L'eau douce va devenir, sans conteste, un enjeu géopolitique majeur du XXIe siècle. Les rivalités, et même les conflits, pour la possession de cette ressource limitée, sont déjà apparus dans plusieurs points du globe, sous l'effet conjugué des pressions démographique et économique.
Ces tensions ont été précocement décelées par l'organisation des Nations Unies, qui s'est saisie de cette question dès 1970 : son Assemblée Générale a alors demandé à la commission de droit international (CDI), interne à l'institution, d'étudier les normes internationales existantes en matière d'utilisation des cours d'eau internationaux à d'autres fins que la navigation ; en effet, cette dernière activité est déjà régulée par des textes internationaux.
Les travaux de la CDI ont conduit à l'élaboration d'une Convention cadre, soumise à la 49e session de l'Assemblée Générale, réunie en 1994. L'A.G. a alors proposé aux États membres de l'étudier, et d'y apporter leurs observations et commentaires avant le 1er juillet 1996.
Ce processus a conduit à l'adoption, le 21 mai 1997, par l'Assemblée Générale, de la convention des Nations unies sur le droit relatif à l'utilisation des cours d'eaux internationaux à des fins autres que la navigation. Il faut souligner que cette adoption ne s'est pas effectuée dans l'enthousiasme : 103 pays ont voté pour, 3 contre (le Burundi, la Chine et la Turquie), et 27 se sont abstenus, dont la France.
La prudence de notre pays était alors motivée par un contentieux l'opposant à des citoyens riverains du Rhin, et résidant en aval de notre pays. Ce litige portait sur les rejets, dans ce fleuve, de l'entreprise des Potasses d'Alsace. Ce contentieux ayant été réglé, d'ailleurs à notre avantage, la position française a évolué en faveur de la ratification de la convention de 1997. C'est l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui, et qui a déjà été adopté par l'Assemblée nationale.
Cependant, notre éventuel accord ne suffira pas à donner une force contraignante à cette Convention, qui doit, pour cela, recueillir 35 adhésions, alors que seules 17 ont déjà été effectuées, chiffre qui sera porté à 18 avec la ratification française. Les réticences manifestées par de nombreux Etats envers ce texte sont de plusieurs ordres. La Convention vise à instaurer un cadre général de gestion des eaux transfrontalières, et incite à des négociations entre Etats riverains d'un même fleuve. La gestion rationnelle d'une ressource appelée à se raréfier comme l'eau douce requiert, en effet, une concertation entre l'ensemble des parties prenantes, de la source à l'embouchure. Mais cette invitation à négocier est refusée par les Etats qui estiment que le statu quo leur est favorable, et récusent donc toute évolution. C'est, par exemple, le cas de la Turquie, qui affirme sa souveraineté sur les fleuves qui la traversent, comme le Tigre et l'Euphrate, pour éviter de négocier avec la Syrie et l'Irak, situés en aval, et dont le développement économique dépend du volume de ces fleuves. À l'inverse, l'Egypte craint la remise en cause d'accords de partage conclus antérieurement avec le Soudan et l'Éthiopie sur le Nil. Cette crainte vient d'ailleurs de se vérifier, car quatre pays d'amont, l'Ethiopie, le Rwanda, la Tanzanie et l'Ouganda, viennent de créer une commission commune chargée de gérer les projets d'irrigation, de canaux ou de barrages, sur l'ensemble du Nil, ce que récuse fermement l'Egypte. Bien que la Convention ne contienne aucune obligation de révision des accords préexistants, et s'en tienne à fournir un cadre de référence pour les négociations d'accords locaux facilitant la gestion partagée des eaux transfrontières, elle suscite la méfiance.
On ne peut que déplorer cet état de fait, sachant que 2/3 des bassins hydrographiques de la planète s'étendent sur le territoire de plusieurs Etats, et que, sur les 263 fleuves transfrontaliers existant, 157 sont toujours dépourvus de cadre coopératif, selon les chiffres du programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Cependant, ce refus de toute discussion, manifesté, notamment, par la Turquie et la Chine, ne fait qu'exprimer les tensions déjà fortes, et qui devraient encore croître à l'avenir, sur la gestion de l'eau douce perçue par ces États, à juste titre, comme une ressource rare, dont la possession assure un avantage stratégique important sur leurs rivaux.
Au sein de l'Union européenne, l'adoption, en 2000, de la Directive cadre sur l'eau, dont les prescriptions sont plus contraignantes que celles de la Convention de 1997, assure une bonne coopération. La France a également conclu avec ses voisins des accords sur la gestion de l'Escaut, de la Meuse, de la Moselle et du Rhin.
La décision française de ratifier la convention de 1997 ne modifiera donc pas notre ordre juridique interne, mais vise à relancer le processus d'adhésion à cette convention, notamment dans la perspective du prochain forum mondial de l'eau qui se tiendra à Marseille en 2012.
Au vu de ces éléments, je vous engage donc à adopter le projet de loi permettant l'adhésion de la France à la Convention de 1997, et vous propose son examen en séance publique selon la procédure simplifiée.