a rappelé que les travaux préparatoires de la loi du 1er août 2006 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (dite DADVSI) avaient montré que les bouleversements entraînés par les technologies numériques allaient s'étendre à l'ensemble des formes d'expression culturelle et que le livre et l'écrit seraient aussi, et de plus en plus, affectés.
Ces considérations ont conduit la commission à mettre à profit la suspension des travaux législatifs imposée par la double campagne électorale, pour engager une réflexion sur les problématiques du livre et de l'édition face à des mutations qui ont déjà commencé. Dans cette perspective, elle a rencontré quelques-uns des principaux acteurs de la « chaîne du livre » pour recueillir leur point de vue sur leurs difficultés, sur les atouts dont ils disposent pour les surmonter, et sur l'appui que peuvent leur apporter les pouvoirs publics.
s'est réjoui que la Direction du livre et de l'écrit et le Centre national du livre aient, au même moment, lancé une grande enquête sur l'avenir du livre avec les acteurs concernés, et a rendu hommage à Sophie Barluet, qui a eu le courage de conduire à son terme cette mission « Livre 2010 » quelques jours avant sa disparition. Il a relevé que la commission partageait largement les constats et les propositions qu'elle a formulées.
Abordant pour commencer le diagnostic des forces et des faiblesses du livre, il a dressé quatre constats.
Il a d'abord rappelé que l'avenir du livre dépendait de l'intérêt du public pour la lecture, et s'est alarmé du recul de cette dernière, dont témoignent plusieurs enquêtes statistiques. Après avoir relevé que très peu de nos compatriotes vivaient dans un foyer sans livre et que 63 % en avaient acheté dans l'année, il a regretté que ni ces facilités d'accès au livre, ni les progrès de la scolarisation n'aient enrayé un fléchissement de la lecture dû à la réduction du nombre de « gros » lecteurs.
En second lieu, il a remarqué que le déclin de la lecture ne s'accompagnait, paradoxalement, ni d'un recul de la production écrite, ni d'une contraction de l'offre éditoriale.
Il a souligné le caractère particulier du métier d'écrivain, qui tient à ce que ces dernier, à de rares exceptions, ne peuvent vivre de leur plume et sont contraints de cumuler leur activité d'écriture avec un second métier plus rémunérateur.
Il a jugé nécessaire de consolider leur statut social fragile, comme s'y est efforcé le Parlement avec la loi du 10 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.
Il a estimé que le numérique était, pour eux, à la fois une menace, car il permettait le contournement de leurs droits, et une formidable opportunité, comme en témoignait la floraison des « blogs » qui favorisent aujourd'hui l'émergence d'une nouvelle forme de production écrite immédiate et foisonnante. A cet égard, il a noté qu'ils contournaient les circuits traditionnels de la diffusion de l'écrit et de son exploitation économique, puisqu'ils relevaient soit de la gratuité, soit du financement publicitaire.
Il a ensuite insisté sur le rôle des traductions dans l'échange des idées, et l'élargissement de l'audience d'une oeuvre, se réjouissant que la France soit en ce domaine l'un des pays les mieux dotés : la littérature étrangère y représente 40 % du marché du livre littéraire, alors que la traduction ne représente que 2,8 % du marché américain.
L'équilibre économique du livre traduit étant difficile à atteindre, il a jugé indispensable la poursuite du soutien apporté par le Centre national du livre.
Il a ensuite décrit le poids du secteur de l'édition, qui constitue le premier secteur culturel en France, avec un chiffre d'affaires double de celui du cinéma, estimant que la production éditoriale était aujourd'hui marquée par deux tendances :
- une augmentation exponentielle du nombre de titres publiés, aussi bien pour les nouveautés, qui sont passées de 20.000 de 1990 à 35.000 en 2005, que pour les réimpressions, passées de 18.000 à 33.000 sur la même période ;
- une diminution concomitante des tirages moyens : 8.400 en 1990, tombés par étapes à 6.000 en 2005, qui s'accompagne d'une réduction de la durée d'exposition du livre en librairie, ramenée aujourd'hui à une dizaine de semaines.
Il a observé que cette apparente diversité s'accompagnait d'un rétrécissement de la demande autour de quelques grands succès, amplifiés par les médias.
Il a ensuite estimé que les différents segments de l'édition n'étaient pas également concernés par l'arrivée des technologies numériques : alors qu'un consensus assez général se dégageait pour considérer que « la littérature » resterait longtemps encore attachée au « livre papier », les technologies numériques présentaient, dans le secteur des sciences, dans celui des encyclopédies et des dictionnaires, des atouts indéniables, et de grands acteurs de l'édition spécialisée avaient d'ailleurs su en tirer profit, au prix de lourds investissements.
Relevant l'intérêt pédagogique des technologies numériques pour l'enseignement scolaire, il a jugé que l'école ne pourrait plus rester longtemps à l'écart d'un monde dans lequel les élèves sont déjà pleinement immergés.
Le troisième constat du rapporteur porte sur la librairie, dont il a estimé qu'elle constituait aujourd'hui le secteur le plus fragile et le plus menacé de la chaîne du livre. Comme l'a récemment confirmé une étude diligentée par le syndicat de la librairie française, le syndicat national de l'édition et le ministère de la culture : sa rentabilité est faible ; sa marge nette est absorbée en grande partie par les frais de personnels ; et son équilibre financier est compromis aujourd'hui par l'alourdissement du poste « loyer », dû à la hausse de l'immobilier, et du poste « transports », dû à la hausse des carburants.
Soulignant que les librairies n'étaient pas seulement des instruments irremplaçables de la diffusion du livre et de la lecture, mais qu'elles jouaient un rôle d'animation en centre-ville, il a approuvé le principe d'un soutien à la librairie, pour lui permettre de surmonter ses difficultés actuelles, et de mieux résister à la concurrence des ventes en ligne.
Toutefois, il a estimé que, compte tenu de leurs avantages intrinsèques -étendue du catalogue disponible, facilité de commande, gratuité du port- les ventes en ligne ne pouvaient que progresser : ce développement était d'ailleurs, en soi, positif, car il permettait à des clients éloignés des centres urbains d'avoir eux aussi accès à une offre large et contribuait en outre à l'allongement du cycle économique du livre en proposant des titres déjà anciens.
Il a donc jugé complémentaires le soutien à la librairie indépendante et le développement de la vente en ligne et conclu qu'il fallait encourager les librairies à se doter à leur tour de plate-formes de vente en ligne pour leur permettre d'élargir leur zone de chalandise.
Abordant en quatrième lieu la situation des bibliothèques, il a noté qu'elles jouissaient d'un succès croissant, notamment auprès des écoliers et des étudiants, qui les considèrent de plus en plus comme des lieux d'emprunt, des lieux de ressources, et des lieux de travail.
Il a cependant déploré un certain nombre d'insuffisances : persistance d'inégalités territoriales, pauvreté des catalogues des bibliothèques universitaires, enfin horaires d'ouverture trop contraints, souvent en décalage avec les moments où les jeunes sortent de l'école, et où le public dispose de temps libre.
Puis M. Jacques Valade, président, a exposé les propositions formulées par les professionnels du secteur que la commission pourrait soutenir.
Tout d'abord, s'agissant de l'amont de la filière, c'est-à-dire des créateurs -auteurs et illustrateurs- et des traducteurs, deux points lui ont paru essentiels : la nécessité de favoriser l'élaboration d'un nouveau code des usages entre auteurs et éditeurs, et celle de conforter leur situation sociale.
Pour ce qui concerne le maillon de l'édition, il a jugé pertinentes un certain nombre de propositions du rapport de la mission « Livre 2010 », et notamment celles destinées à soutenir les petits éditeurs, en encourageant leur mutualisation et en accompagnant leur professionnalisation.
Il a également évoqué les 15 propositions concernant différents volets et aspects de la chaîne du livre présentées par le Syndicat national de l'édition dans son Livre Blanc, paru en avril 2007.
Il a proposé de porter une attention particulière :
- aux textes d'application de la loi DADVSI, « pour éviter une dissémination anarchique des contenus » ;
- aux petits éditeurs ;
- et à la défense de la diversité culturelle.
Sur ce dernier point, après avoir rappelé que la loi du 5 juillet 2006 avait autorisé la France à adhérer à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, il a émis le voeu qu'à un an de la présidence française de l'Union européenne, le volet culturel de l'agenda européen soit ambitieux et se fonde sur les avancées permises par cette convention. La politique dans le domaine du livre devrait y occuper une place de choix. Nos partenaires européens pourraient ainsi notamment être sensibilisés aux effets vertueux de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre et être incités à s'en inspirer.
Puis il a indiqué que l'aval de la filière, avec la diffusion du livre, méritait une attention particulièrement soutenue et qu'il était urgent de lancer un plan de « sauvetage » des librairies indépendantes.
A cet égard, il s'est réjoui du consensus qui semble se former autour de la création d'un label permettant d'identifier, selon des critères pertinents, les librairies indépendantes devant être soutenues.
Il s'est déclaré très favorable à la mise en oeuvre rapide des propositions d'Antoine Gallimard d'un label « librairie indépendante de référence » (LIR). Les librairies les plus fragiles, et dans le même temps les plus essentielles pour le territoire, pourraient ainsi bénéficier :
- d'aides à l'acquisition d'ouvrages de fonds, tant par le biais des conditions commerciales des éditeurs que grâce au soutien du Centre national du livre (CNL) ;
- d'une réduction des charges salariales, sous réserve que les économies ainsi réalisées bénéficient, au moins pour moitié, à l'augmentation des rémunérations des salariés ;
- d'exonérations ou allègements fiscaux.
Il a également souligné la nécessité de faciliter les transmissions de librairies.
Par ailleurs, M. Jacques Valade, président, a estimé essentiel de dynamiser les bibliothèques :
- l'accès des étudiants aux ouvrages doit être facilité : pour ce faire, les bibliothèques municipales devraient être encouragées à confier une activité salariée à des étudiants, notamment pour conforter les équipes en place dans le cadre d'une extension des horaires d'ouverture ;
- les projets liés à la Bibliothèque numérique européenne doivent être soutenus. Il a rappelé que la commission attachait une grande importance à ce projet qui vise à apporter une réponse européenne à la hauteur des enjeux de la diffusion du savoir sur Internet et à la nécessité de ne pas laisser cette mission aux seules mains d'entreprises privées, souvent marquées par une influence anglo-saxonne dominante.
Il conviendra donc de veiller à ce que la Bibliothèque nationale de France ait les moyens de la mission qui lui a été confiée et qu'elle exerce avec brio.
Enfin, il a estimé que des mesures « transversales » semblaient incontournables.
Il s'agit, en premier lieu, de créer un « Médiateur du livre », qui serait une instance souple de conciliation entre les principes de régulation définis par la loi de 1981 sur le prix du livre et leur sanction par les tribunaux.
Il s'agit, en second lieu, de développer le lectorat, à la fois en France et à l'étranger.
Il a insisté, à cet égard, sur la nécessité de favoriser le goût et l'appétence des jeunes pour la lecture et pour l'écrit. Cette forme de « reconquête » du jeune lectorat passe par la mobilisation du système éducatif. A cette fin, il a insisté sur :
- l'utilité des listes de livres conseillés aux élèves en début d'année scolaire en fin d'année ;
- la remise à l'honneur de la « distribution des prix » à l'école, tradition qui s'est perdue alors qu'elle permettait aux livres de pénétrer dans les familles et qu'elle constituait souvent pour les jeunes l'amorce d'une bibliothèque ;
- la nécessaire sensibilisation des enseignants aux effets pervers de l'usage parfois excessif de photocopies et polycopiés, au détriment des oeuvres ou des ouvrages eux-mêmes.
Il a, en outre, souhaité que soit revue la politique conduite en matière de livres scolaires.
Il s'avère, en effet, que la fourniture gratuite de livres scolaires, instituée à partir de 2004 par de nombreuses régions, a un impact variable sur le secteur de la librairie, suivant ses modalités : les achats directs et centralisés le pénalisent, alors que le système des cartes à puces ou des crédits attribués aux parents pour effectuer eux-mêmes l'achat des ouvrages est neutre. Dans ces conditions, les collectivités territoriales devraient être plutôt incitées à opter pour ces dernières modalités, qui entraînent la fréquentation des librairies par les élèves et leurs familles.
Par ailleurs, il a estimé souhaitable que le ministère de l'éducation nationale informe mieux les municipalités des modifications des programmes et adapte davantage encore le rythme de ces dernières aux besoins réels. En effet, 400 000 écoliers n'utilisent pas de manuels et un million d'entre eux disposent, dans certaines matières, de manuels qui ne sont plus conformes aux programmes...
A cet égard, il a indiqué que la commission veillerait, dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances et de règlement, à ce que la globalisation des crédits opérée par la LOLF n'ôte rien au caractère prioritaire des subventions destinées à l'achat des livres.
Enfin, priorité devrait également être donnée au développement des technologies numériques à l'école et à la formation des enseignants dans ce domaine.
a insisté, en outre, sur la nécessaire mobilisation des chaînes publiques de télévision et de radio.
Le rôle prescripteur des critiques, animateurs et participants aux émissions littéraires est essentiel, que ce soit à la télévision ou à la radio. Tel est également le cas des articles que les critiques littéraires signent dans la presse écrite. C'est pourquoi il a souhaité le renforcement de ce type d'émission, au titre des missions de service public de France Télévisions et de Radio France.
La multiplication des « évènements » autour du livre mérite également d'être encouragée. Il a salué à ce titre la nouvelle opération : « L'été des libraires ».
Par ailleurs, M. Jacques Valade, président, s'est déclaré préoccupé de l'état critique de nombreuses librairies françaises à l'étranger. Outre d'éventuels soutiens financiers pour l'achat de livres, il a jugé indispensable que les centres culturels français à l'étranger prennent encore davantage en compte le secteur du livre dans leurs priorités.
De même, la crise du secteur de la traduction doit trouver des réponses, ce qui implique des actions de long terme. Enfin, la participation aux salons professionnels à l'étranger doit être aussi encouragée.
Un débat a suivi l'exposé du président.