Intervention de Camille Grand

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 2 juin 2010 : 1ère réunion
Défense antimissile — Audition de M. Camille Grand directeur de la fondation pour la recherche stratégique frs

Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique :

Il est clair que les nouveaux Etats membres de l'OTAN voient essentiellement la défense antimissile comme un moyen de lier les Etats-Unis à leur sécurité. Si la Pologne avait accepté l'installation de missiles intercepteurs sur son territoire, ce n'est pas pour se protéger des missiles iraniens, mais pour répondre à une préoccupation beaucoup plus générale de sécurité vis-à-vis du voisin russe. L'obtention d'une présence militaire américaine sur son territoire relève avant tout d'un objectif politique, même s'il s'agit d'un effectif réduit affecté au fonctionnement d'un système défensif. L'OTAN s'était engagée à ne pas déployer de forces de combat sur le territoire des nouveaux Etats membres. Les installations liées à la défense antimissile permettent de satisfaire cette condition tout en établissant un lien militaire fort avec les Etats-Unis à travers une présence militaire.

Les Italiens et les Allemands sont engagés dans le programme MEADS (Medium Extended Air Defense System) axé sur la défense à courte portée. L'Italie est également partie prenante au programme Aster. Toutefois, dans ces deux pays, il n'existe ni financements ni appétit politique pour des développements très ambitieux. Les Britanniques sont quant à eux dans une position particulière. Ils abritent sur leur territoire des installations américaines participant au système de défense antimissile, à savoir les centres radar de Fylingdales et Menwith Hill. Le Royaume-Uni est donc déjà inséré dans le dispositif. Il connaît une forte contrainte budgétaire qui pèse sur sa capacité à aller au-delà et reste d'une grande prudence sur ce sujet car cela touche à sa relation nucléaire spéciale avec les Etats-Unis.

S'agissant des coûts, les chiffres avancés par le secrétaire général de l'OTAN correspondent à une certaine réalité, mais ils ne concernent que le coeur de l'architecture, c'est-à-dire le système de commandement et de contrôle. Cette présentation omet le coût d'acquisition des senseurs et des intercepteurs. Dans l'esprit du secrétaire général, ces éléments indispensables à la mise en place d'une défense antimissile relèvent des nations. On peut considérer que les senseurs et les intercepteurs seront exclusivement financés par les Etats-Unis, ou que certaines nations se doteront de certains moyens. Le chiffre de 200 millions d'euros représente selon moi le coût de réalisation de l'interopérabilité avec un réseau de capteurs et d'intercepteurs constitué par les nations, essentiellement les Etats-Unis. Il y a donc une ambigüité sur ce point et il est un peu rapide, à mon sens, d'affirmer que l'OTAN peut assurer une défense du territoire des alliés contre les missiles balistiques pour moins de 200 millions d'euros. Il faut en outre préciser que ce montant s'ajoute à ce que l'OTAN envisage déjà de dépenser sur le programme ALTBMD.

En ce qui concerne les « briques » technologiques que pourrait intégrer une contribution française, elles touchent à plusieurs domaines.

En matière d'alerte avancée, nous avons lancé le démonstrateur spatial Spirale de satellite détectant les tirs balistiques, qui devra être prolongé par un programme opérationnel. Il s'agit de développements particulièrement intéressants qui présentent beaucoup d'avantages dépassant largement la défense antimissile. L'alerte repose également sur des radars à longue portée. Il y a des interrogations sur le financement du radar GS-1000 de Thales destiné à procurer une capacité de discrimination des missiles et, ultérieurement, on pourrait développer un radar à très longue portée pour voir bien au-delà de l'horizon. Le domaine des capteurs et des senseurs est essentiel. C'est la base même de l'autonomie stratégique.

La France dispose également d'un savoir-faire solide en matière de systèmes de commandement et de contrôle, à travers le programme SCCOA (Système de commandement et de contrôle des opérations aériennes). Ce programme pourrait-être poursuivi pour l'orienter vers une défense aérienne élargie aux missiles.

Dans le domaine de l'interception, nous pouvons mettre en avant deux types de savoir-faire qui pourraient constituer les éléments d'une première capacité. La première, proposée par MBDA, vient de la défense surface-air. Il s'agit d'augmenter les capacités du système Aster pour lui donner une capacité d'interception endo-atmosphérique, face à des missiles de moins de 3 000 kilomètres de portée. La seconde approche s'appuie sur le savoir-faire d'EADS Astrium dans le domaine balistique et de la pénétration, en vue de développer un intercepteur intervenant dans l'espace exo-atmosphérique.

Il faut également signaler, du côté étatique, des moyens d'essais uniques en Europe liés à notre dissuasion nucléaire, avec le Centre d'essais des Landes et le bâtiment d'essais et de mesures Monge. Cette compétence dans le domaine des essais et de la trajectographie pourrait constituer un atout dans une coopération avec l'OTAN.

Des compétences existent donc au moins potentiellement, mais il faut être conscient que leur pérennité n'est pas assurée, car elles sont aujourd'hui sous-financées. Elles constituent un certain potentiel, mais il y a peu de développements significatifs en cours. C'est pourquoi l'industrie souhaite obtenir des plans d'études-amont qui permettraient de progresser. Sur ce point, les décisions restent à prendre.

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