Intervention de Pierre Lévy

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 mai 2009 : 1ère réunion
Conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense — Audition de M. Pierre Lévy directeur de la prospective au ministère des affaires étrangères et européennes

Pierre Lévy, directeur de la prospective au ministère des affaires étrangères et européennes :

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Pierre Lévy, directeur de la prospective au ministère des affaires étrangères et européennes, sur les conséquences de la crise économique et financière en matière de sécurité et de défense.

a tout d'abord souligné que, de même que l'ancien centre d'analyse et de prévision (CAP) était inséré au sein du ministère des affaires étrangères et européennes mais développait une analyse autonome, il s'exprimerait sans engager les autorités françaises.

Il a indiqué que la direction de la prospective était très mobilisée par la crise en raison, d'une part, de l'inquiétude suscitée par le souvenir de la terrible séquence de 1929 à 1939, mais aussi, d'autre part, de l'espoir que la mémoire de ces événements et la volonté d'éviter des situations de conflit puissent renforcer des mécanismes de coopération. Les leçons du passé doivent se traduire par un surcroît d'action coopérative à l'exemple de la réunion du G20 de Londres.

Il a estimé que la question centrale posée par la crise était celle des menaces qu'elle fait peser sur la stabilité et la sécurité.

A court terme, la principale menace est celle de l'augmentation de l'instabilité des Etats fragiles sous l'effet d'une montée générale du mécontentement et des frustrations. Devant cette situation, l'élément crucial est la qualité du leadership politique et la capacité des dirigeants à inspirer confiance. De ce point de vue, les pays démocratiques ont un avantage déterminant. Dans les Etats autoritaires, on observe des tensions croissantes, au sein des élites dirigeantes, pour l'accès à des ressources raréfiées, et la montée des violences politiques lorsque le contrat qui lie la paix sociale à l'accès aux ressources et à l'enrichissement général se trouve rompu.

Ces difficultés peuvent conduire les gouvernements à rechercher des dérivatifs sous la forme d'ennemis intérieurs ou extérieurs, avec un nationalisme exacerbé. Le fait que la crise financière ait pris naissance aux Etats-Unis nourrit un discours anti-occidental.

La très forte réduction des flux commerciaux conduit à la dégradation des conditions d'existence des populations. Les risques d'instabilité sont particulièrement importants dans les Etats producteurs et exportateurs de matières premières. La zone « Afrique du Nord et Moyen-Orient » pourrait ainsi se trouver fragilisée, même si elle dispose d'importantes réserves de change. On a ainsi constaté un éclatement de la bulle immobilière à Dubaï. Un Etat comme l'Egypte souffre également de la baisse des recettes du canal de Suez. D'une manière générale, on observe aussi une importante baisse des transferts de migrants. Les pays les plus vulnérables sont les Etats autoritaires qui souffrent d'une raréfaction de la rente. Certains peuvent également être tentés par l'appropriation des ressources de leurs voisins.

a souligné que la contraction de la rente avait néanmoins certains effets positifs. Si la politique agressive de certains Etats (Venezuela, Iran, Russie) a été encouragée par « l'hubris » liée à la rente énergétique, on observe une évolution de leur rhétorique depuis quelques mois.

Il a estimé que la sécurité globale et celle des pays-membres de l'UE pouvaient être affectées de manière directe par la crise, car celle-ci accentuait les tendances existantes. C'est en particulier le cas pour les activités criminelles ou terroristes qui affectent la bande sahélienne et la Corne de l'Afrique. Pour ce qui concerne l'impact sur les flux migratoires, peu d'éléments précis sont disponibles, mais l'on sait que l'une des principales motivations au départ est d'ordre économique.

a indiqué que la crise suscitait également un débat sur les valeurs et affectait l'image de l'Occident en nourrissant parfois des discours radicaux.

A plus long terme, ses effets se feront sentir en termes de redistribution de l'influence sur la scène mondiale. Là encore, a considéré M. Pierre Lévy, il s'agit davantage d'une accentuation des tendances existantes que d'une véritable rupture.

Le rattrapage économique des pays émergents devrait se poursuivre mais dans le cadre d'un jeu à somme potentiellement négative.

On devrait observer un recul de la puissance économique des pays du G7 et un déplacement du centre de gravité vers l'Asie. Dans les pays du G7, le poids des contraintes budgétaires peut avoir un impact négatif sur le développement des capacités de défense, alors que certains régimes autoritaires pourraient être tentés de renforcer leur outil militaire.

On observe également le repli des Etats sur leur sphère régionale et la création de zones d'influence et de coprospérité.

La question de la puissance américaine est à nouveau posée, mais le différentiel de puissance en sa faveur demeurera considérable à l'horizon de 2020, voire 2025.

L'intégration européenne, qui connaît une période de transition, pourrait connaître un sursaut ou s'installer dans le statu quo.

La crise affecte la qualité des relations internationales et la capacité d'action collective. Les Etats ont tendance à privilégier des solutions nationales qui pourraient avoir un effet délétère sur la relation entre l'Asie et l'Europe. Le G2, qui comprendrait la Chine et les Etats-Unis, est fréquemment évoqué, mais on peut le considérer plus comme un effet de mode que comme un axe déterminant. Il a une signification économique mais ne repose pas sur une vision politique commune du monde.

Enfin, les institutions de gouvernance de la mondialisation sont mises en question. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) est affectée par le blocage du cycle de Doha et l'on assiste au développement d'un protectionnisme de basse intensité.

a estimé que l'intérêt commun des pays industriels et des pays émergents à réformer le système en faveur d'une plus grande ouverture et d'une meilleure régulation pouvait susciter un certain espoir. Dans un marché global, les pays industrialisés pourraient faire une plus grande place aux pays émergents dans les institutions internationales en contrepartie de leur entrée dans une logique de responsabilité. Cette évolution ne s'inscrit pas dans un horizon de court terme, mais elle ouvre une perspective politique.

Il a considéré, en conclusion, que ces évolutions validaient les grands choix de politique étrangère de la France en faveur du renforcement de la gouvernance mondiale et de la promotion de la sécurité dans toutes ses dimensions.

Un débat a suivi l'exposé de M. Pierre Lévy.

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