Intervention de Jean Faure

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 mai 2010 : 1ère réunion
Sécurité intérieure — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean FaureJean Faure, rapporteur pour avis :

Le projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, précise les objectifs et les moyens, tant budgétaires que juridiques, des forces de sécurité intérieure, c'est-à-dire la police et la gendarmerie, ainsi que la sécurité civile, sur la période 2009-2013.

Ce projet de loi s'inscrit dans le prolongement de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dite LOPSI, du 29 août 2002, qui couvrait la période 2003-2007.

Alors que la LOPSI est venue à échéance fin 2007, le présent projet de loi n'a été adopté par le Conseil des ministres que le 27 mai 2009. En effet, compte tenu d'un changement de jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les lois de programme, une modification de la Constitution était nécessaire pour présenter à nouveau devant le parlement une loi de programmation dans le domaine de la sécurité intérieure.

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a permis de résoudre cette difficulté.

L'examen par le Parlement de ce projet de loi a ensuite été repoussé afin de permettre au nouveau ministre de l'intérieur, M. Brice Hortefeux, de densifier le texte en le renforçant autour d'une stratégie globale de lutte contre l'insécurité. Ce projet de loi contient ainsi un important volet normatif, qui porte notamment sur le développement de la vidéo-protection, l'adaptation du cadre légal des fichiers ou encore le renforcement des mesures en matière de lutte contre l'insécurité routière.

Le projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale le 16 février dernier. Lors de son examen, ce projet de loi a fait l'objet de 510 amendements, dont 295 ont été adoptés. Le texte est passé de 46 à 86 articles, soit près du double.

Si la commission des lois du Sénat a été saisie au fond, notre commission a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi.

Cette saisine concerne deux aspects :

- d'une part, les dispositions qui concernent les moyens futurs de la gendarmerie nationale, qui sont contenues dans le rapport annexé ;

- et, d'autre part, les dispositions relatives à la protection des intérêts fondamentaux de la Nation, qui concernent notamment les services de renseignement et figurent au chapitre IV du projet de loi.

Même si l'examen de ce projet de loi en séance publique, prévu au début du mois de juin, a été reporté en raison de l'encombrement de l'ordre du jour, nous avons souhaité maintenir la date prévue pour l'examen pour avis de ce projet de loi. En effet, ce projet de loi pourrait être inscrit à l'ordre du jour d'une session extraordinaire au mois de septembre.

Je vous présenterai successivement les deux aspects du projet de loi qui concernent directement notre commission.

Concernant d'abord le volet relatif aux moyens de la gendarmerie nationale, je rappelle que la LOPSI 1 s'était traduite par un renforcement substantiel des moyens et des effectifs de la police et de la gendarmerie nationales.

Entre 2003 et 2007, 6 200 nouveaux emplois ont été créés dans la police et 6 050 postes dans la gendarmerie sur 7 000 prévus.

En matière d'équipements, la police a bénéficié de 1,3 milliard d'euros de crédits supplémentaires et la gendarmerie de 816 millions d'euros sur les 1 020 prévus initialement.

Ces moyens supplémentaires ont permis une revalorisation du traitement et des carrières des policiers et des gendarmes (avec la réforme des corps et carrières de la police nationale et le plan d'adaptation des grades aux responsabilités exercées dans la gendarmerie). Ils ont également permis de réaliser un important effort d'équipement, avec, par exemple, l'acquisition de nouveaux gilets pare-balles et d'une nouvelle arme de service.

L'augmentation des effectifs et des moyens de la police et de la gendarmerie s'est traduite par des résultats significatifs en matière de lutte contre l'insécurité.

Alors que la délinquance avait augmenté de 17,75 % entre 1997 et 2002, la délinquance a baissé de 14,4 % entre 2002 et 2008.

Si elle s'inscrit dans le prolongement de la LOPSI 1, la LOPPSI 2 se caractérise par l'accent mis sur la performance.

Comme l'illustre son intitulé, il s'agit d'une loi d'orientation et de programmation « pour la performance » de la sécurité intérieure. Elle vise ainsi à moderniser les forces de police et de gendarmerie à effort budgétaire constant. La dotation budgétaire consacrée à la mission Sécurité devrait ainsi rester stable entre 2009 et 2013, avec un montant de 11,5 milliards d'euros par an.

A moyens constants, le renforcement des synergies et de la coopération entre la police et la gendarmerie, le recours accru aux nouvelles technologies et une gestion rénovée des ressources humaines doivent permettre de poursuivre la baisse de la délinquance, selon le rapport annexé.

La première priorité de la LOPPSI 2 porte sur le recours accru aux nouvelles technologies.

Entre 2009 et 2013, 270 millions d'euros en crédits de paiement devraient être consacrés au déploiement, au sein de la gendarmerie, de terminaux informatiques embarqués, de la vidéo protection, du dispositif de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI), à l'acquisition de moyens de force intermédiaire (pistolet à impulsions électriques) ou encore à l'amélioration des relations avec le public.

La deuxième priorité concerne le renforcement de la coopération entre la police et la gendarmerie.

Après le rattachement de la gendarmerie nationale au ministre de l'intérieur, organisé par la loi du 3 août 2009, la LOPPSI 2 devrait permettre de franchir une nouvelle étape dans le renforcement des mutualisations, des synergies, mais aussi de la coopération opérationnelle entre la police et la gendarmerie. Ces mutualisations concernent notamment le soutien logistique, comme l'automobile, les matériels et les équipements, ou encore la passation de marchés communs, comme en matière d'armement par exemple.

La LOPPSI 2 prévoit également de renforcer la coopération opérationnelle entre les deux forces, afin d'optimiser les structures et d'augmenter la performance opérationnelle dans les différents domaines d'activité.

D'ores et déjà, des protocoles de coopération entre la police et la gendarmerie ont été publiés par le ministère de l'intérieur, le 11 février dernier. Il s'agit, pour le renseignement ou la coopération internationale, de désigner une direction pilote, tandis que la sécurité routière et l'ordre public voient leur coordination renforcée respectivement par une structure d'action mixte et une doctrine d'emploi commune. Enfin, pour la police judiciaire et la sécurité générale, les synergies seront renforcées pour mieux lutter contre l'insécurité grâce à de nouveaux fichiers communs (dont un fichier national d'objectifs) et à des dispositifs coopérant quotidiennement, en mesure de s'appuyer réciproquement.

Comme l'a indiqué l'ancien directeur général de la gendarmerie nationale, le général Roland Gilles, lors de son audition devant la commission, cette coopération renforcée préserve l'identité et l'équilibre entre les deux forces.

Je me félicite en particulier que la gendarmerie nationale préserve l'essentiel de ses attributions dans le domaine de la police judiciaire comme l'avait précisé et défendu notre commission lors de l'examen du projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale.

Enfin, sans remettre en cause le maillage territorial de la gendarmerie assuré par les brigades territoriales, la LOPPSI 2 prévoit la mise en oeuvre de redéploiements de zones de compétence entre la police et la gendarmerie.

La police s'inscrit dans le cadre de la police d'agglomération, alors que la gendarmerie s'inscrira dans une logique de police des territoires.

Toutefois, comme l'a confirmé le ministre de l'intérieur, aucun plan global de suppression des brigades territoriales n'est prévu.

La troisième priorité porte sur la gestion des ressources humaines.

Contrairement à la LOPSI 1, la LOPPSI 2 ne prévoit pas d'augmenter les effectifs de la police et de la gendarmerie.

La police et la gendarmerie devraient continuer de connaître des réductions d'effectifs au titre de la révision générale des politiques publiques et de la règle de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Je rappelle que la gendarmerie devrait perdre 3 500 postes entre 2009 et 2011.

Ces réductions d'effectifs devraient porter en priorité sur les fonctions de soutien et les tâches indues (comme les transfèrements) afin de préserver la capacité opérationnelle de la gendarmerie et sa présence sur le terrain.

Enfin, la poursuite du Plan d'adaptation des grades aux responsabilités exercées (PAGRE) ainsi que la mise en oeuvre des nouvelles grilles indiciaires des militaires, devraient permettre d'atteindre puis de maintenir une parité globale de traitement et de carrière entre gendarmes et policiers, conformément à l'engagement pris par le Président de la République, le 29 novembre 2007.

En ce qui concerne les dispositions législatives relatives à la défense et à la sécurité, le projet de loi comporte un chapitre IV relatif à la « protection des intérêts fondamentaux de la Nation ».

Ce chapitre ne comportait que trois articles. Un quatrième a été ajouté par amendement à l'Assemblée nationale.

Ces dispositions concernent néanmoins notre commission car elles touchent à des enjeux de défense et de sécurité, notamment à la politique du renseignement, et pour certaines, elles traduisent des engagements qui avaient été pris dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

J'évoquerai très rapidement l'article 19 qui concerne les installations d'importance vitale. Ces installations qui relèvent d'opérateurs publics ou privés sont régies par le code de la défense et doivent faire l'objet de mesures de protection particulière. Il s'agit d'installations sensibles pour l'approvisionnement en eau ou en énergie, les transports, les télécommunications.

L'article 19 vise simplement à généraliser les procédures d'autorisation d'accès à ces installations, sur le modèle de ce qui est déjà prévu pour certaines zones réservées dans les ports ou aéroports. C'est l'opérateur qui devra délivrer les autorisations d'accès. Il pourra solliciter l'avis du préfet qui diligentera une enquête administrative.

L'article 20 se situe dans la lignée des recommandations du Livre blanc sur la défense et la sécurité qui avait souligné la nécessité d'améliorer le cadre juridique d'exercice des activités des services de renseignement.

La loi de programmation militaire a déjà prévu de clarifier les règles applicables en cas de perquisitions touchant au secret de la défense nationale. Il s'agit ici, plus directement, de renforcer la protection des agents des services de renseignement par deux types de dispositions.

Tout d'abord, l'article 20 consacre la possibilité d'user d'une identité d'emprunt ou d'une fausse qualité. Cette pratique est non seulement courante, mais elle est même indispensable pour réaliser les opérations de recueil de renseignement. Or, elle n'est pas explicitement encadrée par un texte législatif, sauf dans le cas très spécifique des infiltrations réalisées par des agents des services dans le cadre de la lutte antiterroriste.

L'absence d'une base juridique solide est de nature à fragiliser l'action des services. Il paraît nécessaire de combler cette lacune de notre législation, d'autant que plusieurs pays européens, comme le Royaume-Uni ou l'Espagne, ont établi un cadre juridique clair à cet égard. C'est pourquoi il est proposé qu'un arrêté du Premier ministre détermine les services de renseignement pouvant faire appel à ce type de procédé. L'attribution d'une fausse identité ou d'une fausse qualité s'effectuera bien entendu sous la responsabilité de l'agent chargé de superviser la mission.

Deuxièmement, l'article 20 comporte une série de dispositions visant à protéger l'anonymat des agents des services de renseignement, mais également de leurs sources. La révélation de l'identité des agents ou des sources, comme de leur appartenance à un service de renseignement ou de leur lien avec un tel service, peut gravement compromettre l'accomplissement des missions. Elle peut également mettre en péril la sécurité des agents ou de leur famille.

Le projet de loi prévoit ainsi des sanctions pénales à l'encontre de la divulgation, en connaissance de cause, d'informations tendant à permettre l'identification des agents ou des sources. Ces sanctions sont aggravées si les révélations ont des incidences sur l'intégrité physique des agents ou d'un membre de leur famille.

D'autre part, il est prévu de modifier le code de procédure pénale afin de permettre aux agents des services de témoigner dans une procédure judiciaire sans que leur identité soit révélée. Il s'agit ici de s'inspirer de procédures qui existent déjà pour certains cas spécifiques dans le but de protéger les témoins.

L'Assemblée nationale n'a apporté à cet article que des précisions rédactionnelles.

L'article 20 bis résulte d'un amendement de la commission des Lois de l'Assemblée nationale et concerne les services de renseignement du ministère de la défense, essentiellement la DGSE. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, dans laquelle la DGSE est très impliquée, il s'agit de permettre aux services de renseignement de la défense d'accéder aux mêmes fichiers que leurs homologues du ministère de l'intérieur, à savoir les fichiers constitués à partir des données collectées lors de l'enregistrement et de l'embarquement des passagers.

Dans la loi de 2006 sur le terrorisme, suite à un amendement de MM. André Dulait et Serge Vinçon, le Sénat avait déjà ouvert aux services de renseignement de la défense la possibilité de consulter les fichiers des documents d'identité ou le fichier des immatriculations. Il est logique de faire de même pour les données des transporteurs aériens.

Enfin, l'article 21 met en place un régime d'encadrement des activités privées d'intelligence économique, sur le modèle de ce qui existe actuellement pour les agences de sécurité ou les détectives privés.

Le dispositif repose sur quatre points principaux :

- un agrément personnel des dirigeants des sociétés intervenant dans l'intelligence économique par le ministère de l'intérieur ;

- une autorisation d'exercice délivrée à la société par le même ministère ;

- l'interdiction d'exercer dans une telle entreprise pour les anciens policiers, gendarmes et agents des services de renseignement dans les trois ans suivant la cessation de leurs fonctions, sauf autorisation écrite accordée par leur ministre de rattachement ;

- enfin des sanctions pénales pour les contrevenants.

Cet article répond à un besoin de moralisation du secteur réclamé par les entreprises d'intelligence économique elles-mêmes. Leur fédération professionnelle, qui compte 120 entreprises, réclame en effet cet agrément pour éviter l'amalgame entre l'intelligence économique - qui suppose la collecte et la protection des informations essentielles pour les entreprises selon des procédés légaux - et l'espionnage industriel, qui s'exerce en contravention avec la loi.

L'Assemblée nationale a donné une définition plus précise des activités entrant dans le champ du texte : il s'agit des « activités privées de sécurité consistant dans la recherche et le traitement d'informations sur l'environnement économique, commercial, industriel ou financier d'une ou plusieurs personnes physiques ou morales, destinées soit à leur permettre de se protéger des risques pouvant menacer leur activité économique, leur patrimoine, leurs actifs immatériels ou leur réputation, soit à favoriser leur activité en influant sur l'évolution des affaires ou les décisions de personnes publiques ou privées ».

Cet article, tel que modifié par l'Assemblée nationale, donne satisfaction aux professionnels du secteur et paraît de nature à atteindre l'objectif de moralisation recherché par le Gouvernement.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des articles 1er et du rapport annexé, ainsi que des articles 19 à 21 de ce projet de loi.

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