Intervention de Romain Rancière

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 octobre 2011 : 1ère réunion
Modalités de sortie de la crise de la zone euro — Table ronde

Romain Rancière, professeur à l'Ecole d'économie de Paris :

On dit souvent que la Grèce n'est pas le fond du problème. Au contraire, le fait qu'il ne soit pas réglé de façon satisfaisante a entraîné une chute abyssale de la confiance dans les institutions européennes. Il est un peu rapide d'affirmer que la Grèce est petite, que ce qui importe, c'est l'Italie ou l'Espagne. On n'a pas été capable de régler des problèmes urgents de solvabilité et de restructuration de la dette grecque, d'où une perte de crédibilité.

On nous a dit : « dans la zone euro, on ne peut faire défaut ». Pourquoi ? On ne sait pas très bien. Il y a eu ce lien mythique, entre le défaut et la sortie de l'euro. Pourquoi ? On ne sait pas non plus très bien. Ces préjugés idéologiques ont provoqué une fuite en avant, jusqu'au moment où la situation apparaît comme aujourd'hui insoutenable. Tout cela a créé une incertitude massive, on met un peu tout dans le même sac, on achète indifféremment de la dette grecque ou de la dette espagnole ou italienne, alors que les problèmes sont différents.

On progressera quand on traitera enfin sérieusement la question de la restructuration de la dette grecque. Je l'écris ce matin dans Libération, le plan de juillet est une imposture. Le secteur privé a prétendu prendre une décote de 21 %, c'est faux. Il n'a pas donné plus de 6 % à 7 %. On est très loin du plan Brady des années quatre-vingts, avec des restructurations de 40 % à 45 %. D'où vient ce décalage ? Il faut aller au fond des choses pour regagner de la crédibilité. Dans l'option standard du plan, on arrive avec 100 euros de dette grecque et l'on repart avec 80 euros de nouvelle dette, de maturité étendue et à des taux d'intérêt similaires au début, qui montent ensuite graduellement. On demande à la Grèce, en empruntant auprès du FESF, d'acheter du collatéral, formé d'obligations AAA, à un taux relativement intéressant et pour environ 26 % de la dette initiale. Le total est donc supérieur à 100 %. Le taux d'escompte proposé par les créanciers, qui marque la différence entre les flux que doit payer la Grèce avant et après la restructuration, est de 9 % - l'on pense donc que la Grèce restera risquée, même après la restructuration. Où sont les 21 % ? En fait, les créanciers comparent la valeur faciale de la dette grecque, et la valeur présente de la dette réémise, ce qui n'a de sens qu'en termes de provision comptable. Pourquoi n'ont-ils pas passé de provision avant ? Mystère, mais ils disent : « nous avons pris nos 21 % de pertes » ! Ce qui importe pour la Grèce, ce sont les 6 % à 7 % dont j'ai parlé initialement et les modifications des termes de la dette : décote, coût du collatéral et évolution des taux d'intérêt. Je le répète : on n'a pas proposé de mécanisme sérieux de restructuration de la dette grecque.

Prenons le cas de l'Argentine, qui peut se reproduire : la pays annonce qu'il ne peut plus payer, suspend ses paiements ou menace de le faire. Si la Grèce agissait ainsi, elle pourrait économiser 30 % de son PIB l'an prochain. Et ensuite, elle renégocierait. Il serait préférable d'obtenir une restructuration ordonnée de la dette grecque. Mais cela ne peut se faire dans les termes de l'accord du 21 juillet, qui a enclenché un cercle vicieux, d'étranglement par la dette. Je propose de faire l'hypothèse que l'on peut sortir de cet étranglement par une restructuration forte, atteignant 100 % de la dette. Cela suppose une décote, dite haircut, de l'ordre de 40 %, mais bien calculée, c'est-à-dire en valeur présente et non comme une perte comptable bancaire. Si l'on fait cela, la Grèce peut retrouver un sentier de croissance et de stabilité de sa dette. Un tel mécanisme, à l'inverse d'une solution comptable truquée destinée à rassurer l'opinion, franchirait un pas important vers la solution des problèmes et la crédibilité.

La solution à court terme proposée par Jacques Delpla est excellente. Je penchais plutôt pour une solution intermédiaire, où le FMI mettrait en place une ligne de crédit de précaution, qui aurait un moindre niveau de conditionnalité qu'un vrai programme du FMI. « Plan FMI » ou « semi-plan FMI », cette voie me paraît la bonne.

Sur les eurobonds, je suis plus sceptique, en raison de la « tragédie des biens communs » : quand chacun pêche dans son petit étang, la ressource est mieux gérée que si tout le monde pêche dans un grand étang. Il en va de même pour la mutualisation des ressources fiscales, qui conduit naturellement vers l'excès d'endettement, davantage d'ailleurs en période favorable qu'en temps de crise. En période d'embellie budgétaire, si notre dette est garantie par l'Allemagne, pourquoi nous restreindre ? On aura toujours tendance à trop pêcher dans l'étang commun. La crise nous a montré que l'on peut poser les conditions que l'on veut, elles se relâchent toujours lorsque des difficultés surviennent. C'est au moment où l'Europe deviendra fédérale que sa dette sera fédérale.

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