Intervention de Alice Cardoso

Mission d'information sur le mal-être au travail — Réunion du 7 avril 2010 : 1ère réunion
Table ronde avec les représentants des organisations syndicales d'enseignants

Alice Cardoso, secrétaire nationale de la FSU :

a ensuite confirmé que le malaise des enseignants s'est clairement accru durant les dernières années. Alors que de plus en plus de collègues expriment leur volonté de quitter le métier, de nombreuses études, tant quantitatives que qualitatives, confortent les sentiments exprimés par les personnels : celles menées par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale (Depp) font par exemple état d'un malaise au travail reconnu par 97 % des personnels de collège et de lycée interrogés, 67 % d'entre eux se disant directement concernés. D'autres enquêtes du syndicat national des enseignements du second degré (Snes), de la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) ou qui sont réalisées par des chercheurs constatent également un épuisement, une usure, une démotivation des enseignants.

Le malaise au sein de l'éducation nationale présente en outre des spécificités, qui se rapprochent de celles d'un métier de service à la personne, par ailleurs soumis à une pression accrue en raison de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Alors que les enseignants se font une haute idée de leur métier et se fixent pour objectif la progression des élèves, ils souffrent d'un sentiment d'inutilité et rencontrent des difficultés à se réaliser dans leur travail. Cette crise se traduit de plus en plus fréquemment par un « burn-out » des personnels, qui entraîne, au-delà des conséquences immédiates sur leur santé, un désengagement et une insatisfaction dans l'accomplissement professionnel. Qui plus est, un enseignant travaille, pour une large part, hors de l'école, ce qui entraîne une grande porosité avec la vie privée.

Les causes de l'augmentation du malaise des enseignants sont multiples et largement liées à la dégradation de leurs conditions de travail : les effectifs des classes sont très lourds, les défis de la démocratisation de l'école reposent avant tout sur la mobilisation des personnels, les exigences de résultat sont plus fortes alors qu'il est difficile de mobiliser les élèves sur les savoirs. En outre, l'écart grandit entre l'école, qui reste un lieu d'autorité et non de permissivité, et le reste de la société ; à cet égard, il est important de noter que l'école résiste encore, contrairement aux idées reçues. Par ailleurs, l'école souffre de la multiplication et de l'empilement de tâches mal coordonnées et parfois contradictoires : l'orientation, l'aide, le soutien, l'accueil ou les nouvelles formes d'évaluation constituent des activités extérieures à la classe, ne sont pas stabilisées et brouillent les repères traditionnels. Plusieurs études avancent à ce sujet le sentiment croissant de l'impuissance à bien faire son travail, notamment en raison du fossé entre ce qui est prescrit aux enseignants et le travail qu'ils sont en mesure de réaliser sur le terrain. Ce sentiment pose la question de la reconnaissance et de la fierté du travail accompli. Or, certaines réformes tendent à déresponsabiliser les personnels, en supposant qu'ils n'ont qu'à reproduire les « bonnes pratiques » qui leur sont transmises.

Par ailleurs, comme les autres institutions, l'école est de plus en plus soumise à la critique de la société et il est épuisant pour les enseignants de devoir se justifier en permanence, que ce soit en matière de discipline ou d'apprentissage, d'autant que l'institution fait elle-même peser une suspicion sur le travail réalisé. Ceci peut finalement expliquer le sentiment d'absence de reconnaissance professionnelle que les enseignants avancent comme première cause de la souffrance au travail.

En ce qui concerne les violences physiques, elles sont minoritaires, mais constituent naturellement une source d'aggravation du malaise des personnels. Au fond, les violences verbales, plus diffuses et fréquentes, sont tout aussi importantes, car elles sont une source constante de stress et d'usure et participent de l'épuisement nerveux et physique. Si les enseignants sont plus nombreux à parler de fatigue tout au long de l'année dans les établissements difficiles, il faut également relever que le travail en équipe y est souvent de meilleure qualité et contribue, lorsqu'il est correctement soutenu par la direction, à ce que les difficultés ne tournent pas en souffrances. Paradoxalement, le corps enseignant est plus isolé et parfois plus fragile dans des établissements considérés comme plus tranquilles. D'une manière générale, les projecteurs braqués sur les incidents violents tendent malheureusement à occulter la question des violences symboliques, devenues aujourd'hui ordinaires.

Les mesures prises par le ministère de l'éducation nationale, qui se contente souvent de changer l'enseignant de poste, sont insuffisantes : les voies de reclassements sont limitées et les solutions ponctuelles. En outre, la prévention est défaillante, puisqu'il n'y a qu'un médecin du travail pour 16 000 agents et que l'institution se désintéresse de la prise en charge médicale, même quand elle est liée à l'activité professionnelle. D'ailleurs, on a trop tendance à renvoyer les problèmes vers le médical ou le psychologique, ce qui tend à rendre responsable la personne elle-même, sans s'interroger au fond sur ses conditions de travail. Pour autant, certaines choses avancent : l'accord signé dans la fonction publique sur la santé et la sécurité au travail reconnaît cette situation calamiteuse et devrait permettre de s'engager vers une réglementation plus contraignante. Dans ce cadre, même si les rectorats ne s'intéressent guère à ces structures de concertation, la transformation des comités d'hygiène et de sécurité (CHS) en « CHSCT » permettra de prendre en compte les conditions de travail.

Les propositions de la FSU pour lutter contre le mal-être au travail des enseignants sont les suivantes :

- alléger les effectifs des classes et arrêter la dispersion des tâches pour permettre de se recentrer sur le coeur de métier ;

- encourager le développement des « collectifs de travail », pour donner un sens véritable au travail en équipe ;

- améliorer les conditions matérielles, la prévention en matière de santé et la formation des professeurs, tant initiale que continue ;

- prendre réellement en charge les personnes en souffrance.

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