a tout d'abord indiqué que son rapport comporterait une première partie consacrée à la mesure de la pauvreté et de l'exclusion sociale, à partir de la note réalisée par le service des études économiques du Sénat.
Le Gouvernement a pris l'engagement de réduire d'un tiers la pauvreté au cours des cinq prochaines années. Les résultats doivent être évalués à partir d'un « tableau de bord » d'objectifs chiffrés, constitué autour d'un indicateur central dit de « pauvreté ancrée dans le temps ». Cette démarche s'inscrit dans un cadre déjà existant de statistiques, coordonné au plan européen. Définir la pauvreté et l'exclusion implique un jugement de valeur sur ce qu'est le bien-être. Les controverses sur des sujets tels que la mesure du pouvoir d'achat ou celle du chômage ont mis en évidence les contraintes et enjeux de la statistique, et l'intérêt d'éclairer les choix qui sous-tendent les chiffres portés à la connaissance du public.
a souligné que le choix d'indicateurs adéquats n'est pas qu'une simple question technique. Il comporte une forte dimension politique, puisqu'il induit nécessairement des stratégies et une allocation particulière de moyens. Or il apparaît qu'aux plans européen et français, l'accent a été mis de façon sans doute trop prononcée, sur les aspects monétaires de la pauvreté, dans une perspective relative, puisque la mesure de la pauvreté, à l'aune du seuil européen de 60 % du revenu médian, est en réalité une mesure des inégalités.
Pour s'affranchir de cet indicateur purement relatif, le gouvernement a choisi de se fonder prioritairement sur le taux de pauvreté ancré dans le temps, calculé en prenant comme seuil de pauvreté celui d'une année précédente augmenté de la seule inflation. Dans un contexte non récessif, la diminution du taux de pauvreté ancré dans le temps est une tendance prévisible, liée à l'augmentation des revenus. Entre 2000 et 2005, le taux de pauvreté ancré dans le temps a diminué d'environ un quart. Obtenir une diminution d'un tiers au cours des cinq prochaines années implique donc, en tout état de cause, une accélération de ce rythme.
Les indicateurs monétaires demeurant indispensables, M. Bernard Seillier, rapporteur, les a jugés perfectibles. Des rapprochements entre bases de données fiscales et sociales permettraient d'améliorer l'exactitude de l'enquête « revenus fiscaux », sur laquelle se fondent les indicateurs et dont beaucoup d'éléments sont encore calculés à partir d'imputations, c'est-à-dire déduits de barèmes ou d'équations économétriques. Ce rapprochement des bases, conjugué à une augmentation de la taille de l'échantillon enquêté, rendrait possible une analyse plus précise des inégalités :
- d'une part, en donnant une meilleure idée de leurs causes, ou du moins des phénomènes directement corrélés (emploi, logement etc.), ce qui faciliterait le passage du constat à l'action ;
- d'autre part, en permettant de mener ce type d'analyse y compris au plan local, afin de prendre en compte l'impact grandissant des politiques sociales locales sur les niveaux de vie.
Au surplus, il a souhaité une meilleure connaissance des trajectoires menant à la pauvreté, ce qui serait un atout considérable pour l'élaboration des politiques.
Au-delà de cette amélioration de la connaissance des inégalités et de leur processus de formation, il a également estimé nécessaire de renforcer l'approche qualitative de la pauvreté, notamment en ce qui concerne les conditions de vie. Cet aspect demeure marginal dans la grille de lecture européenne de la pauvreté. En France, l'attention est focalisée sur les indicateurs monétaires, le taux de difficultés dans les conditions de vie faisant l'objet de peu de communication. Or un recoupement plus systématique entre indicateurs monétaires et indicateurs de conditions de vie serait susceptible de fournir des informations intéressantes.
Enfin, et paradoxalement, la très grande pauvreté est mal connue. L'évolution du taux de pauvreté monétaire ne donne pas d'information sur cette dimension particulière. S'agissant des sans-domicile, l'Inspection générale des affaires sociales a suggéré des pistes pour une meilleure articulation des sources statistiques existantes.
s'est déclaré favorable à la définition, en partenariat avec les associations, d'un certain nombre d'indicateurs d'alerte, plus qualitatifs que les indicateurs existants et susceptibles de mesurer et d'être publiés dans des délais plus brefs. L'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) travaille notamment en ce sens.
Il a ensuite présenté la deuxième partie du rapport consacré aux nouvelles caractéristiques de la pauvreté et aux propositions visant à améliorer l'accès aux droits fondamentaux.
La pauvreté touche les catégories les plus fragiles de la population : bénéficiaires de minima sociaux, demandeurs d'emploi, personnes isolées et, phénomène nouveau, les « travailleurs pauvres », qui révèle que l'activité ne représente plus une protection absolue contre la précarité.
Au-delà des aspects monétaires, M. Bernard Seillier, rapporteur, a indiqué que la pauvreté se caractérisait également par des difficultés d'accès aux droits fondamentaux - soins, logement, services bancaires et crédit - qui peuvent parfois se traduire par des atteintes à la dignité de l'individu et des situations de « grande exclusion ».
En dépit de la mise en oeuvre de réformes ambitieuses (plan de cohésion sociale, loi Dalo, plan d'action renforcé en faveur des sans abri, CMU, intéressement renforcé à la reprise d'activité pour les allocataires de minima sociaux, mise en place d'un service bancaire universel), des difficultés d'accès aux droits fondamentaux subsistent et nécessitent des améliorations dans quatre directions :
- faciliter la prise en charge et l'accès aux soins des personnes défavorisées ;
- poursuivre les actions engagées en faveur de l'hébergement et du logement en portant une attention particulière aux personnes en situation de grande précarité ou vivant dans les zones les plus tendues ;
- renforcer l'accès au crédit et aux services bancaires et améliorer la prévention pour lutter contre le surendettement ;
- réformer le système de solidarité nationale, trop complexe et peu lisible, en le simplifiant et en le rendant plus incitatif à la reprise d'activité. Il a posé comme préalable à toute réforme des minima sociaux l'intégration des « droits connexes », le recentrage des politiques sur les personnes les plus éloignées de l'emploi et l'amélioration de l'accompagnement des publics en insertion.
Concernant la généralisation du revenu de solidarité active (RSA), M. Bernard Seillier, rapporteur a émis les plus vives réserves sur le redéploiement des crédits consacrés au financement de la prime pour l'emploi, qui risque de pénaliser les foyers les plus modestes. Il a regretté que tous les avantages de cet instrument de redistribution des revenus, qui s'apparente à un crédit d'impôt, n'aient pas été suffisamment mis en évidence. A cet égard, il a fait observer que son intégration dans le dispositif du RSA généralisé n'était, à ce jour, pas encore confirmée et a insisté sur la nécessité de conduire l'expérimentation du RSA à son terme, afin de se laisser le temps d'étudier les recommandations du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) relatives au risque de précarisation des emplois, qui pourrait résulter du versement de ce nouveau revenu de solidarité aux travailleurs pauvres.
Il a ensuite indiqué que la troisième partie du rapport était consacrée à l'axe majeur de la prévention de la pauvreté qu'est la politique éducative.
a tout d'abord rappelé que lorsqu'on naît pauvre, trop souvent on le reste, et qu'on ne le devient en fait que rarement. Il a regretté que notre système scolaire reproduise les inégalités de la société et ne permette pas suffisamment aux enfants de familles défavorisées de connaître des trajectoires d'ascension sociale, alors que son objectif est d'amener les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, à trouver une place dans la société conforme à leurs aspirations, à leurs capacités et à leur mérite.
Il a illustré son propos en citant les données suivantes :
- 50 % des jeunes Français qui sortent de l'école sans diplôme sont issus des 20 % des ménages les plus pauvres ;
- il est près de huit fois plus probable qu'un enfant dont les parents sont situés dans les 10 % des ménages les plus pauvres soit en retard qu'un enfant dont les parents sont dans les 10 % des ménages les plus riches ;
- et près de 60 % des élèves dont les parents sont ouvriers non qualifiés ou inactifs n'ont pas le baccalauréat, contre 13 % des enfants d'enseignants.
Il s'est ensuite interrogé sur les causes de l'échec scolaire des enfants pauvres. Si certaines causes sont directement liées au niveau de vie des parents, il a relevé que le facteur prépondérant de réussite était le niveau d'instruction de la famille. Il en a conclu que c'était l'échec scolaire que reproduisait l'école et que l'éducation nationale, responsable en partie de la reproduction des inégalités, devait réfléchir sur ses propres pratiques pour mieux garantir l'égalité des chances.
a ensuite fait observé que les inégalités scolaires sont constituées dès l'école primaire et qu'elles sont quasiment irrémédiables ensuite ; que les politiques de discrimination positive ont été globalement inefficaces, surtout au collège et au lycée ; que les écarts de résultats scolaires n'expliquent pas exclusivement l'orientation d'élèves et que celle-ci tend à reproduire les cursus scolaires et professionnels de ses parents.
Il a estimé que ces problèmes appelaient des réponses diversifiées et développées autour de plusieurs axes. Il a souhaité qu'une véritable mission sociale soit confiée à l'éducation nationale, considérant par exemple que s'il fallait donner plus de moyens au système éducatif, c'était l'école primaire qu'il fallait cibler avec pour objectif principal de réduire les inégalités. Afin que cette mission sociale soit efficace, il conviendrait d'accorder une autonomie supplémentaire aux établissements scolaires, en matière de pédagogie, de gestion de ressources humaines et d'utilisation des moyens.
Il a également souhaité un élargissement de l'horizon des élèves par une orientation active. Dans cette perspective, le rapport propose notamment d'instituer au collège davantage de stages en entreprise. Le seul moyen pour les enfants issus de milieux défavorisés d'avoir des perspectives différentes, de croire en un autre avenir, est selon lui que l'éducation nationale leur offre la possibilité de constater la réalité de métiers autres que ceux exercés par leurs parents. Il a estimé que cela permettrait que le travail manuel, déconsidéré dans certaines familles, notamment aisées, soit davantage valorisé. Il a proposé à cet égard que l'enseignement de la technologie au collège soit renforcé.
Estimant enfin que les initiatives innovantes en direction des enfants moins bien adaptés au système scolaire devaient être encouragées, il a souligné le rôle des écoles de la deuxième chance, ou des dispositifs « Défense, 2ème chance », dont les méthodes et objectifs prometteurs ont été exposés par le Général Valentin lors de son audition par la mission.
Abordant ensuite, dans une quatrième partie, la composante économique des problématiques liées à la pauvreté et l'exclusion, il l'a qualifiée de centrale, en raison d'un phénomène relativement récent : le développement de la précarité dans l'emploi et des « travailleurs pauvres ». Depuis le début des années 2000, a-t-il expliqué, notre pays compterait entre 1,3 et 1,4 million de salariés dont les revenus ne leur permettent pas de vivre décemment, les jeunes, les femmes et les personnes âgées étant les plus touchés. Si l'on élargit le périmètre, ce sont 3,5 millions de personnes qui sont aujourd'hui éloignées de l'emploi, du moins sous ses formes stables, et qui peuvent à tout moment sombrer dans une spirale d'échec menant à l'exclusion.
a relevé que la réaction des différents acteurs face à ce constat était inégale. Les associations sont aujourd'hui très présentes sur le secteur de l'insertion par l'économie, à travers des actions allant du soutien à la recherche de travail jusqu'à la création d'emplois rémunérés. Encore en retrait, les entreprises sont en passe de prendre la place qui leur revient, en développant leur responsabilité sociale, en recourant davantage au tutorat et au parrainage, ou en créant des fondations solidaires.
Les instruments d'insertion sont, en revanche, largement inadaptés à ce jour, a-t-il ensuite souligné. La formation professionnelle profite à ceux qui en ont le moins besoin. Le secteur de l'insertion par l'économique, mobilisant un très grand nombre d'acteurs, s'adapte mal aux publics qu'il accueille et génère des résultats faibles par rapport aux dépenses qu'il engendre. Le système des contrats aidés, bien que simplifié, reste peu lisible, coûteux et d'une efficacité très discutable. Le service public de l'emploi, en pleine réforme, est très largement inadapté au profil des demandeurs d'emploi les plus éloignés du marché du travail. Enfin, la création d'entreprise, qui devrait être une voie privilégiée de lutte contre l'exclusion économique, est encore trop peu développée, malgré la montée en puissance d'instruments comme le micro-crédit.
En vue de dynamiser l'insertion professionnelle, M. Bernard Seillier, rapporteur, a indiqué qu'il présentait dans son rapport une liste de préconisations très diverses, en insistant sur trois d'entre elles :
- la création d'un statut adapté à la vie en communauté, sur le modèle retenu par l'association Emmaüs, pour les personnes qui ne souhaitent pas intégrer le monde de l'entreprise ;
- la promotion des groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (GEIQ), qui ont fait la preuve de leur très grande efficacité et bénéficient autant aux travailleurs qu'aux entreprises, comme un outil privilégié de la politique de l'emploi ;
- la mise en place d'un véritable contrat unique d'insertion, fusionnant l'ensemble des contrats aidés en un dispositif commun, ouvert à tous les publics, modulable en fonction des besoins du salarié et de l'employeur et permettant d'assurer une meilleure transition vers un emploi durable.
a ensuite indiqué que la cinquième partie du rapport serait consacrée à la complexité institutionnelle excessive des politiques de lutte contre la pauvreté, complexité qui nuit indéniablement aux personnes en difficulté et décourage les acteurs de terrain.
La première grande source de complexité résulte de la décentralisation incomplète de ces politiques. Malgré la désignation du conseil général comme chef de file par la loi de 2004, l'Etat pilote, met en oeuvre et coordonne sa propre politique de lutte contre la pauvreté, parallèle à celle des conseils généraux. En outre, les autres niveaux de collectivités jouent également un rôle essentiel.
Le rôle de chef de file du département doit ainsi être réaffirmé et ses capacités de coordination renforcées. Il convient en particulier de réduire à une seule les instances de coordination départementale animées par l'Etat, pour le moment concurrentes du conseil départemental d'insertion, et de placer l'insertion par l'activité économique sous l'autorité du conseil général en fusionnant conseil départemental de l'IAE et conseil départemental d'insertion (CDI).
a ensuite souligné que cette complexité structurelle due à la décentralisation se doublait depuis 2004 d'une mésentente entre Etat et conseils généraux sur les modalités de compensation du transfert du RMI. Il est donc nécessaire de poser les bases d'une confiance renouvelée, en relançant la réflexion sur l'amélioration du financement des compétences sociales du département, avec par exemple un financement de type CSG ;
Il a par ailleurs estimé que la seconde grande source de complexité résidait dans le cloisonnement au niveau local des institutions et des dispositifs, alors même que les instances de coordination sont innombrables. Ce foisonnement rend difficile l'évaluation de l'efficacité du système, au-delà de tel ou tel exemple de réussite ou d'échec. Certes, certains conseils généraux ont bien tenté, et dans une certaine mesure réussi, à mobiliser leurs partenaires pour la réinsertion professionnelle des bénéficiaires du RMI. Cependant, le réseau de conventions qu'ils ont établi est incomplet. Il serait en particulier souhaitable de systématiser la contractualisation entre conseil régional et conseils généraux sur la formation professionnelle des publics en insertion.
Pour améliorer la coordination, il convient en outre qu'un contrat territorial d'insertion, porté par le conseil général, rassemble tous les acteurs de l'insertion professionnelle d'un territoire autour d'objectifs partagés. Ce contrat désignerait, parmi les diverses structures, un animateur, qui pourrait être une association, un organisme consulaire, ou toute autre structure qui aurait fait ses preuves, et qui serait évalué régulièrement.
Enfin, il a proposé que les instances de coordination, qui se sont juxtaposées au fil des années, soient évaluées systématiquement et que celles qui ne se réunissent pas régulièrement, ou s'avèrent inutiles, soient supprimées.
A l'issue de l'exposé de M. Bernard Seillier, rapporteur, un large débat s'est engagé.