Intervention de Amiral Edouard Guillaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 30 juin 2010 : 1ère réunion
Audition de l'amiral edouard guillaud chef d'état-major des armées

Amiral Edouard Guillaud, Chef d'État-major des armées :

Monsieur le président, messieurs les sénateurs, avant de répondre à vos questions, je voudrais en préambule faire un tour d'horizon des principaux sujets. J'aborderai d'abord les opérations en cours, je vous livrerai un point de situation rapide sur la transformation des armées, je terminerai par mon appréciation sur les problématiques liées à la programmation militaire et budgétaire.

10 000 militaires sont engagés en opérations. C'est 2 500 de moins qu'il y a un an et demi. Cela prouve d'abord que la situation évolue favorablement sur les trois théâtres les plus anciens : la Bosnie, dont nous nous sommes retirés, le Kosovo, et la Côte d'Ivoire. Passons en revue les principaux théâtres.

En Afghanistan, ce sont 3750 hommes et femmes qui sont engagés dans une opération difficile. Ils seront environ bientôt 4 000 avec le déploiement d'une OMLT et d'instructeurs supplémentaires. Ce sont 3 750 soldats qui tous les jours remplissent une mission exigeante et dangereuse. Ce sont ces soldats qui à chacune de leur sortie sont harcelés par les tirs ou les engins explosifs improvisés (IED) insurgés. Nous recensons en moyenne 5 à 7 accrochages par semaine.

L'Afghanistan pour nous, militaires, c'est une guerre compliquée, une guerre, meurtrière, une guerre inscrite dans la durée. Elle est compliquée parce qu'elle nous oppose à un ennemi invisible et prêt à tout, dont la seule règle est l'absence de règle. Elle est d'autant plus compliquée que nous ne voulons pas de dommages collatéraux qui font le jeu des talibans. C'est pour cela que nos règles d'engagement et d'ouverture du feu sont particulièrement encadrées. Plus des trois quarts des victimes civiles sont le fait des insurgés. Elle est meurtrière aussi : depuis 2002, ce sont 44 de nos soldats qui ont donné leur vie pour que la population afghane retrouve la paix, 8 depuis le début de l'année. Cette guerre enfin, est une guerre de patience et de persévérance : patience et persévérance de nos hommes sur le terrain, persévérance aussi des afghans, patience des opinions publiques occidentales.

Où en est-on aujourd'hui en Afghanistan ?

En Afghanistan, vous le savez, la « décision militaire » ne sera pas suffisante. Il n'y aura pas de bataille décisive qui emportera la décision de façon définitive. Gagner en Afghanistan, c'est donner confiance aux Afghans dans leurs institutions, c'est séparer la population des insurgés et faire comprendre à ces derniers que leur action est vaine. Il faut d'abord gagner « la bataille des perceptions ».

2010 est une année charnière, « critical » pour reprendre l'expression du général Mac Chrystal.

D'abord pour le gouvernement afghan. La Jirga de paix du mois dernier a réuni 1 600 participants - dont 20% de femmes -sélectionnés par le gouvernement. Aucune délégation de l'insurrection armée n'était officiellement représentée. Ne nous leurrons pas, cette Jirga avec sa résolution finale en 16 points n'apporte pas d'avancée concrète. Mais sa portée est éminemment symbolique : le président Karyai obtient un consensus national qui le mandate pour sa politique de réconciliation. La conférence de Kaboul en juillet sera l'occasion de mesurer la détermination du gouvernement afghan et d'apprécier les premières initiatives de sa politique de « réconciliation ».

C'est aussi une année charnière pour la coalition et pour les Américains, les résultats du « surge », c'est-à-dire d'une augmentation importante mais raisonnée des effectifs, sont attendus. Le général Petraeus appliquera la même stratégie que son prédécesseur, le général Mac Chrystal. Mais, il apparaît de plus en plus évident qu'il sera difficile d'avoir un bilan consolidé à l'automne, pour la conférence de l'OTAN à Lisbonne. C'est mon avis. L'été 2011 pour évaluer les premiers effets de ces opérations me semble plus réaliste. J'espère que cette évaluation sera positive.

Faisons un zoom sur la Kapisa et la Surobi, notre zone d'engagement.

Notre action est globale. Nous agissons simultanément sur trois volets essentiels : la sécurité, la gouvernance et le développement avec comme ligne directrice de le faire avec les Afghans pour les Afghans avant que de le faire faire par les Afghans seuls.

Sur le volet sécurité, nous avons progressé : la circulation est désormais possible sur les axes principaux. Bien sûr, ces axes sont un objectif pour les Talibans et l'on enregistre encore des incidents, notamment entre la Surobi et la Kapisa, dans la basse vallée de Tagab. Mais la circulation y était encore impossible il y a un an. Chaque poste de combat avancé - nous en avons construit 7- est un jalon supplémentaire qui marque les progrès de l'armée afghane. L'insurrection en est consciente : c'est justement pour cette raison qu'elle essaie de durcir son action. La population non plus n'est pas dupe. Un signe très révélateur que les lignes sont en train de bouger : depuis le début de l'année, 15 IED ont été révélés par la population, 15 sur les 49 découverts. C'est encore trop peu, mais c'est nouveau. Sur l'année 2009, nous n'avions eu que 8 informations. Ce n'est pas encore une « tendance lourde », mais cela prouve que la confiance peut s'instaurer entre la population et les forces déployées, qu'elles soient françaises ou afghanes.

Sur le volet développement, les progrès sont déjà sensibles, grâce à une plus grande implication interministérielle. La mise en place auprès du général commandant la Task Force La Fayette, d'un conseiller développement et d'un conseiller pour la gouvernance illustre cette approche globale avec cette nécessaire coordination de terrain pour coller à la réalité afghane. L'effort financier français, consacré aux actions civiles en Afghanistan est de 40 millions d'euros en 2010, dont 25 millions d'euros concentrés sur notre zone d'action. Cette approche intégrée a permis la réalisation de 215 projets en 2009 recourant à 7000 emplois locaux. Ces actions ont permis de toucher 200 villages c'est-à-dire 200 000 habitants sur les 300 000 que comptent la Kapisa-Surobi. Nous utilisons aussi d'autres fonds, notamment ceux de l'Union européenne ou des différents donateurs de la communauté internationale. Enfin, nous travaillons en étroite coordination avec la PRT américaine, présente dans notre zone d'action.

Pour le volet gouvernance, les progrès sont en revanche plus contrastés. Il est vrai que cette question touche au problème de fond de l'Afghanistan : le manque de structures administratives compétentes, le déficit de formation des élites, le lourd passif de 30 ans de guerres destructrices de l'appareil d'état et puis les luttes inter ethniques ou tribales. L'efficacité de la police n'est pas encore acquise. Celle des autorités locales est à géométrie variable et largement conditionnée par la crédibilité des forces de sécurité dans les zones contrôlées. Pour continuer à progresser, nous avons créé en interministériel un pôle stabilisation composé d'experts civils français qui pourront dès le mois d'août établir un véritable partenariat avec les acteurs civils de l'administration Afghane.

Notre objectif, rappelé par le Président de la République, est « d'aboutir à un transfert de responsabilité de la Kapisa et de la Surobi à compter de la fin de l'année 2011 ». Transfert qui ne signifie pas retrait, je le précise. Un tel transfert, nous l'avons conduit avec succès dans le « grand Kaboul » alors que nous étions à la tête du commandement régional centre, le RC-C, en 2008-2009. Nous pouvons aussi le réussir ; d'abord en Surobi, ensuite en Kapisa où la situation est la plus délicate.

Je suis rendu plus optimiste par les témoignages de nos instructeurs, de nos 7 OMLT et 5 POMLT qui réalisent un travail exceptionnel avec les forces de sécurité afghanes. Mais, nous avons besoin de temps pour gagner la confiance des populations comme les afghans ont besoin de temps pour se reconstruire. Nous devons donc être constants dans le soutien que nous apportons à nos troupes. Ce soutien, il est attendu par nos soldats qui sont déployés, qui risquent leur vie et payent le prix du sang, leur engagement au service de la France. La préservation de la prospérité, du bien-vivre en métropole commence dans les montagnes et les vallées afghanes et pakistanaises. Ce soutien, c'est celui que vous apportez dans vos circonscriptions aux unités qui y sont stationnées. Ce soutien, c'est aussi celui que vous apportez en défendant les budgets qui assurent à nos forces un entraînement efficient et des équipements adaptés pour mener les combats que la Nation leur demande.

J'en viens à une deuxième opération importante pour la France et pour l'Union européenne : Atalanta.

Atalanta, pour la France ce sont en permanence, un bâtiment et un avion de patrouille maritime dans l'océan indien pour lutter contre la piraterie, au sein d'un déploiement européen qui compte 6 bâtiments et 7 aéronefs.

Mais Atalanta, c'est surtout un triple succès.

C'est d'abord un succès pour la France qui a ouvert la voie en commençant seule à escorter les bateaux du programme alimentaire mondial qui ravitaillaient la Somalie et qui a véritablement porté ce projet commun au sein de l'Union européenne. Aujourd'hui, la PSDC est visible grâce à cette opération.

C'est donc aussi un vrai succès de l'Union européenne qui d'une part défend ses propres intérêts - en l'occurrence, les voies d'approvisionnements stratégiques entre l'Europe et l'Asie - et qui d'autre part, s'impose comme un acteur global crédible. Atalanta, c'est en effet l'opération autour de laquelle s'organise la lutte contre la piraterie en océan indien. L'Union européenne est leader, parce que l'Union européenne est la seule capable de proposer cette approche globale ; approche qui va de l'action militaire directe contre les pirates, à l'action judiciaire, en passant par la formation des soldats somaliens, jusqu'à la diffusion des bonnes pratiques vers les armateurs du monde entier. Les autres opérations, y compris celle de l'OTAN, se définissent elles-mêmes comme un soutien à Atalanta. La mission EUTM Somalia en Ouganda qui forme 2000 soldats somaliens s'inscrit dans cette dynamique.

C'est enfin un succès opérationnel puisque le bilan de l'opération est très positif. En 2009, sur 215 attaques recensées, 176 ont échoué. Depuis le début de l'année, sur 90 attaques recensées, 72 ont échoué. Les succès militaires en mer permettent aujourd'hui de contenir le phénomène « piraterie » et de mieux sécuriser les intérêts économiques des pays concernés. Je le rappelle, ce sont 20 000 navires qui transitent dans cette zone. Notre objectif n'est pas d'éradiquer la piraterie, mais bien de faire baisser la pression. Pour autant, la solution ultime n'est pas en mer. Elle est à terre, avec une Somalie reconstruite et une sous-région stabilisée. C'est sous cet angle que la France et l'Union européenne envisagent la lutte contre la piraterie. A l'été, la France assumera le commandement de la Force.

Le Kosovo et la Côte d'Ivoire sont les deux théâtres où notre désengagement annoncé et espéré, se heurte à des échéanciers incertains.

Au Kosovo, la poursuite du retrait militaire passe par l'OTAN, sur un calendrier que nous ne maîtrisons pas entièrement. Ce retrait militaire, nous l'avons déjà en partie réalisé : en 1 an, nous avons divisé par deux nos effectifs : de 1 600 au début de 2009 à 764 très exactement aujourd'hui. Je rappelle qu'en 1999, nous avions 8 000 hommes déployés, 5 800 en 2001, 3 000 en 2005, 2 000 en 2008. Pour nous, les conditions techniques et sécuritaires d'un désengagement militaire sont réunies. C'est notre position au sein de l'OTAN aujourd'hui. L'été devrait voir le conseil de l'Atlantique Nord proposer le passage à la prochaine posture, dite « Gate 2 », qui nous permettra de nous désengager fin 2010 ou début 2011.

Quant à la Côte d'Ivoire, vous suivez avec moi les difficultés liées à l'organisation des élections. Pour l'opération Licorne aussi, les déflations ont été importantes. Je vous les rappelle : nous étions 4 500 en 2004, 2 000 en 2008 et encore 1 200 en 2009. Aujourd'hui, 966 militaires y sont déployés, soit l'effectif d'un petit bataillon. Cet effectif, c'est le seuil critique en deçà duquel nous ne pouvons descendre. En cas de crise, c'est l'effectif minimum qui permettrait de contrôler l'aéroport, le camp de Port Bouet et l'axe qui relie les deux sites, pour permettre, dans l'urgence, en attendant des renforts, l'organisation d'une évacuation des ressortissants français. Ils sont 13 700 dont 9 000 binationaux. Je ne compte pas tous les ressortissants européens que, probablement, nous devrions prendre en compte en cas de crise majeure.

Au Liban, la situation est relativement calme, ce qui ne signifie pas qu'elle est saine, mais reste délicate. Avec 1 450 militaires français déployés, nous sommes le 2ème contributeur derrière l'Italie. Aujourd'hui, nos forces sont engagées sur une double mission : un contrôle de zone et une mission de réserve d'intervention au profit de toute la FINUL. Dans le cadre de la revue technique lancée par l'ONU sur la FINUL, nous étudions une évolution de notre dispositif. La conséquence principale de cette revue serait un regroupement de nos capacités sur une seule mission, au lieu des deux actuellement. Sur ce volet, nous attendons les réponses de New York à la fin de l'été.

Pour conclure sur ce volet « opérations », j'ajouterai que le surcoût des opérations extérieures était de 870 millions d'euros en 2009. En 2010, la tendance est du même ordre.

J'en viens au deuxième point de mon exposé : la transformation des armées.

Le ministère de la défense et les armées, sont entrés dans un processus de transformation sans précédent depuis la fin de la guerre d'Algérie et la réforme Messmer. J'insiste sur ce point. Elle est sans précédent parce qu'il ne s'agit pas seulement d'une réduction homothétique de nos effectifs associée à une restructuration territoriale ; il s'agit d'une transformation en profondeur. C'est une manoeuvre d'ensemble des armées et du ministère qui vise à rationaliser notre administration et notre soutien, à l'aune des conclusions du Livre Blanc et dans le cadre de la RGPP. Pour les armées, c'est une déflation de 48 800 personnels. 48 800 sur les 54 000 demandés au ministère de la défense ! Ce sont 17 % de nos effectifs !

J'ajouterai qu'en conduisant cette réforme ambitieuse nous assumons non seulement l'ensemble de nos engagements en opérations, mais nous survivons à Chorus et Louvois !

La conduite de cette réforme est une prouesse et je le souligne devant vous : Nous la devons à la qualité exceptionnelle des hommes et des femmes qui servent au sein de l'institution, avec un dévouement dont je mesure au quotidien toutes les exigences. Le Président de la République l'a souligné le 10 juin dernier, lors de sa visite sur le porte-avions Charles de Gaulle : « peu d'administrations de l'Etat peuvent se targuer d'avoir conduit à intervalles réguliers des efforts d'adaptation et de modernisation aussi conséquents ». Mais, ne nous y trompons pas, l'équilibre est fragile : fragile et fragilisé par la crise financière et économique que nous connaissons. Je vais y revenir.

Mais d'abord, où en est-on de cette réforme ?

Nous sommes au terme d'une première phase d'expérimentation (2009 à mi 2010) et à l'orée de la seconde phase, celle de la montée en puissance (mi 2010-2013). Les armées respectent strictement leur calendrier. Aujourd'hui, nous sommes au milieu du gué. Au milieu du gué, cela signifie que nous sommes là où le courant est le plus fort, où les vulnérabilités sont les plus importantes.

Concernant notre dispositif, 143 formations militaires ont été transférées ou dissoutes, de nombreux matériels ont été retirés du service actif : 6 bâtiments de la marine, 138 chars Leclerc, 39 Mirage F1, 30 hélicoptères Gazelle. Nous avons rationalisé les structures de commandement opérationnel : c'est par exemple la dissolution de deux états majors de forces, à Limoges et à Nantes, ou du commandement des forces logistiques terrestres à Montlhéry. Nous avons rationalisé notre dispositif outre mer et à l'étranger avec la refonte des accords de défense (Togo, Cameroun, Gabon et République centrafricaine) et un déploiement aux Emirats Arabes Unis. Nous avons organisé notre participation pleine et entière dans l'OTAN et nous avons réalisé le redéploiement de nos forces engagées en opérations.

Sur le plan organique, nous avons déjà réduit de 19 500 postes sur les 48 800 attendus en fin de trajectoire 2015 pour les armées. Dans le même temps nous avons rationalisé et mutualisé les soutiens communs avec la création de 18 bases de défense pilotes. La nouvelle cartographie des 51 bases de défense métropolitaines et des 9 bases de défense outre mer est désormais validée. Elles seront mises en oeuvre dès le début de l'année prochaine.

Les avantages et les bénéfices associés à cette transformation ne seront visibles que dans la durée. Les économies en fonctionnement des nouvelles organisations sont escomptées à partir de 2013.

Vous le voyez bien, les chantiers sont multiples, menés de front avec toutes les difficultés et les risques associés.

J'identifie une difficulté majeure et deux risques.

La difficulté est essentiellement budgétaire. Nous manquons de ressources pour financer à la fois notre fonctionnement courant et l'infrastructure, compte tenu des besoins incompressibles liés aux restructurations. Cette difficulté va malheureusement perdurer avec les restrictions annoncées.

Quant aux risques, le premier est lié au caractère « guerrier » de nos activités. Je veille avec la plus grande attention à préserver les équilibres et à ne pas sacrifier sur l'autel de l'externalisation ou de la civilianisation, la cohérence opérationnelle de nos armées. Il ne faudrait pas que des logiques comptables prennent le pas sur la cohérence opérationnelle. La mise en place de nouvelles structures dédiées à l'administration générale et au soutien commun pose la question de la civilianisation. Je fais étudier l'ouverture d'un nombre significatif de postes de responsabilités pour le personnel civil. Dans ce cadre, cela nécessite une clarification des rôles et une meilleure définition de la spécificité militaire. Les militaires ont une légitimité à occuper des postes de responsabilités dans quasiment tous les domaines par obligation fonctionnelle. En opérations, quelle que soit la fonction occupée, du responsable des services techniques ou informatiques au responsable des RH, il faut savoir se servir d'un fusil d'assaut, ne serait-ce que pour assumer sa propre légitime défense. Au total, il n'y a, de ma part, aucun dogmatisme sur le sujet, mais une attention particulière à ne pas fragiliser l'identité, la spécificité, l'expertise et les besoins opérationnels des armées! « L'intelligence de métier » ne se décrète pas, elle se forge avec l'expérience, dans la durée.

Le second risque touche principalement au moral de notre personnel, civil et militaire. C'est au moment où la réforme rentre dans sa phase la plus délicate que la crise apparaît. Si chacun individuellement peut comprendre les efforts à consentir pour participer à la bataille du désendettement de l'Etat ; à titre collectif, il nous sera compliqué de faire comprendre que les efforts doivent être prolongés au-delà de ce qui était initialement prévu.

Ceci m'amène tout naturellement à évoquer devant vous les problématiques de la programmation budgétaire et militaire

Vous le savez, l'une des principales préoccupations d'un CEMA, c'est de disposer, dans la durée, des ressources humaines et financières qui lui permettent de construire un outil de défense, à même de répondre à tous types de crises sécuritaires.

Il faut du temps pour recruter, former, et entraîner notre personnel : entre 5 et 10 ans. Il faut un peu plus de temps pour acquérir, développer, maîtriser et entretenir des savoir faire complexes : entre 10 et 15 ans. Il faut beaucoup de temps pour concevoir et mettre en oeuvre un système d'armes : entre 15 et 20 ans. Il faut enfin encore plus de temps pour apprendre à combiner, coordonner, synchroniser les outils, les hommes qui les servent, les chefs qui les commandent : plus d'une génération.

Un outil de défense complet, tel que nous le connaissons aujourd'hui, réclame du temps. C'est bien pour cela que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale se projette jusqu'à l'horizon 2020.

Et, je ne vous apprends rien en vous disant que le temps, c'est de l'argent ! Si l'argent vient à manquer, ce sont les équilibres de notre outil de défense qui sont touchés !

Nos armées, avec la loi de programmation militaire, étaient rentrées dans une phase de « recapitalisation » avec le renouvellement de ses matériels majeurs au travers des grands programmes que vous connaissez. Mais la crise est là.

Hier, la situation n'était que tendue. Tendue, parce que des besoins nouveaux, post LPM, sont très vite apparus et sont venus alourdir la facture : ce sont notamment les coûts associés à l'implantation aux Emirats Arabes Unis, aux démantèlements des équipements ou aux mises aux normes environnementales. L'exercice de gestion 2010 dans lequel nous sommes engagés est donc déjà compliqué. Mais enfin, la situation n'était pas défavorable, parce que nous avions une cohérence globale entre le Livre Blanc et la loi de programmation militaire autour d'un processus vertueux qui accordait au ministère de la défense des ressources nécessaires.

Aujourd'hui, la situation est délicate. Délicate, parce que, sous l'effet combiné de plusieurs facteurs que vous connaissez, la crise financière puis économique, la crise de l'euro, l'état de nos finances publiques imposent des choix budgétaires. Ces choix, nous devons les faire dans un temps court, ce temps qui justement nous est tellement indispensable pour la construction de notre outil de défense. Ces choix seront structurants. Une application stricte du gel des annuités du budget triennal constituerait pour nous une rupture. Il s'agit donc d'obtenir que le curseur finalement choisi évite une telle rupture. L'effort sera très important, je le sais, mais personne ne comprendrait que nous ne le fassions pas.

Mes marges de manoeuvres sont limitées dans une LPM qui était déjà contrainte, comme d'ailleurs toutes les LPM. Trois leviers sont accessibles : les programmes d'armement, le fonctionnement et les ressources humaines.

Agir sur les programmes d'armement, c'est procéder à des révisions capacitaires à plus ou moins brève échéance. Il nous faudra déterminer lesquelles : ce sont des choix stratégiques et sécuritaires lourds avec des conséquences sur le tissu industriel, notamment sur les PME ; la défense est le premier investisseur de l'Etat.

Agir sur le fonctionnement, c'est éventuellement réduire l'activité des armées, c'est pénaliser la préparation opérationnelle qui contribue à la sécurité de nos soldats en opérations.

Agir sur les ressources humaines ce serait une révision du format à la baisse, la fermeture potentielle de nouveaux sites, et la redéfinition des contrats opérationnels. Nous n'en sommes pas encore là, mais il sera prudent d'y réfléchir.

En fonction de la pression appliquée sur chacun de ces trois leviers, les effets seront plus ou moins importants.

J'observe que les autres structures du ministère de la défense devront naturellement aussi prendre leur part du fardeau.

Aujourd'hui, les études sont en cours. Nous travaillons sur différentes hypothèses, en essayant de trouver le moins mauvais compromis, celui qui préserve les équilibres structurants et la cohérence de notre outil de défense au regard des ambitions affichées dans le Livre blanc.

L'équation que nous devons résoudre aujourd'hui est particulièrement complexe. Nous en sommes tous conscients. En Europe, toutes les armées sont soumises aux mêmes dilemmes, aux mêmes pressions, aux mêmes difficultés. La surprise stratégique aujourd'hui, c'est bien la surprise générée par l'ampleur de la crise financière et ses conséquences sur les économies, notamment européennes.

Pour conclure, je livre à votre réflexion ce constat. En période de crise économique, la tendance naturelle de nos démocraties européennes est de faire peser sur la défense des efforts importants. Or c'est justement dans ces périodes de crises et d'incertitudes que les risques augmentent, que les tensions sont les plus fortes, que le monde est plus dangereux. Les leçons de l'Histoire sont têtues. Le reste du monde ne s'y trompe pas ; il augmente ses budgets militaires de plus de 6% en moyenne sur l'année 2009 ! L'Europe est la seule à réduire ! Les années à venir sont lourdes de défis, d'incertitudes, d'inquiétudes. Le Président de la république le rappelait dernièrement lors de sa visite sur le Charles de Gaulle.

Nous sommes bien conscients que la défense ne peut s'exonérer de l'effort collectif. Mais, nous devons rester vigilants : la défense de demain, c'est aujourd'hui que nous la construisons ! Le moment venu, c'est bien sur cette base que je proposerai les choix au ministre et au Président de la République.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion