a d'abord indiqué que la volonté de protéger la société contre ceux que l'on considère comme fous et dangereux est ancienne ; elle remonte à la loi des 16 et 24 août 1790 qui a instauré un pouvoir de police en la matière. La possibilité d'interner une personne sans son consentement, c'est-à-dire l'hospitalisation d'office, définie dans le code de la santé publique, découle de ce pouvoir de police dans lequel le juge n'intervient pas.
En regard de cette possibilité de contrainte par corps destinée à empêcher les troubles à l'ordre public, la faculté de proposer des soins comme alternative ou complément à la peine de prison a été reconnue au juge, en 1954 pour les alcooliques, en 1958 pour tous les malades.
Quatre textes ont complété ces deux dispositifs au cours des dix dernières années : la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs ; la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, qui a permis au juge d'ordonner une hospitalisation d'office dans les cas où l'irresponsabilité pénale de l'auteur fait qu'il ne sera pas condamné ; la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et, enfin, la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Ces textes ont cherché, à la suite d'une meilleure prise de conscience de l'ampleur des violences faites aux femmes et aux enfants, à mieux répondre aux problèmes des infractions sexuelles et de la récidive. La rupture du silence des victimes a, en grande partie, permis cette évolution qui semble encore inachevée puisque des études sociologiques menées entre 2000 et 2006 ont révélé un doublement du nombre de personnes ayant déclaré avoir été victimes de violences sexuelles au cours de leur vie, alors que le nombre de plaintes est resté stable sur la même période.
La loi du 17 juin 1998, unanimement saluée par les soignants, a créé le suivi socio-judiciaire et la possibilité d'injonction de soins pour les délinquants sexuels, que le juge peut adjoindre à la condamnation si l'expertise psychiatrique antérieure au procès a établi que l'accusé, dont le discernement n'était pas aboli au moment des faits, aurait intérêt à en bénéficier. A l'issue de la peine, le condamné devra donc accepter des soins ou, à défaut, retourner en prison.
Ce dispositif permet de préserver le principe du consentement aux soins tout en imposant une contrainte suffisamment forte - le retour en prison - pour surmonter le refus de soins qui est l'une des principales difficultés rencontrées par les médecins : le consentement est en effet une nécessité médicale, particulièrement pour le traitement des maladies mentales car on ne peut obtenir de résultats durables sans adhésion au traitement.
L'injonction aux soins est considérée, par les médecins qui sont prêts à s'occuper des délinquants sexuels, comme le moyen de commencer le traitement : la justice aide donc à la mise en oeuvre d'une thérapeutique. Chacun est dans son rôle : le juge d'application des peines s'assure qu'il y a bien respect de l'injonction ; le médecin traitant prescrit la thérapeutique qui lui semble appropriée. Pour qu'il y ait une séparation nette entre pouvoir judiciaire et médecine, un médiateur a été créé en la personne du médecin coordonnateur, qui est l'interlocuteur du juge et rencontre à intervalles réguliers le patient pour s'assurer du suivi thérapeutique. Mais il n'interfère pas avec les prescriptions du médecin traitant. Le seul pouvoir dont il dispose est de refuser que le condamné n'ait recours qu'à un psychologue traitant. Il peut imposer que l'injonction de soins soit confiée à un médecin, ce qui paraît adapté aux enjeux.
Or, cette séparation claire entre justice et soins est aujourd'hui remise en cause. On demande en effet à la médecine d'assurer une mission qui n'est pas la sienne, la défense sociale, c'est-à-dire empêcher les personnes criminellement dangereuses de nuire. A cet égard, il ne faut pas confondre dangerosité criminelle et dangerosité psychiatrique, ce qui est pourtant fréquent. Un psychiatre peut déterminer le risque d'auto et même d'hétéro-agressivité d'un malade mais il n'y a pas de corrélation directe avec le risque de commettre un crime ou un délit. La criminologie est une science en devenir qui a, elle-même, beaucoup de mal à évaluer la dangerosité d'un condamné et donc le risque de récidive. On s'accorde d'ailleurs encore à reconnaître que le meilleur outil en la matière est un instrument presque totalement empirique, le tableau actuariel, c'est-à-dire une sorte de barème qui, en confrontant différents critères liés au condamné et aux faits qui lui sont imputés, propose une estimation de son risque de récidive.
Il n'appartient pas à la médecine de compenser les incertitudes de la criminologie. Ainsi, en instaurant la rétention de sûreté, la loi de février 2008 a prévu la possibilité d'interner les personnes dangereuses dans des établissements de soins. Or, c'est là créer un risque d'amalgame grave : toute personne dangereuse n'est pas soignable en l'état de la médecine ; la dangerosité n'est pas une pathologie et on ne peut, par exemple, soigner un psychopathe.
En suggérant que le juge pourrait prescrire, voire imposer un traitement précis, le projet de loi renforce la confusion entre justice et soin. Ce traitement, appelé « castration chimique » par les urologues, est en fait un inhibiteur de la testostérone et donc, dans une certaine mesure, de la libido. Le terme de « castration », pour symbolique qu'il soit, est ainsi impropre, d'autant plus que les effets du traitement sont parfaitement réversibles ; il serait plus approprié de parler de traitement « antihormonal ».
Par ailleurs, outre cette obligation de prescription, le texte impose de demander aux experts d'apprécier l'utilité du traitement et prévoit que son interruption entraînera un retour en prison ou en rétention de sûreté. Ce serait là un cas unique où l'on attacherait à une forme de thérapie des conséquences judiciaires graves.
Certes, le traitement antihormonal dispose d'un statut légal particulier : il est le seul médicament mentionné explicitement dans le code de la santé publique, à l'article L. 3711-3, à la suite du vote de la loi de 2005 sur la récidive. Cette particularité s'explique par le fait que les effets des traitements antihormonaux, utilisés pour soigner le cancer de la prostate, n'avaient alors pas d'indication en matière de pathologie mentale, pour le soin des délinquants sexuels ; il fallait donc donner une base légale à leur utilisation pour régler les questions d'assurance des médecins et de prise en charge du traitement par la sécurité sociale.
Cette exception ne se justifie plus aujourd'hui puisqu'il existe trois médicaments susceptibles d'être prescrits par tout médecin pour traiter la « déviance sexuelle » et pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. Le traitement a fait ses preuves et, comme tout médicament, il comporte ses indications, d'ailleurs encore discutées, et ses contre-indications. Il ne s'agit en aucun cas d'un traitement « miracle » car il ne peut soigner que 5 % à 10 % des délinquants sexuels ; en favorisant l'andropause, il a par ailleurs des effets secondaires importants. Dans le cadre d'une thérapeutique normale, un médecin peut donc commencer un tel traitement puis décider de le modifier, de l'interrompre ou même de l'abandonner tout en continuant d'autres soins. Dans ce dernier cas, faut-il que le malade retourne en prison ?
En outre, il ne s'agit pas d'un traitement pour condamnés dangereux. Les médecins, qui le prescrivent à l'hôpital, ont dans leur clientèle de nombreuses personnes qui souffrent de pulsions envahissantes mais qui luttent pour ne pas passer à l'acte et ne l'ont jamais fait. Le traitement antihormonal les y aide. Mais faire d'un type de traitement une panacée, voire une obligation légale, c'est laisser entendre à l'opinion publique et aux familles que la médecine a les moyens d'empêcher les délinquants sexuels de récidiver. Cela est faux et dangereux car tout échec sera désormais considéré comme un échec de la médecine qui tente de soigner mais ne peut, ni n'est faite, pour « neutraliser » des individus.