Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 30 juin 2010 : 1ère réunion
Déplacement au gabon — Communication

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner, co-rapporteur :

La mission que Jacques Gautier et moi-même avons effectuée au Gabon du 20 au 24 avril dernier s'inscrit dans la série de déplacements de notre commission sur les théâtres d'opérations où nos forces sont impliquées.

Naturellement, l'un des objectifs était de mieux s'informer sur l'organisation de nos forces prépositionnées au Gabon, pays qui doit devenir le « hub Ouest » de notre dispositif militaire en Afrique. Nous avions initialement envisagé de nous rendre au Sénégal, mais les difficultés de la négociation de l'accord de défense entre la France et ce pays nous ont conduits à différer ce déplacement afin de ne pas interférer avec les négociations en cours.

Le Président de la République a signé, lors de son voyage officiel au Gabon, en février dernier, le projet d'accord de partenariat et de défense entre la France et le Gabon.

Cette réorganisation de notre dispositif militaire et la signature d'un accord de partenariat ont été aussi l'occasion de faire le point sur la politique de la France en Afrique, puisque, depuis le discours prononcé par M. Nicolas Sarkozy au Cap en 2008, les principes de notre politique africaine sont présentés comme étant renouvelés.

Je m'attacherai, dans un premier temps, à décrire les lignes directrices de notre politique étrangère et de défense en Afrique sub-saharienne. En effet, les problématiques qui concernent le nord du continent relèvent plus des rapports avec l'Europe au sein d'un ensemble euro-méditerranéen.

S'agissant de nos rapports avec l'Afrique subsaharienne, l'analyse montre que, depuis 1990, c'est la continuité qui l'emporte. Depuis 30 ans, la politique diplomatique et de défense de la France en Afrique évolue sans rupture majeure mais en suivant l'évolution des grands bouleversements mondiaux et en s'y adaptant.

Elle a été ainsi marquée par deux inflexions majeures dues, pour la première, à la chute du mur de Berlin en 1989 et à l'effondrement du monde bipolaire qui a entraîné une « démocratisation » du continent, et, pour la seconde, aux effets de la mondialisation qui conduit inévitablement à l'internationalisation des politiques et au multilatéralisme. Entre ces deux adaptations majeures, nous avons procédé à de très importants changements de structure de la coopération française, qui tire les conséquences de ces bouleversements et permet d'accompagner les politiques.

Enfin, je conclurai en disant que l'axe fondamental de toute politique étrangère africaine demeure la préservation et la progression des intérêts que les pays européens, dont la France et l'Europe globalement ont en commun avec les pays africain et l'Afrique.

La première rupture se situe donc en 1989 avec l'effondrement des régimes communistes en Russie et en Europe centrale et orientale et le mouvement de démocratisation.

Jusqu'en 1989, le caractère démocratique des institutions et la défense des droits de l'homme n'avaient pas été au premier rang des préoccupations de la politique africaine de la France, comme d'ailleurs des autres Etats occidentaux (peut-être à l'exception des pays nordiques qui ont, il est vrai, peu d'intérêts en Afrique), alors même que le continent faisait l'objet, par Etats interposés, du conflit de la guerre froide. Sans être absentes, ces questions n'étaient pas prioritaires.

La chute du mur de Berlin rend inéluctable l'évolution démocratique de l'Afrique et le Président François Mitterrand va impulser ce mouvement dans son fameux discours de La Baule du 20 juin 1990. Comme l'avait dit notre ancien collègue Jacques Pelletier, alors ministre de la coopération, « le vent d'Est a fait plier les cocotiers ».

Les principes qui sont énoncés à La Baule sont les suivants :

- l'affirmation du lien évident entre le développement et la démocratie. Roland Dumas, ministre des affaires étrangères, affirmait « il n'y a pas de développement sans démocratie, il n'y a pas de démocratie sans développement ». Cet axe continue aujourd'hui à être le nôtre, il est, du reste, universel, comme le montrent les objectifs du millénaire.

A partir de cette évidence, la France tire trois conclusions en 1990 :

- elle n'entend pas intervenir dans les affaires intérieures des Etats africains (ce qui sous-entend qu'elle ne l'excluait pas auparavant) : non ingérence donc ;

- le respect de l'indépendance des politiques choisies : dans l'exercice de leur souveraineté, les Etats africains sont libres de choisir leur voie, d'en déterminer les étapes et l'allure ;

- mais, dans le respect de ces choix, la France introduit une conditionnalité entre l'aide accordée et le mouvement vers la démocratie.

À l'époque, ce discours avait été assez mal reçu par les élites africaines qui l'avaient ressenti comme un certain « lâchage » de notre pays. Pourtant, il a donné une indiscutable impulsion au développement de la démocratie, comme en témoigne la tenue des « conférences nationales » qui ont permis l'émergence des revendications démocratiques et la définition des nouvelles institutions accompagnées de réformes constitutionnelles.

Le véritable problème c'est que l'Afrique n'a pas touché les dividendes de ce mouvement vers la démocratie. La fin de l'affrontement idéologique Est-Ouest a fait disparaître l'une des motivations de l'aide au développement. L'Europe a tourné ses efforts vers l'Est et, entre 1990 et 2001, les montants alloués à l'aide au développement pour l'Afrique subsaharienne sont passés de 34 à 21 $ par habitant.

Plus récemment, les effets de la crise économique ont aggravé la situation. Il n'est donc pas si étonnant que nous ayons assisté à la multiplication des conflits, des coups d'Etat et des soubresauts domestiques. La régression démocratique récente est le fruit d'un arbitrage entre la croissance et la sécurité, d'une part, la démocratie, d'autre part. Un certain nombre d'analystes dont Jean-Michel Severino ou Saïd Djinnit, le représentant des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest, considèrent cependant qu'il ne s'agit que d'un contretemps. Ils constatent que les efforts des Etats occidentaux en matière de gouvernance se doublent des progrès, certes lents et progressifs d'une « démocratie aux pieds nus » qui remonte de la société civile vers les gouvernements. La perspective de démocratisation de l'Afrique n'est donc pas une utopie. Elle se réalise pas à pas. Ce doit être un des axes de notre politique et de celle de l'Europe en Afrique que de l'accompagner.

Parallèlement à ce grand mouvement vers la démocratie, notre posture militaire sur le continent africain ne s'est pas modifiée fondamentalement en 1990. Le discours de La Baule rappelle la solidarité indéfectible de la France et la garantie dissuasive de sa présence pour ses alliés africains. Par rapport aux années 1960, qui ont connu la signature des accords de défense avec un certain nombre de clauses secrètes, le Président Mitterrand constate que celles-ci n'ont pas été appliquées depuis de longues années (tout au moins pendant son septennat) et que la garantie de la France ne porte donc que sur des agressions venues de l'extérieur.

Afin d'accompagner le second bouleversement qui est celui de la mondialisation et de la multilatéralisation des politiques en Afrique, notre pays a procédé, entre 1995 et 2006, à une très importante modernisation des instruments de la coopération sans laquelle l'évolution de notre politique n'aurait pas été possible. Ces réformes ont été faites sous les mandats du Président Jacques Chirac, avec des gouvernements de droite comme de gauche.

Il n'est pas indifférent de rappeler qu'elles ont été mises en place à la suite et après le génocide au Rwanda qui a constitué un véritable traumatisme pour notre politique étrangère et de défense en Afrique.

Pendant cette période de transition, que le Premier ministre de cohabitation, M. Lionel Jospin, a pu définir comme une politique de « ni indifférence, ni ingérence », nous avons procédé à une modernisation fondamentale et nécessaire des outils qui ont permis l'évolution de la politique africaine de la France. Il est ainsi procédé à trois réformes complémentaires : celle du ministère de la coopération, celle de l'aide au développement et celle de la coopération militaire.

La première réforme porte à la fois sur l'intégration du ministère de la coopération au sein du ministère des affaires étrangères et sur le renforcement de ses compétences à l'ensemble de l'Afrique, y compris l'Afrique anglophone et lusophone. C'est en 1996 qu'est créée la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID).

Depuis cette date, la politique de coopération est organisée autour de deux pôles ministériels : le ministère des affaires étrangères, avec la corporation culturelle, scientifique et technique et l'aide au développement, et le ministère de l'économie et des finances, pour la gestion de la dette, de l'aide budgétaire globale et des relations avec les institutions financières internationales.

Cette réforme s'accompagne également d'un rapprochement des services sous l'autorité de l'ambassadeur.

La seconde réforme est celle de l'aide au développement avec le rôle pivot de l'agence française de développement (AFD) qui succède à la caisse française de développement à partir de 1998. Depuis cette date, l'AFD a un statut d'établissement public à caractère industriel et commercial à vocation d'institution financière spécialisée soumise à la loi bancaire. Elle joue le rôle de banque de développement.

Au plan économique, la présidence de M. Jacques Chirac a surtout contribué à relancer l'aide au développement, qui était tombée à 0,3 % du revenu national brut en 2002, avec l'engagement de la porter progressivement au niveau des 0,7 % du PIB préconisé par l'ONU. Rappelons que nous en sommes toujours aujourd'hui à moins de 0,5 % et que l'on peut craindre que la crise économique et la rigueur budgétaire n'impactent ce poste de dépenses.

Enfin, le conseil de défense du 3 mars 1998 procède à un véritable bouleversement de notre dispositif et des orientations de la coopération militaire française sur le continent africain. Il est créé la direction de la coopération militaire de défense, devenue aujourd'hui, par décret du 16 mars 2009, la direction de la coopération de sécurité et de défense, la DCSD.

L'objectif principal de notre coopération militaire est désormais d'accompagner la mise en place des forces de maintien de la paix africaine prévue par l'Union africaine. Notre mission consiste à appuyer la prise en charge par les Africains eux-mêmes de la gestion des crises et des conflits. Le programme de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) est lancé en 1997. Il vise clairement à européaniser l'action de notre pays en Afrique. La France coopère étroitement avec les Nations unies et l'Union européenne pour la gestion des crises africaines en Côte d'Ivoire, en RDC et au Tchad.

De 1990 à 2006, il n'y a pas de modifications sensibles des principes politiques arrêtés à La Baule. C'est la continuité qui prime, mais des réformes fondamentales sont effectuées qui prennent en compte les changements internationaux qui agissent sur l'Afrique. La période qui suit s'inscrit dans ce mouvement de réforme et le poursuit.

La troisième période d'évolution démarre donc en 2006 avec un certain nombre de prises de position du candidat, puis du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy.

A Cotonou, en 2006, Nicolas Sarkozy, alors candidat, fait du reste référence au discours de La Baule et à la « transition démocratique » du continent. Les principes qui sont énoncés : bâtir un État de droit, refus du coup d'Etat, partenariat, sont les mêmes.

Deux idées nouvelles apparaissent néanmoins : celle « d'immigration choisie » et l'affirmation que la relation entre l'Afrique et la France n'est pas une relation d'exclusivité. L'Afrique n'est pas une « chasse gardée » pour la France. Ce qui est, du reste, une évidence à l'heure de la politique très agressive de la Chine en Afrique ou du retour des Etats-Unis. Mais il s'agit indiscutablement d'un pas politique supplémentaire vers une sorte de « banalisation » des rapports entre la France et le continent africain.

C'est cependant par le discours du Cap, le 28 février 2008, que sont pris en compte, dans l'énoncé de notre politique, les effets de la mondialisation sur notre politique africaine.

La finalité de la politique de la France c'est « l'unité de l'Afrique » et sa « renaissance ». Le Président de la République annonce une « refondation » de nos relations avec le continent qui tire les conséquences des principes énoncés depuis 1990.

S'agissant de nos relations militaires -élément le plus visible et le plus emblématique d'une Françafrique rejetée dans les limbes du passé- une renégociation systématique de l'ensemble des accords de défense est annoncée pour les transformer en accords de « partenariat et de défense ». Le « partenariat » est le maître mot de ces relations nouvelles.

Le principe de transparence prévaut à la négociation de ces accords. Il n'y aura plus de clauses secrètes, ils seront intégralement publiés et discutés par les parlements nationaux. De plus, nos assemblées seront étroitement associées aux grandes orientations de la politique de la France en Afrique.

Dans la continuité du conseil de défense de 1998, l'objectif prioritaire de la présence militaire française en Afrique c'est l'aide apportée à bâtir des dispositifs de sécurité collective, en particulier avec la mise en place des « forces en attente » de l'Union africaine. Au-delà de cet objectif, le Président de la République a rappelé que « la France n'a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique ». On esquisse donc la possibilité d'un retrait, sans naturellement en préciser l'échéance.

Le Livre blanc sur la sécurité et la défense de 2008 traite, par ailleurs, de cette question et, dans la logique de réorganisation et de modernisation de nos forces armées, entreprend la concentration de notre dispositif de forces prépositionnées, encadrant l'arc de crise qui court de la Mauritanie au Pakistan, avec Djibouti à l'Est et avec le Gabon à l'Ouest.

Cette évolution s'accompagne de l'accentuation de la multilatéralisation et de l'européanisation de notre politique de paix et de sécurité en Afrique. Elle se marque, en particulier, par le partenariat entre l'Europe et l'Afrique, réaffirmé dans la déclaration de Lisbonne du 9 décembre 2007 ainsi que dans le plan d'action qui a été adopté. Un sommet UE-Afrique est ainsi programmé en 2010. Parallèlement à cette évolution, qui permet également une mutualisation de moyens devenus rares, la nécessité de poursuivre et d'accroître l'aide économique au développement de l'Afrique est réaffirmée dans le discours du Cap.

En matière d'aide au développement, le CICID du 5 juin 2009 et l'adoption prochaine du document-cadre sur la politique de coopération et de développement définissent les axes de notre politique d'aide en Afrique subsaharienne.

Pour conclure, et après avoir constaté la continuité de notre politique en Afrique, qui s'appuie sur un corpus théorique précis, il est intéressant de remarquer que les déclarations des présidents de la République successifs disent également clairement que la politique africaine de la France est avant tout la défense d'intérêts communs. On en revient toujours à la traditionnelle realpolitik.

Ces intérêts partagés entre les pays africains et la France, entre l'Union africaine et l'Europe, sont essentiellement sécuritaires, économiques et de posture internationale :

- il est en effet évident d'affirmer que « la sécurité et la prospérité de la France et de l'Europe sont indissociables de la sécurité et de la prospérité de l'Afrique » ; « la France a intérêt à la sécurité de l'Afrique. D'abord parce que la paix et la stabilité sont les conditions indispensables du développement. Ensuite, parce que les guerres, les pandémies, les trafics ou le terrorisme en Afrique ont des conséquences directes en France ». La paix et la sécurité du continent africain, la lutte contre la pauvreté, la croissance économique du continent et son insertion dans la mondialisation sont des intérêts communs ;

- de plus, économiquement parlant, la France a intérêt au développement de l'Afrique. « Le potentiel de croissance du continent, ses richesses naturelles, son marché prometteur en font une partie du monde que nous ne pouvons négliger ». Sous cet angle, l'intérêt est partagé par toute l'Europe qui voit se développer inexorablement la concurrence de la Chine qui accapare des ressources rares ;

- le développement économique et la prospérité limitent les flux migratoires. Le Président Abou Diouf, alors à la tête du Sénégal, ne disait rien d'autre en appelant au développement dans son pays. La France et l'Afrique ont un même intérêt à une meilleure régulation de la mondialisation. Il serait totalement illusoire et dangereux de prétendre gérer les affaires du monde sans l'Afrique ;

- enfin, la défense de la francophonie, patrimoine culturel commun, est un vecteur d'influence partagé. Plus largement, la proximité politique entre la France et les pays africains est un atout pour notre pays à l'ONU.

Je ne crois pas que la liste de ces « intérêts » reflète une vision passéiste de nos rapports avec le continent et les sociétés africaines. On ne peut qu'être frappé par l'extraordinaire dynamisme de l'Afrique bientôt forte de ses 1 800 millions d'hommes en 2050, c'est-à-dire demain. Comme le souligne Jean-Michel Severino, « la façon dont les Africains se déplaceront, se définiront et interagiront avec leur environnement déterminera la trajectoire de leur société, mais aussi des nôtres ». Ignorer ces « mutations d'intensité sismique », cette « réémergence stratégique » serait faire preuve de cécité et constituerait une faute politique.

Le fait de parler de « politique africaine de la France » plutôt que « des politiques de la France en Afrique » établit un lien qui, tout en abordant la relation de manière nouvelle, ne fait pas table rase d'un passé riche, même s'il est parfois douloureux. La relation entre la France et l'Afrique, qui s'inscrit dans le temps long de l'histoire, est un atout fondamental.

Le rôle de la solidarité entre la France et l'Afrique ne doit pas être oublié.

Il ne faut cependant pas que la « banalisation » des rapports entre la France et l'Afrique soit poussée trop loin. C'est, du reste, le sens de notre volonté de mieux identifier notre action bilatérale sur le continent.

En conclusion, en dépit des changements à la tête de l'Etat, les différents gouvernements ont poursuivis, depuis 1990, une politique d'une grande continuité dans son adaptation aux grands changements qu'a connus le monde. Le corpus sur lequel repose la politique africaine de la France est solide. La relation entre la France et les pays africains s'est certes normalisée en rapports entre Etats et entre blocs -Union africaine et Union européenne- sans toutefois se banaliser. Il faut préserver cet acquis. Le verbe, en Afrique, est important. La relation entre la France et l'Afrique doit rester singulière.

Je passe à présent la parole à Jacques Gautier qui décrira plus précisément l'application de ces principes politiques à la situation au Gabon.

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