Intervention de André Vantomme

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 19 mai 2010 : 1ère réunion
Sécurité intérieure — Examen du rapport pour avis

Photo de André VantommeAndré Vantomme, co-rapporteur :

Après l'intervention de notre collègue M. Jean Faure, je voudrais, pour ma part, revenir sur les origines et le déroulement du conflit russo-géorgien de l'été 2008 et ses conséquences sur la situation géopolitique de la région du Caucase.

Le conflit entre la Russie et la Géorgie n'a pas commencé en 2008, ni même lors des précédents affrontements en Abkhazie et en Ossétie du Sud au début des années 1990.

En réalité, l'origine de cette guerre est plus ancienne, puisque l'intérêt de la Russie pour la Géorgie et le Caucase du Sud remonte à la fin du XVIe siècle. Le Caucase du Sud représente, en effet, une région stratégique, véritable trait d'union entre l'Europe et l'Asie, à l'intersection des influences de la Russie, de l'Iran et de la Turquie. Cette région constitue également un enjeu important en matière d'acheminement du pétrole et du gaz de la mer Caspienne et de l'Asie centrale vers l'Europe.

Située au bord de la mer Noire, entre la chaîne du Grand Caucase au Nord et la chaîne du petit Caucase au Sud, la Géorgie dispose d'un territoire comparable à celui de l'Irlande, très montagneux. Elle partage des frontières communes avec la Fédération de Russie au Nord, et notamment avec les républiques d'Ingouchie, de Tchétchénie et du Daghestan, et au Sud avec la Turquie et l'Arménie et à l'Est avec l'Azerbaïdjan. Ce pays de 4,5 millions d'habitants compte plusieurs minorités. La religion orthodoxe prédomine, même si on trouve une minorité musulmane.

Connue dès l'Antiquité, sous le nom de Colchide, où Jason alla chercher la toison d'or, la Géorgie a été christianisée au début du VIe siècle et a connu de brèves périodes d'indépendance, bien que soumise successivement à la domination des Byzantins, des Perses puis de l'Empire ottoman.

Annexée dès la fin du XVIIIe siècle, la Géorgie représente pour la Russie une base avancée, lui permettant de contrôler le Caucase du Nord, peuplée de tribus montagnardes musulmanes promptes à se révolter, et de poursuivre son avancée en direction de la Turquie et de l'Iran vers les mers chaudes.

Alexandre Dumas a décrit dans son « voyage au Caucase » les luttes incessantes entre les troupes russes et les peuples musulmans des montagnes du Caucase, dont s'inspireront également Pouchkine, Tolstoï et Lermontov.

Ayant déclaré son indépendance peu après la révolution bolchevique en 1918, la Géorgie sera réintégrée dès 1922 au sein de l'Union soviétique, grâce à deux géorgiens : Staline et Beria.

Pendant la période soviétique, la Géorgie devient, comme la Crimée, le lieu de villégiature privilégié de la nomenklatura. L'élite soviétique dispose de datchas au bord des plages d'Abkhazie et d'Adjarie et profite du ski dans les stations de Goudaouri et de Bakouriani. Il est vrai que la Géorgie dispose de beaux paysages, d'un climat doux, propice à la production de fruits et de vignoble, et d'un certain art de vivre, comme l'illustre la tradition d'hospitalité, avec les célèbres « toast géorgiens ».

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que se mette inconsciemment en place, dans l'imaginaire russe, un sentiment d'attachement viscéral à cette contrée.

Après la chute de l'URSS, en 1991, la Géorgie a retrouvé son indépendance.

Toutefois, dès 1990, les Abkhazes et les Ossètes ont revendiqué l'indépendance de leur province.

Au même moment, la province du Haut-Karabakh, peuplée majoritairement d'arméniens mais rattachée administrativement à l'Azerbaïdjan, a demandé son rattachement à l'Arménie, entraînant de violents affrontements.

Plutôt que d'entamer le dialogue avec les provinces sécessionnistes, le premier Président géorgien Zviad Gamsakhourdia s'est lancé dans une surenchère nationaliste qui a attisé les tensions. Ainsi, il a supprimé l'autonomie dont bénéficiaient les deux provinces. Son régime ayant dérivé vers une dictature, il a été renversé par la force aux termes d'une guerre civile et remplacé en 1992 par Edouard Chevarnadzé, ancien ministre des affaires étrangères de l'Union soviétique. Si celui-ci a instauré un régime présidentiel fort, il n'a cependant pas réussi à engager des réformes et à améliorer le niveau de vie.

En outre, il a envoyé l'armée géorgienne récupérer les provinces d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, mais, après de violents combats, les troupes géorgiennes ont été battues par les miliciens abkhazes et ossètes, soutenus par l'armée russe, et la Géorgie a été contrainte de négocier un cessez-le-feu en 1993 prévoyant la mise en place d'une force de maintien de la paix composée de contingents géorgiens, ossètes et russes.

Une mission d'observation de l'ONU a été mise en place en 1993 en Abkhazie et une mission d'observation de l'OSCE en Ossétie du Sud. De 1993 à 2008, on parlait à propos de ces deux territoires de « conflits gelés ».

Contestant la dérive autoritaire du régime et l'ouverture vers la Russie, l'opposition a renversé le « renard blanc du Caucase » en novembre 2003, aux termes de « la révolution des roses » et a porté Mikhail Saakashvili au pouvoir.

Mikhail Saakashvili, jeune président pro-occidental, formé en France et aux Etats-Unis, a fait de l'adhésion de la Géorgie à l'Union européenne et à l'OTAN sa première priorité en matière de politique étrangère. Il disposait d'un fort soutien de la part de l'administration Bush et la Géorgie a participé aux côtés des Etats-Unis à l'intervention américaine en Irak et en Afghanistan. Il a également engagé de profondes réformes, avec un certain succès, mais le pouvoir présidentiel, sans véritables contre-pouvoirs, s'est considérablement renforcé sous ses deux mandats successifs.

Après avoir été brièvement nommée au poste de ministre des affaires étrangères, puis congédiée de son poste, notre compatriote Mme Salomé Zourabichvili a décrit dans son livre « La tragédie géorgienne », la dérive autoritaire du régime. L'opposition demeure toutefois fortement divisée et sans véritable projet.

Dans ce contexte, comment expliquer le déclenchement de la guerre russo-géorgienne en août 2008, à la veille de l'ouverture des Jeux Olympiques de Pékin ?

S'il est difficile de faire la part des responsabilités, la mission d'enquête conduite par la diplomate suisse, Mme Heidi Tagliavini, a conclu que c'était bien la Géorgie qui avait déclenché l'offensive en Ossétie du Sud, mais que la Russie avait une responsabilité dans l'escalade des tensions dans les mois précédents et que sa réaction avait présenté un caractère disproportionné. Selon la formule d'un de nos interlocuteurs, en déclenchant l'offensive, la Géorgie est tombée dans le piège tendu par la Russie.

En effet, dès le lendemain de l'offensive géorgienne, les troupes russes sont entrées en Ossétie du Sud, ont repoussé l'armée géorgienne et pénétré sur le territoire géorgien en s'assurant notamment le contrôle de la ville de Gori.

Alors que l'armée russe se rapprochait de la capitale, Tbilissi, le Président de la République Nicolas Sarkozy s'est rendu à Moscou le 12 août et est parvenu, au nom de la présidence de l'Union européenne, à obtenir un cessez-le-feu, accepté par la Russie et la Géorgie, et contenant six points.

Ce plan, s'il a eu le grand mérite de mettre un terme au conflit, a été signé dans l'urgence et contenait des ambigüités en particulier sur les zones tampons dont la Russie a su tirer avantage. Il n'a pas permis un règlement toujours à venir de ce conflit.

Ainsi, de nombreux déplacés n'ont toujours pas pu retourner dans leurs foyers.

Quelles sont les conséquences de ce conflit ?

Même si le déroulement de ce conflit a révélé les faiblesses du dispositif militaire russe, la Russie est sortie considérablement renforcée de ce conflit alors que la Géorgie apparaît de plus en plus isolée. La Russie a profité du conflit de l'été 2008 pour consolider son emprise sur l'ensemble du territoire abkhaze et ossète.

La Russie a reconnu le 26 août 2008 l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, en se fondant sur le précédent du Kosovo. Elle a renforcé sa présence militaire en construisant de nouvelles bases.

Pour sa part, la Géorgie apparaît de plus en plus isolée. Entretenant de mauvaises relations avec ses voisins, la Géorgie a vu la nouvelle administration américaine prendre ses distances avec elle et la perspective d'une intégration rapide de la Géorgie dans l'OTAN s'éloigner.

Peut-on espérer une solution à court terme à cette situation ?

Pour ma part, je suis assez pessimiste car le statu quo actuel profite à toutes les parties : au président géorgien qui met en avant l'unité nationale pour consolider son pouvoir ; aux abkhazes et aux ossètes, qui bénéficient enfin d'un Etat ; à la Russie, qui empêche tout rapprochement de la Géorgie avec l'OTAN.

Pour autant, il existe des facteurs qui militent pour un rétablissement des relations entre la Russie et la Géorgie.

La situation au Nord Caucase, qui représente une véritable poudrière pour la Russie, devrait l'inciter à coopérer plus étroitement avec la Géorgie.

En effet, la reconnaissance de l'indépendance des deux entités, qui n'a été reconnue, outre la Russie, que par trois Etats (le Venezuela, le Nicaragua et l'île de Nauru), risque d'encourager des revendications similaires au sein même de la Fédération de Russie.

Par ailleurs, les autorités russes attachent une très grande importance aux Jeux Olympiques de Sotchi de 2014 et craignent par-dessus tout un boycott, à l'image des Jeux Olympiques de Moscou de 1980.

Concernant la Géorgie, si la perspective d'une réintégration par la force des deux entités séparatistes, qui représentent 20% du territoire géorgien, n'est plus d'actualité, la nouvelle stratégie met l'accent sur la réintégration pacifique par le renforcement de l'attractivité du territoire géorgien, notamment en matière économique. Or, la Russie représente un vaste marché pour l'économie géorgienne, notamment en matière agricole et viticole.

Il me semble donc qu'à l'avenir, la Russie et la Géorgie sont condamnées à coopérer. Ce rapprochement pourrait notamment passer par les relations étroites qui existent entre l'Eglise orthodoxe géorgienne et l'Eglise orthodoxe russe.

Pour autant, je crois que l'Union européenne a un rôle important à jouer dans cette région, qui représente un intérêt stratégique pour ses approvisionnements énergétiques.

C'est la raison pour laquelle j'attache une grande importance, comme notre collègue M. Jean Faure, à la présence de la mission de surveillance de l'Union européenne et au renforcement du rôle de l'Union européenne dans cette région.

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