrétaire d'Etat au logement a installé en juin dernier un groupe de travail intitulé « Vers un urbanisme de projet », en vue d'améliorer les politiques foncières et d'aménagement : ce cadre est de loin préférable, pour réformer le DPU. Sur le fond, la proposition de loi « casse » les outils actuels, avec un risque évident pour la sécurité juridique des opérations : je vous proposerai en conséquence de supprimer ces deux articles.