a rappelé qu'il était sociologue de santé publique et qu'il travaillait depuis le début des années 1980, depuis le VIH, sur l'émergence des maladies infectieuses épidémiques.
Lorsque la pandémie de grippe A a été annoncée fin avril 2009, il travaillait avec son équipe, depuis deux ans, sur l'annonce d'une pandémie de grippe H5N1. Une pandémie grippale, par apparition d'une nouvelle souche de virus, n'est pas très fréquente. Cela se produit tous les 15 à 20 ans. Donc, peu de gens avaient, autour de nous, dans nos instances sanitaires, une expérience en la matière. Et encore moins l'expérience d'une campagne de vaccination en urgence : c'était une première et nous entrions là en terrain inconnu, dans des conditions assez complexes, malgré l'apparente simplicité avec laquelle on a décidé, dès le mois de juin 2009, qu'il fallait organiser une campagne de vaccination universelle en France.
Dans les pays développés, la production et la vente de vaccins sont une « ardente obligation » pour les firmes pharmaceutiques, mais l'utilisation des vaccins est en recul continu. C'est une donnée importante. En France par exemple, seuls 27 % de la population se vaccinent contre la grippe saisonnière, ce qui est un taux un peu plus bas que dans les pays comparables. Les firmes pharmaceutiques ont, naturellement, l'objectif de développer leurs ventes. Mais le vaccin est aussi un outil de politique sanitaire et il y a donc une interdépendance structurelle entre les entreprises et les pouvoirs publics.
Contre la grippe H1N1, les pouvoirs publics et l'OMS ont rapidement - peut-être trop rapidement - présenté le vaccin comme l'arme absolue, sans prendre en considération la gravité réelle de la maladie ni l'acceptabilité potentielle de ce vaccin par la population.
Le vaccin était posé comme le remède universel, sans déterminer les conditions de son utilisation en fonction des données propres à la pandémie.
Précisant qu'il n'avait aucune information particulière sur les négociations qui se sont déroulées entre les firmes pharmaceutiques et les pouvoirs publics, M. Michel Setbon a indiqué que c'était ce cadre général qu'il s'efforcerait d'exposer sous forme d'une série de « questions-réponses » susceptibles de l'éclairer.
- Sur quels fondements cognitifs, d'abord, a été prise la décision de vacciner 80% de la population en juin 2009, alors qu'à cette date on n'avait pas encore de cas de grippe A en France ? Ce programme universel de vaccination était-il fondé sur les données réelles alors inconnues de la pandémie ? Prenait-il en compte l'acceptabilité potentielle du vaccin ? Jusqu'à présent, cela reste un mystère, que l'on a du mal à éclaircir.
- Quels étaient les objectifs d'une vaccination généralisée ? Etait-elle justifiable ? Etait-elle faisable ?
- Troisième question : pouvait-on prévoir le pourcentage de Français qui se vaccineraient volontairement, puisque la vaccination obligatoire avait été écartée d'emblée ? Là, la réponse est oui. On pouvait savoir, dès le mois de juin, avec un intervalle de confiance raisonnable, qui se ferait vacciner et pourquoi, grâce, a précisé M. Michel Setbon, aux deux enquêtes menées par lui et son équipe, la première en juin, la seconde en décembre, au plus fort de l'épidémie.
- Quatrième question : si on avait tenu compte des observations ainsi faites, en temps réel, sur la gravité de la maladie et sur la perception du risque par la population, dès lors des modifications drastiques du programme de vaccination s'imposaient. A condition, bien sûr, de mettre au centre de l'action la connaissance à partir de l'observation des faits, de penser l'action publique comme une stratégie flexible et adaptable, de ne pas se lier les mains par des commandes fermes et massives de vaccins, dont on savait d'ailleurs qu'elles ne seraient livrées que progressivement.
C'était la première fois que l'on avait anticipé un évènement de santé publique. C'est tout à fait exceptionnel dans ce domaine. D'habitude, on réagit a posteriori, quand l'épidémie a commencé de flamber et que les hôpitaux sont pleins.
Cette fois-ci, on avait un plan, des outils, quatre mois avant le déclenchement de la pandémie, qui a atteint la France, selon l'InVS, en septembre. On avait le temps pour observer ce qui se passait en France et ailleurs, pour réfléchir.
Donc, encore une fois, pourquoi se lier les mains avec des commandes massives, même si les firmes le demandaient en compensation de leur effort ?
La dernière question que l'on peut se poser est celle des conséquences du choix d'une stratégie adaptable à la réalité de la situation - l'ampleur de la pandémie, les populations touchées, les formes graves...
Cela aurait d'abord impliqué, selon M. Michel Setbon, de ne plus faire des vaccins la réponse universelle. Les résultats de la vaccination n'auraient sans doute pas été plus mauvais en termes de couverture de la population. En revanche, cela aurait été beaucoup moins coûteux, sans rien changer à la disponibilité des vaccins puisque on n'a vacciné que moins de 10 % de la population avec une seule dose par vaccination.
On peut avancer, à partir de ces observations, trois conclusions :
- un programme qui anticipe une pandémie ne doit pas être déterminé une fois pour toutes ;
- l'anticipation d'une pandémie est une chose, son évaluation en est une autre. On s'est un peu « endormi » sur le fait qu'on avait anticipé et on a négligé la réalité. Pourtant, quand on commence une action, on n'a que des hypothèses, il faut ensuite étudier les faits pour en tenir compte. Mais on n'a lancé aucun programme de recherche au moment de la pandémie ;
- enfin, l'échec du programme de vaccination ne se limite pas à son coût, que l'ont peut pourtant juger exorbitant. Il est aussi la cause d'un discrédit durable des actions de santé publique dans l'esprit de nos concitoyens.