Intervention de Jacqueline Alquier

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 juin 2008 : 1ère réunion
Délégation à l'aménagement du territoire — Transports et désenclavement des régions françaises - présentation du rapport d'information

Photo de Jacqueline AlquierJacqueline Alquier :

a ensuite exposé les propositions avancées dans le rapport de la DADDT, après avoir remarqué que le désenclavement constituait une condition nécessaire, mais non suffisante du développement d'un territoire. Le désenclavement, qui est un facteur d'adéquation de l'offre et de la demande et donc d'allocation optimale des ressources et des activités, doit être réalisé en tenant compte du projet des territoires, et s'appuyer sur une stratégie de développement des acteurs locaux. Sinon, la réalisation d'une sortie d'autoroute ou la création d'une gare de TGV peuvent rester quasiment sans effet, voire même présenter un risque de « déménagement du territoire », un territoire sans stratégie pouvant alors se retrouver en concurrence avec d'autres pôles dynamiques.

a relevé que cette analyse théorique se vérifiait dans la pratique, en donnant l'exemple du sud du Tarn, où l'ensemble des acteurs était fortement mobilisé autour du projet de passage à quatre voies de la RN 126, reliant Toulouse et le bassin de Castres-Mazamet, qui servirait la stratégie économique développée dans ces deux villes, notamment dans le domaine industriel.

Elle a ensuite observé que, si « désenclaver, c'est déjà développer », il fallait éviter deux écueils.

Il faut, en premier lieu, assurer la mise en place d'un désenclavement durable, le risque actuel étant, par exemple, de réduire le Grenelle de l'environnement à la seule opposition, souvent stérile, entre partisans systématiques et opposants absolus aux autoroutes.

La question n'est plus aujourd'hui d'être pour ou contre une infrastructure, mais de définir un projet de développement et d'occupation du territoire, qui n'ignore pas la question de la diminution des espaces naturels du fait d'une croissance extensive des activités humaines, à commencer par le phénomène de périurbanisation.

Le phénomène de l'étalement urbain qui appelle la construction de nouvelles routes, qui attirent à nouveau de nouvelles habitations, atteint aujourd'hui ses limites, du fait de la crise énergétique, mais aussi des atteintes qu'il porte à la biodiversité, comme le met en évidence le récent rapport sur ce sujet de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

a donc estimé que les infrastructures de transport devraient être un moyen d'anticiper et d'orienter les évolutions de l'utilisation de l'espace. La création d'infrastructures et de services de transport doit ainsi être mise, autant que faire se peut, au service d'une densification de l'habitat, par exemple autour de petites villes qui offriraient aussi des activités économiques et des modes de transports collectifs.

Les services sont en effet un élément nouveau à prendre en compte au-delà des seules infrastructures dans la perspective du désenclavement durable : services de transports urbains au sein de petites villes redensifiées, mais aussi services de train, voire d'autocar, entre ces villes et en direction des agglomérations proches.

Dans ces conditions, a-t-elle observé, on peut éviter le premier écueil, qui consiste à mal prendre en compte l'aspect écologique du désenclavement.

Le second écueil concerne quant à lui l'aspect économique du désenclavement et, plus précisément, l'« économisme » qui caractérise les projets d'infrastructures depuis des années.

En effet, en partant de l'idée selon laquelle le désenclavement est un facteur de développement économique, le financement d'une infrastructure ne sera lancé que si elle présente un certain niveau de rentabilité socio-économique. Or, même calculée selon la méthode du coût social complet, toute évaluation de la rentabilité a, par définition, tendance à privilégier les infrastructures situées sur des grands axes et dans des zones déjà très peuplées et donc très développées, au détriment de projets de désenclavement permettant de relier des territoires à ces grands axes.

a relevé à cet égard qu'on ne pouvait évaluer de la même façon la rentabilité d'une ligne Marseille-Nice ou Paris-Clermont-Ferrand : la première apparaîtra en effet toujours comme plus rentable, et ce même si elle correspond à un coût important.

Certes, a-t-elle remarqué, on peut toujours penser que les évaluations de rentabilité socio-économiques ne sont que des éléments secondaires d'une décision qui, in fine, reste une décision politique. Ainsi, la réalisation du TGV Est ou celle de la route Centre-Europe-Atlantique sont deux très beaux projets, retenus pour de bonnes raisons politiques et non sur la base de calculs de rentabilité plus ou moins discutables. Mais globalement les méthodes actuelles d'évaluation des projets de désenclavement sont biaisées.

Ainsi, plus de 80 % des projets prévus par les décisions du CIADT du 18 décembre 2003 concernaient des axes déjà très dynamiques, comme l'élargissement du sillon rhodanien ou des contournements de très grandes agglomérations même si certains d'entre eux ont été abandonnés, comme le contournement de Bordeaux et de Toulouse. L'évaluation de l'intérêt des projets devrait devenir un critère de plus en plus déterminant dans les années qui viennent, comme y incitent le contexte général de la LOLF, le récent rapport de la Cour des comptes sur le secteur ferroviaire, ainsi que les enjeux de développement durable identifiés par le Grenelle de l'environnement.

a néanmoins douté que l'on puisse voir s'accélérer réellement le désenclavement du territoire si l'on ne parvenait pas à éviter l'écueil de « l'économisme » actuel.

Les propositions pour une nouvelle politique du désenclavement formulées dans le rapport ont donc pour objet d'éviter ces risques, en particulier dans la perspective du prochain Comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires (CIACT).

Sur le plan technique, il existe déjà un critère spécifique qui pourrait être pris en compte pour mesurer l'intérêt d'un projet en termes de désenclavement, celui de l'accessibilité, notion commune déjà mesurée par les services du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, qui ont pu fournir des mesures très précises de l'accessibilité des différents territoires.

L'examen approfondi de ce critère d'accessibilité permet d'affirmer qu'il pourrait constituer dès aujourd'hui un critère opérationnel de classement des différents projets au regard de l'objectif de désenclavement, sous réserve de quelques améliorations, comme la prise en compte des liaisons infra-départementales, du transport collectif par autocar et, surtout, le remplacement du critère d'accès à un panel de villes par un critère d'accès à un panel de services et d'emplois.

a cependant observé que, s'il était aujourd'hui possible de mesurer l'intérêt des projets et de les classer au regard de l'objectif de désenclavement, cela n'assurait pas pour autant qu'ils soient considérés avec autant d'intérêt que les projets concernant des régions déjà très bien desservies. En effet, un projet peut permettre des gains importants en termes d'accessibilité sans pour autant présenter une rentabilité socio-économique élevée.

Mais, a-t-elle rappelé, M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports, a indiqué qu'à la suite du Grenelle de l'environnement, les nouvelles opérations routières lancées par l'Etat devraient répondre soit à des impératifs de sécurité routière, soit à une situation de congestion du trafic, soit à un intérêt local, ce dernier critère correspondant largement au désenclavement.

Il semble donc possible de s'inscrire dans cette nouvelle perspective en proposant que le prochain CIACT « post-Grenelle » identifie trois enveloppes différentes pour chacune de ces catégories de projets routiers.

Au sein de chaque enveloppe, les projets devront être classés en fonction d'un critère propre à leur catégorie, le critère d'accessibilité étant retenu pour les projets dits « d'intérêt local ». Ainsi, le financement de la politique de désenclavement pourra être en quelque sorte « sanctuarisé », pour répondre à des objectifs propres.

s'est néanmoins déclarée sceptique quant au réalisme des prévisions financières du Grenelle de l'environnement en matière de projets routiers. D'après les estimations actuelles, les moyens consacrés à ces projets sur la période 2009-2020 devraient être trois fois inférieurs à ceux qui étaient programmés lors du CIADT de 2003. En ce qui concerne le secteur ferroviaire, il conviendrait de s'assurer que l'Etat et RFF n'oublient pas les secteurs enclavés dans la répartition des importants moyens nouveaux annoncés. Rappelant que la région Midi-Pyrénées avait dû financer non seulement le matériel roulant mais aussi la rénovation du réseau et de la signalisation, au moyen d'un emprunt, elle a souligné que cette question, également abordée par le projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, méritait une attention toute particulière.

S'interrogeant ensuite sur les projets susceptibles d'être évalués dans la perspective du prochain CIACT, Mme Jacqueline Alquier a noté qu'une première option pourrait être de reprendre l'ensemble des projets déjà annoncés ou portés par des collectivités mais qu'il serait souhaitable, pour respecter la logique d'une nouvelle politique de désenclavement, de ne retenir, en vue de leur évaluation, que les projets correspondant réellement aux projets des territoires et à leurs besoins, ce qui exige une réflexion préalable des acteurs locaux.

Evoquant les schémas de services collectifs cités par M. Claude Biwer, elle a rappelé l'intérêt des schémas directeurs de transport « voyageurs » ou « marchandises » adoptés en 2002, et suggéré de s'inspirer de cet exemple pour élaborer de nouveaux « schémas de désenclavement », dans le cadre desquels il faudrait veiller au sort des « territoires orphelins » situés aux confins d'une région ou d'un département, qui sont souvent les grands oubliés de politiques traditionnellement centrées sur la desserte du chef-lieu. Cependant, pour être utile, cet exercice devrait être mené avant le prochain CIACT, ce qui paraît difficile, la procédure de consultation engagée en 2001-2002 ayant pris plus d'un an. Par ailleurs, il conviendrait d'intégrer autant que possible des prescriptions de type « trame verte » retenues par le Grenelle de l'environnement.

Observant qu'il semblait en tout cas illusoire d'engager une nouvelle politique basée sur les besoins concrets d'accessibilité des territoires sans procéder au préalable à leur analyse, elle a proposé que le prochain CIACT arrête, contrairement à celui de 2003, une programmation glissante, celle-ci étant révisée à partir de ces schémas de désenclavement et de méthodes d'évaluation rénovée.

Soulignant que ces objectifs semblaient réalistes au vu des travaux déjà très avancés des services du ministère sur la mesure de l'accessibilité des territoires, Mme Jacqueline Alquier a conclu que leur mise en oeuvre dépendait d'une volonté, voire même d'une vision politique ambitieuse.

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