Intervention de Claude Got

Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante — Réunion du 16 février 2005 : 1ère réunion
Audition du professeur claude got

Claude Got :

Face à l'ampleur du dossier de contamination de l'amiante, M. Claude Got a indiqué qu'il lui semblait aujourd'hui nécessaire de réfléchir à deux priorités, l'amélioration de la gestion du risque « amiante » pour le futur et la définition de moyens à mettre en oeuvre afin que les erreurs de gestion du passé ne se reproduisent pas.

Il a souligné que la question du choix du système organisationnel était un enjeu majeur et récurrent dans les « crises » de santé publique, et que cette question avait été au centre de ses réflexions tout au long de sa carrière, notamment comme expert en accidentologie dans le domaine de la sécurité routière et au titre de son action contre l'alcoolisme dans les cabinets ministériels de Mme Simone Veil et de M. Jacques Barrot.

Il a rappelé qu'il avait été chargé en 1997 par Mme Martine Aubry et M. Bernard Kouchner, alors ministres en charge du travail et de la santé, après que l'amiante a été interdite en France en janvier 1997, suite à la publication du rapport de l'INSERM, d'un rapport sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France.

Retraçant un siècle d'histoire d'utilisation de l'amiante, il a insisté sur le fait que les risques d'insuffisance respiratoire induits par son inhalation avaient été décelés très tôt, puisque dès 1906, une étude publiée par M. Auribault, sur une usine de tissage du Calvados, mettait en lumière le danger de fibrose.

Il a relevé que le risque de cancer avait été clairement identifié dès les années 1930, comme le prouve une étude anglaise publiée en 1931, puis documenté dans les années 1950, notamment par un rapport Peto qui estimait que la probabilité pour les travailleurs exposés à l'amiante de développer un cancer bronchique était multipliée par 17 par rapport à des ouvriers qui n'auraient pas été mis en contact avec cette fibre.

Considérant qu'on pouvait déjà tenir les pouvoirs publics de l'époque pour responsables de n'avoir pas su tirer les conséquences de ces avertissements, il a néanmoins attiré l'attention de la mission sur la difficulté d'appréhender un demi-siècle plus tard le niveau d'acceptation du risque qui prévalait au sein de l'opinion publique d'alors, facteur déterminant de la décision politique.

Reconnaissant le caractère tardif de l'identification du lien spécifique entre l'inhalation des poussières d'amiante et le développement du cancer de la plèvre, qu'il a jugé pour le moins paradoxal au vu des statistiques, il a insisté sur le tournant de l'année 1965, date à laquelle un congrès réunissant les plus grands spécialistes concernés s'est tenu à New York et qui a donné lieu à un ouvrage volumineux consultable à la bibliothèque de la faculté de médecine de Paris, dont l'argumentaire développe non seulement l'ampleur du risque de cancer pleural, mais également les moyens à mettre en oeuvre pour le gérer.

Ayant eu l'occasion de rédiger en 1967 un rapport d'expertise reprenant l'essentiel de cette argumentation, à la demande du tribunal des affaires sociales de Meaux saisi d'une affaire de responsabilité professionnelle d'un employeur vis-à-vis d'un salarié atteint d'un cancer, il a proposé de remettre ce rapport à la mission.

Il a estimé qu'après le congrès de 1965, le décalage entre la connaissance des risques et l'inadaptation des mesures de prévention prescrites devenait d'autant plus choquant que, dès les années 1930, des études avaient été publiées, notamment celle de M. Dehrs en 1931, détaillant les moyens de réduire l'empoussièrement et la diffusion des fibres sur les lieux de travail au moyen de mesures simples comme le confinement des machines et la mise en place d'une alimentation en air pur, techniques qui sont aujourd'hui encore utilisées, notamment, sur le chantier de désamiantage du campus de Jussieu.

Tardive, notamment par rapport à l'Angleterre qui a fixé des limites dès 1937 ou les Etats-Unis dès 1966, la réglementation française protectrice des travailleurs de l'amiante, adoptée en 1977, était également inadaptée, d'une part parce que les valeurs limites de concentration moyenne en fibres autorisées étaient trop importantes pour prévenir l'apparition des cancers, d'autre part parce que l'utilisation générale et massive des produits contenant de l'amiante a mis au contact de ce matériau des populations de salariés beaucoup plus étendues que celles visées par les décrets, ainsi qu'un large public.

Il a indiqué qu'à l'insuffisance de la réglementation applicable, s'était ajoutée la réticence des médecins du travail à diagnostiquer des maladies professionnelles dues à l'amiante, la longueur du délai entre la période d'exposition et le développement de la maladie, dont il a rappelé qu'il s'étendait jusqu'à 30 ans pour les mésothéliomes, les ayant conduits à largement sous-estimer l'origine professionnelle des cancers et des complications respiratoires.

En conséquence, il a estimé que si la France pouvait être considérée comme un pays particulièrement négligent dans la gestion du risque de l'amiante, notamment par rapport à ses voisins européens, notre attitude n'avait pas été la pire, comme le montre la réaction du Québec à la réglementation française de 1997, attaquant notre pays devant l'OMC pour maintenir sa politique d'« usage sécuritaire de l'amiante ».

Abordant la question du rôle et de la responsabilité des pouvoirs publics, le professeur Claude Got a ensuite jugé essentiel de comprendre les motivations et d'examiner les structures organisationnelles qui ont permis de faire prévaloir, au moins jusqu'en 1997, les intérêts économiques sur les impératifs de santé publique.

S'il a reconnu qu'après la révélation d'un certain nombre de « crises » sanitaires majeures, comme l'affaire du sang contaminé ou l'hormone de croissance, l'abaissement du seuil de tolérance au risque avait conduit les pouvoirs publics à se doter, depuis une dizaine d'années, de plusieurs organismes de veille, à l'image de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ou de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), il a estimé qu'une culture de l'ignorance du risque avait trop longtemps prévalu.

Il a cité à cet égard le fonctionnement du Comité permanent amiante (CPA), organisme informel mis en place dans les années 1980, à un moment où l'amiante, dont on commençait à saisir l'ampleur du problème tant au sein d'instances spécialisées, à l'instar du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), que dans les médias, était classé parmi les produits cancérigènes.

Réunissant des représentants des industriels, des administrations publiques et des syndicats - à l'exception de Force ouvrière-, ce comité était sensé réfléchir à la gestion du risque de l'amiante, alors même que ses réunions se tenaient dans les locaux appartenant aux industriels concernés et qu'il n'était encadré par aucun service ministériel, faute de responsable désigné au sein de la Direction générale de la santé pour suivre ce problème.

Le professeur Claude Got a ainsi estimé qu'il n'était pas surprenant que, manipulé par les intérêts industriels, le comité, seule structure institutionnelle en charge du dossier de l'amiante, n'ait jamais évoqué la question essentielle des produits de substitution de l'amiante, et qu'il ait continué au contraire à promouvoir l'utilisation d'un produit dont l'extraction se fait à moindre coût et est par ailleurs doté de propriétés tout à fait exceptionnelles.

Il a dénoncé, en outre, la « volonté de ne pas savoir » des décideurs publics, alertés à maintes reprises, et notamment par une lettre de M. Jean Bignon, adressée au Premier ministre Raymond Barre, après la tenue du congrès du CIRC dans les années 1980 et dont il a jugé qu'il serait intéressant de reconstituer le cheminement administratif avant d'avoir été « classée sans suite ».

Alors que le Conseil d'Etat a retenu, dans une décision du 3 mars 2004, la responsabilité de l'Etat pour sa carence à prendre les mesures de prévention des risques liés à l'exposition des salariés aux poussières d'amiante, il a enfin déploré l'adoption, en juin 2000, de la loi dite Fauchon sur la définition des délits non intentionnels, jugeant irréaliste l'allégement de la responsabilité des décideurs du seul fait de leur ignorance, l'affaire de l'amiante montrant que « ne pas savoir » pouvait aussi relever d'une décision délibérée.

Un large débat s'est alors instauré.

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