Intervention de Jean-Christophe Rufin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 mars 2009 : 1ère réunion
Situation au sénégal — Audition de M. Jean-Christophe Rufin ambassadeur de france au sénégal

Jean-Christophe Rufin, ambassadeur de France au Sénégal :

a tout d'abord noté que la situation politique du pays présente tous les attributs de la stabilité démocratique. Les institutions politiques sont en place, des élections sont régulièrement organisées, et le Sénat, supprimé après l'arrivée au pouvoir du Président Wade, a été reconstitué il y a un an.

Cependant, le parti au pouvoir détient l'immense majorité des sièges au Parlement tant à l'Assemblée nationale (140 sièges sur 150) qu'au Sénat (99 sièges sur 100 membres, dont 65 sont nommés par le Président). Cette situation tient au fait que l'opposition, qui a contesté la réélection du président Wade en 2007, a refusé de présenter des candidats aux élections législatives, créant ainsi une situation d'absence totale de contrepoids politique qui n'est pas entièrement saine.

Pour autant, des modifications constitutionnelles sont régulièrement effectuées, qui pour certaines semblent obéir surtout à des objectifs politiques : ainsi, par exemple, la réduction de cinq à un an de la durée du mandat du Président de l'Assemblée nationale qui a permis d'écarter le titulaire de la fonction.

Dans ce contexte, les élections locales du 22 mars 2009 revêtiront une forte charge politique non pas tant en raison du pouvoir des élus locaux que du retour dans le jeu de l'opposition légale.

Certaines villes importantes pourraient changer de camp et le parti démocratique sénégalais (PDS) au pouvoir est traversé de courants dont on pourra mieux mesurer le poids relatif au terme de cette consultation.

Sur cette toile de fond, la question de l'avenir politique du fils du Président, M. Karim Wade, est régulièrement évoquée et alimente les conjectures. Il est candidat à la mairie de Dakar, en troisième position sur une liste à la proportionnelle. L'actuel maire de Dakar étant Président du Sénat et, à ce titre, deuxième personnage de l'Etat, cette élection pourrait préparer le terrain à une transition.

L'absence d'une opposition légale solide est en tout cas une vraie source de préoccupation. Dans ce pays à la population très jeune, des mouvements spontanés et violents sont possibles, comme à Kédougou en décembre ou dans la banlieue de Dakar où une fronde a été menée récemment par des imams contre la hausse des tarifs de l'électricité.

Sur le plan économique, le Sénégal a subi de plein fouet en 2008 un choc exogène lié à la forte hausse du coût de l'énergie, compte tenu de la totale dépendance énergétique du pays. De même, la hausse des prix des produits alimentaires a lourdement grevé l'économie en 2008. A l'époque coloniale, le Sénégal a été spécialisé dans la production d'arachide et était destiné à consommer le riz produit au Tonkin. Les habitants ont conservé cette habitude alimentaire et consomment par conséquent du riz pour l'essentiel importé. Il convient cependant de relativiser les mouvements sociaux observés en 2008 face au renchérissement du prix du riz. Il ne s'agissait pas d'émeutes de la faim comme l'a affirmé la presse mais bien plutôt de manifestations contre la hausse des prix, réprimées d'une façon un peu violente. Il n'y a pas eu de famine au Sénégal. Le pouvoir a bien réagi en refusant l'aide alimentaire et en se mobilisant pour l'autosuffisance dans ce domaine par le plan Grande offensive pour la nourriture et l'abondance (GOANA), ce qui a eu le mérite de mobiliser l'attention sur l'agriculture, secteur que les partenaires du développement et, en particulier, la Banque mondiale, avaient trop négligé pendant les décennies précédentes.

En novembre 2007, le Sénégal a conclu un accord très contraignant avec le fonds monétaire international, via l'instrument de soutien à la politique économique (ISPE). Cet accord est utile car il s'inscrit dans une dynamique de soutien à l'économie locale et constitue un cadre indispensable au regard des dérapages intervenus auparavant.

Le FMI ne doit plus être vu comme l'institution qu'il était il y a quinze ans lors des grands plans d'ajustement structurel. Il joue désormais un rôle d'alerte et de soutien pour les bailleurs, mais aussi pour le ministre des finances. Il renforce la position de tous ceux qui, au Sénégal, oeuvrent pour améliorer la gestion des finances publiques et assurer un pilotage transparent et rigoureux de l'économie.

Malgré cela, en décembre 2008, le Sénégal a failli connaître une crise grave à l'occasion de la revue du FMI. Un échec lors de cette revue aurait pu se traduire par le blocage des aides budgétaires dont celle du fonds européen de développement. Or le Sénégal, fin 2008, était confronté à une dette intérieure très importante qu'il était dans l'impossibilité de réduire, même en recourant à des emprunts, faute de liquidités disponibles dans la zone Union économique et monétaire ouest-africaine (UMEOA). La France a décidé de lui accorder un prêt exceptionnel de 82 milliards de francs CFA par l'intermédiaire de l'Agence française de développement (AFD). Cette attribution a été décisive pour éviter la crise et pour préserver le tissu économique privé en contribuant à régler la dette publique.

Depuis le début des années 2000, le Sénégal s'est ouvert à d'autres partenaires, les Etats-Unis d'Amérique, l'Inde, les pays du Golfe, la Libye ou encore la Chine, souvent présentés comme des alternatives au partenariat avec la France. Il semble aujourd'hui que tous ces nouveaux partenariats atteignent leurs limites. De plus, ce que fait la France, aucun autre Etat ne le fait. En décembre 2008, en pleine crise, c'est bien la France qui est intervenue alors que six Etats, dont les Etats-Unis, se sont abstenus au conseil d'administration du FMI. Les promesses des nouveaux partenaires n'ont pas été tenues et l'engouement est un peu retombé, alors que la France, avec ses qualités et ses défauts, a été présente et qu'elle reste porteuse, notamment au sein des institutions européennes d'une conscience africaine plutôt rare.

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