Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 avril 2008 : 1ère réunion
Santé — Avenir de la chirurgie en france - présentation du rapport d'information

Photo de Alain MilonAlain Milon, rapporteur :

a rappelé que la mission qui lui a été confiée par la commission sur l'avenir de la chirurgie s'inscrit dans le cadre plus large de la réflexion en cours sur l'organisation de l'offre de soins sur le territoire national.

Deux raisons majeures ont présidé au choix de ce sujet : d'une part, le fait que l'exercice de cette profession ait été profondément modifié ces dernières années par l'évolution des techniques, les tensions démographiques et la spécialisation croissante de la discipline ; d'autre part, le rôle emblématique que jouent les services de chirurgie en matière d'accès aux soins.

La France compte aujourd'hui près de 25 000 chirurgiens, dont environ 16 000 libéraux et mixtes ; 55 % d'entre eux ont plus de cinquante ans et 23 % sont des femmes. Les spécialités chirurgicales les plus représentées sont l'ophtalmologie, la gynécologie obstétrique, la chirurgie générale, l'oto-rhino-laryngologie. Toutefois, la chirurgie plastique ne cesse de gagner des effectifs au détriment, notamment, de la chirurgie générale.

L'exercice de la chirurgie se caractérise, en France, par l'extrême dispersion des moyens techniques et humains, qui conduit certains centres à ne plus réunir les conditions nécessaires à des pratiques de qualité et à la sécurité des patients. La seconde particularité de la chirurgie française réside dans la spécialisation croissante des secteurs public et privé : le secteur public, qui réalise 33 % de l'activité, se concentre sur des actes complexes, tandis que le secteur privé à but lucratif réalise, surtout, la chirurgie programmée de proximité permettant une prise en charge ambulatoire.

a ensuite analysé les facteurs qui laissent à penser que la chirurgie connaîtrait une « crise des vocations ».

Le premier facteur réside en la diminution - relativement aux autres disciplines médicales - de la rémunération des chirurgiens, en raison notamment de l'augmentation exponentielle du coût des assurances en responsabilité civile, qui a été multiplié entre trois et six fois depuis 2000. Si ce coût est intégralement pris en charge par les établissements dans le cas des médecins salariés, les chirurgiens libéraux s'acquittent de 40 % du montant de leur assurance. Certaines spécialités sont, de ce fait, devenues judiciairement à risque et financièrement moins rémunératrices.

Le deuxième facteur avancé tient à la pénibilité - physique mais aussi en termes de gardes - liée à l'exercice de la profession de chirurgien et à laquelle les jeunes générations préfèrent un partage plus équilibré entre vie personnelle et vie professionnelle.

Le troisième facteur, propre à la chirurgie publique, a trait à la rigidité des carrières à l'hôpital, qui constitue un frein certain auprès des étudiants mais aussi de certains chirurgiens expérimentés. Sur ce point, une réflexion pourrait utilement être engagée sur l'évolution des missions dévolues à un praticien hospitalier au cours de sa carrière pour lui permettre, tour à tour, de soigner, d'enseigner et d'exercer une activité de recherche.

Pour autant, le rapporteur a considéré qu'on ne peut conclure à une « crise des vocations » en chirurgie. Cette spécialité demeure en effet prisée des étudiants en médecine à l'issue des épreuves classantes nationales, puisqu'elle est choisie en deuxième position, juste après les spécialités médicales. Toutefois, certaines disciplines sont moins convoitées que d'autres, notamment celles qui exigent une grande résistance physique, un rythme soutenu de gardes ou bien celles dont le niveau de cotation des actes par la sécurité sociale est peu attractif.

Par ailleurs, au-delà des inégalités entre spécialités chirurgicales, les inégalités territoriales en matière d'offre de soins chirurgicaux constituent un réel sujet d'inquiétude. Celles-ci se creusent en fonction des choix d'installation des jeunes chirurgiens, qui sont guidés en particulier par la capacité des établissements à mettre à leur disposition des plateaux techniques disposant des innovations les plus récentes ou à leur garantir la présence d'une équipe médicale et paramédicale suffisante permettant un exercice sécurisé et des contraintes moins lourdes de permanence des soins.

Pour inciter les chirurgiens à s'installer dans les zones déficitaires, il s'est déclaré favorable à l'instauration d'un service public médical de trois à cinq ans, que les jeunes chirurgiens effectueraient dans leur région de formation avant de bénéficier de la liberté d'installation.

a ensuite étudié la question de la formation. Il serait utile aux étudiants de mieux connaître la réalité du métier de chirurgien en amont du choix de spécialité, grâce à l'instauration d'un stage court dans un service de chirurgie dès la deuxième année de médecine.

Un deuxième volet concerne l'enseignement de la chirurgie générale, dont le maintien dans le cursus universitaire fait l'objet d'un débat. Il s'est prononcé en faveur d'une revalorisation de cette filière, estimant que tous les chirurgiens doivent disposer de connaissances minimales dans un souci de permanence des soins dans les structures de taille moyenne. L'instauration d'une première année de chirurgie générale au début de l'internat en chirurgie répondrait à cet objectif.

Il a également proposé qu'une partie de la formation des internes se fasse dans les établissements privés, sur la base d'un contrat signé entre un praticien et l'université. Cette ouverture permettrait de faire connaître la chirurgie libérale aux étudiants et de renforcer leur formation dans les spécialités - la chirurgie plastique et de la main notamment - pour lesquelles la supériorité des cliniques privées est reconnue.

a ensuite présenté les modalités d'exercice du métier de chirurgien et, en premier lieu, le niveau et le calcul de leur rémunération.

Les revenus des chirurgiens libéraux ont enregistré une diminution de 0,2 % entre 1993 et 2001, alors qu'ils étaient en augmentation continue sur cette période pour la plupart des spécialités médicales. Parallèlement, l'activité avait pourtant enregistré une croissance de 2 %. De fait, la diminution de la rémunération des chirurgiens trouve son explication dans une très faible revalorisation de la tarification des actes, conjuguée à une croissance dynamique des charges (3,6 % par an sur la période). Cette diminution a été limitée par un recours massif aux dépassements d'honoraires. Ceux-ci représentaient ainsi près de 30 % des revenus des chirurgiens en secteur II en 2000 contre 16 % en 1993.

Pour mettre un terme à cette évolution, les tarifs des actes chirurgicaux ont été revalorisés de 18 % en secteur I et de 6,5 % en secteur II en 2004 et 2005, à la suite de la mise en place de la classification commune des actes médicaux fondée sur des critères objectifs (pénibilité, technicité, temps de réalisation, etc.).

En ce qui concerne les médecins hospitaliers, si leur rémunération a été fortement revalorisée en 2000 avec la création de la prime de renoncement au secteur privé, l'existence d'un statut unique ne permet pas de prendre en compte les contraintes et la pénibilité propres à la chirurgie. Or, cette situation conduit à priver l'hôpital des meilleurs éléments : les chirurgiens, mais aussi les radiologues et les anesthésistes sont, en effet, de plus en plus nombreux à rejoindre le secteur privé où leur rémunération peut être jusqu'à huit fois plus élevée.

Prenant acte du déséquilibre croissant entre les rémunérations proposées dans le secteur privé et le revenu des chirurgiens hospitaliers, M. Alain Milon, rapporteur, a appelé de ses voeux l'application de nouvelles modalités de rémunération communes, qui tiendraient compte de la pénibilité, de la qualité et du volume d'activité.

A cet égard, il a salué la proposition du professeur Guy Vallancien, consistant en un « contrat d'exercice global » à adhésion volontaire, signé pour trois ans entre les chirurgiens, les futures agences régionales de la santé et les établissements de santé. Ce contrat fixerait les engagements des praticiens en matière d'installation, de permanence des soins, de tarifs opposables et de formation. En contrepartie, le tarif des actes chirurgicaux serait revalorisé et les chirurgiens rémunérés pour la part la plus importante en fonction de leur activité avec un complément forfaitaire finançant la permanence des soins et les tâches sans lien direct avec l'activité chirurgicale.

Enfin, l'exercice du métier de chirurgien pose également la question de la répartition des praticiens sur le territoire national.

Sur ce point, M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé que la France est le pays au monde où le nombre d'établissements de santé rapporté à la population est le plus élevé, soit un établissement pour 20 000 habitants, contre une moyenne d'un pour 40 000 habitants en Europe. La distance moyenne pour rallier un service de chirurgie est de trente-cinq kilomètres contre une centaine en Suède.

Pourtant, sur la zone d'influence de certains hôpitaux, on observe un taux de fuite de la population vers des établissements plus importants pouvant aller jusqu'à 90 %. De fait, dans la mesure où un Français subit en moyenne dans sa vie deux à trois interventions chirurgicales, majoritairement programmées, la qualité du plateau technique et la réputation du chirurgien constituent, bien avant la distance et le temps de transport, les critères fondamentaux du choix du lieu d'une opération. Au total, les hôpitaux de proximité n'attirent souvent plus que des personnes âgées isolées et la frange la plus défavorisée de la population.

La chirurgie française est confrontée au défi de la restructuration de l'offre de soins, dans le but de conjuguer, dans un contexte de contrôle des coûts, les exigences de proximité et de sécurité.

A cet effet, les Sros (schémas régionaux d'organisation des soins) de troisième génération, mis en place le 31 mars 2006, ont fixé un seuil d'activité recommandé, qui sert de base à la restructuration prévue de l'offre de soins en chirurgie. Ce seuil s'établit à mille cinq cents séjours chirurgicaux ou deux mille actes en bloc opératoire par an. Mille services de chirurgie seront, sur cette base, concernés par une fermeture d'ici 2011. L'objectif est de disposer de plateaux techniques et d'équipes médicales de qualité dans les établissements de santé de taille critique, complétés par des structures chirurgicales de recours à une distance de cinquante kilomètres.

Il conviendra aussi d'organiser la reconversion des établissements dont le service de chirurgie aura fait l'objet d'une fermeture. Celle-ci peut prendre de multiples formes - soins de suite ou de réadaptation, service d'accueil et d'urgence, maison de santé -l'expérience montrant que, bien menée, elle conduit généralement au développement du volume d'activité et à la création d'emplois.

Par ailleurs, la contrepartie indispensable de la restructuration de l'offre de soins chirurgicaux réside dans le développement des transports et dans la réduction de leur coût pour l'assurance maladie grâce, notamment, au développement de transports en commun de patients.

En outre, la restructuration de l'offre de soins chirurgicaux aura des conséquences certaines sur l'activité des CHU. Ces établissements sont chargés d'une triple mission en chirurgie : assurer les soins de proximité, dispenser des thérapeutiques complexes et innovantes de recours et réaliser des interventions de référence. Or, la première de ces missions a tendance à se développer au préjudice des deux autres, en raison de la fréquentation croissante des urgences hospitalières. Conjuguée aux contraintes liées au respect pointilleux des règles applicables au temps de travail, cette situation conduit à ce que les salles d'opérations des CHU réalisent une production moitié moindre que dans le secteur privé.

a donc plaidé pour un renforcement de l'activité programmée de la chirurgie publique. A cet effet, il convient de dégager du temps médical pour les médecins hospitaliers en limitant le poids des contraintes administratives et de développer leur activité de recherche clinique en chirurgie dans les CHU grâce à une plus grande ouverture, y compris financière, au monde industriel, scientifique et universitaire.

Simultanément, dans le cadre de la restructuration envisagée, le secteur privé devra être associé à l'obligation de permanence des soins. Cela suppose notamment le développement de services d'urgence dans les établissements privés - il existe déjà des pôles opérationnels spécialisés d'urgence comme « SOS main » - ou, au minimum, la conclusion de conventions entre ces praticiens et les services d'urgence des hôpitaux.

Cette nécessaire collaboration entre public et privé pourrait toutefois être rendue délicate par le fait que de nombreuses cliniques sont rachetées par des fonds privés dans l'objectif de rentabiliser l'activité de ces structures, au détriment du maintien de spécialités chirurgicales peu rémunératrices et plus risquées.

En conclusion, M. Alain Milon, rapporteur, a appelé à un rapprochement du public et du privé dans les domaines de la formation, de la rémunération et de l'organisation de l'offre de soins, comme l'ont également proposé Gérard Larcher et Guy Vallancien dans le cadre de leurs récents travaux.

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