Intervention de Martine Durand

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 18 février 2010 : 1ère réunion
Rendez-vous 2010 pour les retraites — Audition de mmes martine durand chef statisticien et directeur direction des statistiques et monika queisser chef de division division des politiques sociales de l'organisation de coopération et de développement économiques ocde

Martine Durand, chef statisticien et directeur à l'OCDE :

Puis la mission a entendu Mmes Martine Durand, chef statisticien et directeur, et Monika Queisser, chef de division, division des politiques sociales, de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

a d'abord indiqué que cette organisation a entrepris depuis plusieurs années de suivre les réformes des systèmes de retraites publics et de publier régulièrement le « Panorama des pensions dans les pays de l'OCDE ».

Face au défi posé par le vieillissement des populations, la plupart des pays de l'OCDE, dont la France, ont engagé d'importantes réformes de leur système de retraite au cours des quinze dernières années. Or, malgré ces réformes, la viabilité financière à long terme des systèmes n'est pas assurée, ce qui va nécessiter de nouvelles mesures. En France, l'année 2010 sera, à cet égard, décisive.

Si un système de retraite doit être viable financièrement, il doit aussi être équitable. Le concept d'équité recouvre plusieurs dimensions, notamment les dimensions intragénérationnelle et intergénérationnelle. Au sein d'une même génération, certains facteurs sont porteurs de nouvelles inéquités, par exemple les différences d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles ou entre sexes. Mais l'équité peut aussi être évaluée en considérant la capacité d'un système de retraite à ne pas reproduire, au stade de la retraite, les inégalités de revenus constatées pendant la vie active.

Parmi les éléments des systèmes de retraite qui agissent sur l'équité, la progressivité est un facteur important. Une redistribution maximale est atteinte dans les systèmes de retraite de base qui comportent une prestation universelle pour tous les retraités, comme par exemple en Irlande et en Nouvelle-Zélande. L'Australie, le Canada, la République tchèque et le Royaume-Uni sont aussi dotés de systèmes de retraite progressifs avec des éléments redistributifs très importants.

Certaines politiques peuvent contribuer à rendre les systèmes de retraite progressifs, c'est-à-dire à permettre de « décrocher » les retraites versées des salaires perçus au cours de la carrière. Un premier instrument est la fiscalité, par exemple au travers d'allègements d'impôt sur le revenu ou d'exonérations de cotisations de sécurité sociale. D'autres mécanismes peuvent être mentionnés : les programmes destinés à lutter contre la pauvreté des personnes âgées ; le plafonnement des salaires dans le cadre des régimes à prestations définies ; les droits non contributifs, comme par exemple ceux liés aux périodes de chômage ou de garde d'enfant ; la formule utilisée pour le calcul de la prestation de retraite (par exemple le nombre d'années utilisé dans le calcul de la prestation de retraite).

Les systèmes purement assurantiels, en revanche, avec un lien très étroit entre cotisations et retraites, ne sont pas redistributifs. La Finlande, la Grèce, la Hongrie, les Pays-Bas, le Portugal, la République slovaque et la Turquie disposent ainsi de régimes presque strictement proportionnels et donc très peu progressifs. Ce groupe comprend aussi deux pays qui ont un système de comptes notionnels, dans lesquels, par définition, les cotisations sont étroitement liées aux prestations. La France se situe entre ces deux groupes. Mais selon l'indice de progressivité développé par l'OCDE, le système français affiche une valeur bien en-dessous de la moyenne des pays de l'OCDE. Tous les pays qui affichent une valeur de l'indice de progressivité très élevée sont dotés d'importants régimes de retraite de base ou ciblés.

Mais on peut aussi parler d'équité entre les régimes, par exemple en ce qui concerne les règles respectives de calcul des droits à la retraite dans le secteur public et le secteur privé. Ainsi, en France, le taux de cotisation est plus faible dans le public que dans le privé ; le droit à retraite dans le secteur public est plus avantageux puisqu'il est déterminé en fonction du salaire de fin de carrière et non sur les vingt-cinq meilleures années comme dans le privé ; les travailleurs du secteur public peuvent partir à la retraite avec un nombre d'années de cotisation inférieur à celui exigé dans le privé. Le fait de pouvoir partir plus tôt implique aussi la constitution d'un « patrimoine retraite » plus élevé puisque les prestations seront payées pendant une durée de retraite plus longue.

Dans ce contexte, quelles ont été les réformes conduites en France et à l'étranger pour assurer la viabilité financière des systèmes de retraite ? Dans la grande majorité des pays de l'OCDE, les réformes ont porté principalement sur l'augmentation de l'âge légal de départ à la retraite. Ce paramètre joue en effet un rôle symbolique important car il signale l'âge minimum à partir duquel il est légalement possible de liquider sa retraite. C'est le paramètre qui a l'impact le plus rapide pour rééquilibrer financièrement les régimes de retraite. C'est aussi le plus simple à comprendre, avec pour objectif l'allongement de la durée de cotisations. L'âge légal de départ est désormais de soixante-cinq ans en moyenne dans l'OCDE. Récemment, certains pays ont décidé d'aller encore plus loin : l'Allemagne, le Danemark et le Royaume-Uni ont légiféré en vue de relever progressivement l'âge de la retraite à soixante-sept ou soixante-huit ans ; les Pays-Bas et l'Espagne ont proposé de le porter à soixante-sept ans. La France, qui a fait le choix d'augmenter le nombre d'années de cotisations nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein, est le seul pays de l'OCDE où l'âge légal reste fixé à soixante ans, même si l'âge effectif de départ est désormais plus proche de soixante et un ans. Des pénalités ont été introduites en cas de départ avant l'âge légal en Allemagne et en Autriche, ainsi qu'en France avec le système de décote. De même, des mécanismes encourageant l'activité après l'âge légal ont été introduits en France, avec la surcote, mais aussi en Finlande, en Espagne et au Royaume-Uni.

Le relèvement de l'âge légal de la retraite a soulevé la question de la pénibilité du travail ou de l'incapacité professionnelle. De nombreux pays, pourtant, ont mis fin aux dispositifs qui, dans leurs régimes de retraite, traitaient de manière spécifique certaines catégories de travailleurs dont l'emploi était considéré comme pénible ; ils ont jugé que les problèmes de santé pouvant résulter de l'activité professionnelle devaient être réglés indépendamment des systèmes de retraite, par une meilleure prévention et de meilleures conditions de travail ou par des dispositifs d'assurance contre le handicap ou l'invalidité mieux adaptés à chaque situation individuelle. En effet, aboutir à une définition consensuelle des situations de pénibilité ou de dangerosité professionnelles est extrêmement compliqué. De surcroît, il n'est pas évident de faire prendre en compte par un système de retraite des épisodes individuels de travail plus ou moins pénibles ou dangereux, et plus ou moins longs au cours d'une carrière. Il est donc préférable de distinguer le système de retraite de celui qui vise à indemniser des situations pénibles, tout en cherchant à réduire autant que possible l'exposition prolongée des salariés à ces situations. L'OCDE a beaucoup travaillé sur ce sujet ; elle engage maintenant un nouveau projet sur le stress lié au travail et la dépression.

Dans la plupart des pays, dont la France, les réformes ont également contribué à fortement réduire ou pénaliser le recours aux dispositifs publics de préretraite qui avaient été introduits dans les années soixante-dix pour répondre au chômage de masse. La Belgique, le Danemark, la Grèce, la Hongrie et l'Italie ont ainsi soit relevé l'âge minimum de départ anticipé à la retraite, soit majoré le nombre d'années de cotisation requis pour avoir droit à une retraite anticipée, ou les deux. La Finlande vient également de proposer de relever l'âge de départ anticipé à la retraite. Les Pays-Bas ont supprimé les incitations fiscales accordées dans le cadre des dispositifs professionnels privés de retraite anticipée. La France a, de son côté, lourdement taxé les préretraites privées. Toutes ces mesures ont conduit à un relèvement du taux d'emploi des seniors même si beaucoup reste encore à faire dans ce domaine, notamment en France.

Les réformes ont aussi porté sur le niveau des retraites. Les taux de remplacement sont passés, en moyenne dans les pays de l'OCDE, de 63 % avant les réformes à 59 % après. Plusieurs facteurs expliquent une telle baisse, en particulier l'extension de la période prise en compte pour le calcul de la pension, qui est passée aux vingt-cinq meilleures années pour les salariés du secteur privé, au lieu de dix, en France et à l'ensemble de la carrière en Finlande, en Pologne, au Portugal et en Suède. La baisse reflète aussi le changement de méthode de valorisation des salaires passés ou d'indexation des pensions versées qui, comme en France, est désormais de plus en plus souvent fondée sur les prix plutôt que sur les salaires, ce qui aboutit à une croissance moins rapide des pensions. Au total, les taux de remplacement moyens pour les travailleurs ayant eu une carrière complète ne seront que de 43 % en Allemagne, contre 53 % en France à la suite des réformes Balladur et Fillon, et 80 % au Danemark. Dans un certain nombre de pays, on a toutefois cherché à protéger les revenus les plus faibles. C'est le cas au Royaume-Uni, au Portugal ou en Suède. C'est aussi le cas en France où le filet de sécurité a été amélioré, les salariés ayant fait une carrière au Smic voyant leur taux de remplacement garanti à 85 %.

Pour compenser la baisse du niveau des retraites, un autre volet des réformes a consisté à encourager les salariés à se constituer eux-mêmes une épargne par le biais de dispositifs de retraite privés individuels ou professionnels. Ces dispositifs peuvent être obligatoires comme en Suède, en Pologne ou en Norvège ou facultatifs, souvent assortis d'avantages fiscaux, comme en Allemagne ou aux Pays Bas. Au Canada, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, les pensions privées atteignent actuellement plus de 40 % du revenu des retraités contre environ 30 % au Danemark, en Irlande et en Norvège et près de 20 % en Allemagne. En France, cette part n'est que de 8 %.

En conclusion, Mme Martine Durand a présenté les enseignements que l'on peut tirer du processus de réforme des régimes de retraite dans les pays de l'OCDE. Le premier est que seuls quelques pays ont eu recours à une vaste réforme systémique : la Suède, l'Italie, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie se sont ainsi engagées dans cette voie en introduisant des comptes individuels, caractérisés, d'une part, par un renforcement du lien entre pensions reçues et cotisations versées, d'autre part, par un ajustement quasi automatique du niveau des pensions à l'espérance de vie. Ailleurs, y compris en France, les réformes ont été beaucoup plus graduelles et ont surtout consisté en des adaptations successives des différents paramètres du système.

Le deuxième enseignement est que les réformes des retraites s'avèrent partout politiquement difficiles à mettre en oeuvre. La réforme suédoise, souvent donnée en exemple, a demandé plus de dix années de discussions entre toutes les parties prenantes pour arriver à un consensus. Dans les autres pays qui ont choisi un changement systémique, il faudra beaucoup de temps pour que les réformes portent leurs fruits, car les périodes de transition sont souvent très longues. Enfin, il semble difficile, voire impossible, de mettre les réformes des retraites en « pilotage automatique ». Cela signifie que d'autres ajustements devront être effectués dans le futur, en France comme ailleurs, pour assurer la viabilité financière des systèmes de retraite tout en maintenant un niveau de vie acceptable pour les futurs retraités. Certains pays sont toutefois plus avancés que d'autres dans ce processus. La France se singularise à cet égard par un âge légal du départ et une part des retraites privées beaucoup plus faible que presque partout ailleurs dans l'OCDE. En outre, à cet âge légal bas et à un âge de sortie effective du marché du travail également bas s'ajoute le fait que, en France, l'espérance de vie à l'âge de soixante-cinq ans atteint quatre-vingt-trois pour les hommes et quatre-vingt-huit ans pour les femmes : il en résulte que la durée de la retraite y est très longue, en moyenne de vingt-quatre ans et demi pour les hommes et de vingt-huit ans pour les femmes, alors que dans l'ensemble des pays de l'OCDE, ces durées moyennes s'établissent en moyenne à dix-huit et vingt-trois ans.

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