Intervention de Sylvie Desmarescaux

Commission des affaires sociales — Réunion du 7 avril 2010 : 1ère réunion
Facilité d'accès aux stages des étudiants et élèves travailleurs sociaux — Examen du rapport - examen des amendements - adoption du texte de la commission

Photo de Sylvie DesmarescauxSylvie Desmarescaux, rapporteur :

a indiqué que cette proposition de loi vise à remédier aux difficultés que rencontrent actuellement les étudiants en travail social pour trouver des structures d'accueil acceptant de les prendre en stage.

D'une manière générale, les stages permettent aux étudiants non seulement de mettre en oeuvre les connaissances qu'ils ont acquises dans le cadre des enseignements théoriques, mais aussi de leur donner une expérience du monde professionnel et de ses métiers. De leur côté, les structures d'accueil ont tout intérêt à faire découvrir aux étudiants leur secteur d'activité, d'autant que les stagiaires sont souvent en mesure de leur apporter un petit complément de main-d'oeuvre utile.

Par le passé, on a constaté que certains stages pouvaient être utilisés comme une modalité de pré-embauche, ou même correspondre à un véritable emploi mais sans contrat de travail. Ces abus ont conduit le législateur à encadrer le déroulement des stages. Ainsi, l'article 9 de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, qui vise les stages en entreprise réalisés dans le cadre du cursus pédagogique des étudiants en formation initiale (hors apprentissage), prévoit :

- d'une part, la conclusion d'une convention de stage entre l'entreprise d'accueil, le stagiaire et son établissement d'enseignement, afin de prémunir les étudiants contre les pratiques abusives et de leur assurer de bonnes conditions de travail durant leur stage ;

- d'autre part, la gratification des étudiants lorsque la durée de leur stage est supérieure à trois mois consécutifs, en plus du remboursement des frais (transport, restauration...), afin de rétribuer leur participation à la vie de l'entreprise. Cette gratification n'a pas le caractère juridique d'un salaire.

Depuis lors, le dispositif a été amélioré sur trois points :

- en 2008, la mesure a été élargie, par décret, aux stages effectués au sein d'une association, d'une entreprise publique ou d'un établissement public à caractère industriel et commercial ;

- en 2009, un décret a prévu la même gratification pour les stagiaires accueillis dans les administrations et les établissements publics de l'Etat ;

- enfin, la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a ramené de trois à deux mois consécutifs la durée minimale du stage à compter de laquelle une gratification est due au stagiaire.

Force est de reconnaître que la mise en oeuvre de la gratification n'a pas eu que des effets positifs. L'expérience montre en effet qu'elle a entraîné, à l'usage, un effet contre-productif : celui de restreindre sensiblement l'offre de stages. Sont particulièrement concernés les secteurs sanitaire, social et médico-social, pour lesquels les stages de longue durée occupent une part importante de la formation des étudiants et dont la validation est indispensable à l'obtention des diplômes.

Il s'avère que de nombreuses structures d'accueil se sont désengagées de la formation des étudiants, estimant ne pas disposer des moyens financiers suffisants pour assumer les dépenses de gratification. Faute de proposition, de plus en plus de jeunes se retrouvent donc dans l'incapacité de valider des stages longs et d'achever leur cursus pédagogique. A terme, c'est leur formation qui est menacée. Paradoxalement, cette situation a conduit certains étudiants à s'élever contre la gratification : lors de l'examen du projet de loi « HPST », les étudiants en orthophonie ont demandé que leurs stages en soient exemptés. Leur requête d'ailleurs a été prise en compte et étendue, au cours des débats, à l'ensemble des étudiants auxiliaires médicaux.

Désormais, le mouvement de contestation provient des étudiants travailleurs sociaux : ces deux dernières années, tous les centres de formation en travail social ont été affectés, à des degrés divers, par des mouvements de grève et de blocage des cours ; de nombreuses manifestations d'étudiants ont été organisées à Paris et en province, encore très récemment.

Ces étudiants travailleurs sociaux suivent une formation pour devenir assistants de service social, éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, conseillers en économie sociale et familiale, assistants familiaux, auxiliaires de vie sociale, etc. Leur cursus pédagogique fait alterner, à quasi-parité, enseignement théorique et formation pratique, dans laquelle les employeurs du secteur ont su prendre toute leur part pour favoriser l'insertion professionnelle rapide et durable des jeunes dans un secteur en plein essor.

Or, ce système est aujourd'hui menacé par la pénurie de stages, elle-même suscitée par l'obligation de gratification qui a créé trois séries de difficultés :

- l'inégalité public/privé : initialement, seuls les établissements et services sociaux et médico-sociaux de droit privé étaient tenus de rétribuer les stagiaires, les administrations et les établissements publics administratifs ne l'étaient pas. Il en a résulté une inégalité de traitement entre les étudiants selon leur lieu de stage. Depuis, ce problème a été en partie résolu puisque le champ d'application de l'obligation de gratification a été étendu en 2009 aux administrations et établissements publics de l'Etat. En revanche, cette obligation ne concerne toujours pas les administrations territoriales et les établissements publics qui leur sont rattachés ;

- l'appauvrissement quantitatif et qualitatif des lieux de stage : dès la mise en place des gratifications, les établissements et services sociaux et médico-sociaux ont fait savoir qu'ils auraient des difficultés à assumer cette nouvelle charge financière. La raréfaction de l'offre se traduit notamment par la diminution du nombre de stages longs au profit des stages courts, moins propices à l'acquisition de connaissances pratiques approfondies ;

- la remise en cause des projets personnels de formation : habituellement, il est demandé à chaque étudiant en travail social de s'engager dans un processus de formation personnalisée destiné à lui donner une vision d'ensemble des secteurs où il pourra être amené à intervenir à l'avenir. La contraction de l'offre de stage a fortement altéré cette démarche.

Il est clair que le principal obstacle à l'accueil des stagiaires est d'ordre financier : les établissements sociaux et médico-sociaux ne s'estiment pas en mesure de prendre en charge les dépenses de gratification. Aussi, pour répondre à leurs inquiétudes, la direction générale de l'action sociale (DGAS) a pris, en 2008, deux circulaires destinées à préciser les modalités de financement de la mesure. Celles-ci rappellent tout d'abord que la gratification doit être prise en charge par les budgets des établissements. Elles indiquent ensuite que, s'agissant des établissements et services médico-sociaux (ESMS) financés par l'Etat, il appartient aux Drass et aux Ddass de prendre en compte ces dépenses dans le cadre des financements qu'elles leur octroient. Pour ce qui concerne les ESMS tarifés par les conseils généraux, la DGAS se contente de rappeler que les dépenses afférentes aux gratifications sont imputables sur les budgets.

Malgré les recommandations des syndicats d'employeurs, les efforts des services de l'Etat et l'engagement d'un certain nombre de conseils généraux, les établissements de formation en travail social continuent de rencontrer de sérieuses difficultés pour garantir les temps de formation pratique. Ils dénoncent l'insuffisance des moyens alloués pour financer les gratifications et estiment que, sans accompagnement financier adéquat, celles-ci compromettent gravement le processus global de formation des travailleurs sociaux. L'association française des organismes de formation et de recherche en travail social (Aforts) considère ainsi que c'est à l'Etat, en tant que promoteur de cette mesure, d'assurer le financement des rétributions accordées aux stagiaires. De leur côté, certaines fédérations d'établissements, rappellent - sans pour autant en contester le principe - que la rémunération des stages risque de mettre en péril l'accueil en établissements de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale si aucun financement compensateur n'est dégagé.

L'objectif de la proposition de loi est donc de permettre aux étudiants travailleurs sociaux d'achever leur cursus et d'obtenir leur diplôme au moment où le secteur social et médico-social connaît d'importants besoins de recrutement. Son dispositif s'inspire directement de la solution retenue pour les auxiliaires médicaux dans la loi « HPST » : exempter les stages intégrés à la formation des étudiants travailleurs sociaux de l'obligation de gratification, à l'exclusion des indemnités justifiées par les contraintes liées à ces stages. Pour autant, cette formule, la plus efficace à court terme, ne peut être que temporaire car il n'est pas question de remettre en cause le principe de gratification, ni les objectifs qui lui ont été assignés, en particulier l'amélioration des conditions de vie des étudiants.

Le but n'est pas de démonter progressivement, secteur par secteur, l'obligation de gratification, mais de chercher les moyens d'en atténuer les effets contre-productifs et de faire en sorte que les structures d'accueil soient en mesure d'assurer leurs obligations légales. En décembre dernier, l'Igas a été chargée d'évaluer l'incidence de la réglementation des stages, ce qui suppose, au-delà de la question de la gratification, d'engager aussi une réflexion sur l'organisation du cursus pédagogique des étudiants travailleurs sociaux.

Pour ces motifs, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur, a présenté un amendement visant d'une part, à limiter dans le temps - jusqu'au 31 décembre 2012 - cette dérogation au principe de gratification, d'autre part, à prévoir l'établissement d'un bilan de sa mise en oeuvre, que le Gouvernement transmettra au Parlement. Cette solution a non seulement le mérite d'apporter une réponse immédiate à la pénurie de l'offre de stages, mais aussi celui de laisser le temps d'étudier, notamment sur la base des conclusions de la mission de l'Igas, les pistes d'aménagement possibles de l'obligation de gratification dans le secteur social et médico-social.

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