Intervention de Bernard Laponche

Mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver — Réunion du 28 mars 2007 : 1ère réunion
Audition de M. Bernard Laponche expert en politiques de l'énergie

Bernard Laponche, expert en politiques de l'énergie :

Observant à titre liminaire qu'il n'existait pas de solution miracle aux problèmes énergétiques ni de réponse simple aux différentes questions qu'ils soulèvent, M. Bernard Laponche, expert en politiques de l'énergie, a suggéré que, dans son rapport, la mission commune d'information mette en évidence les contradictions entre divers objectifs, expose les difficultés de mise en oeuvre des politiques et, surtout, souligne que les réponses apparemment les plus logiques ne sont pas toujours applicables, en toutes situations. Il a également mis en garde contre la focalisation sur une problématique particulière qui négligerait le contexte plus général dans lequel elle s'inscrit : à cet égard, il a estimé que le problème le plus important étant la sécurité énergétique, bien plus que la sécurité électrique, la question la plus aigue est la dépendance des économies occidentales, et singulièrement de la France, vis-à-vis du pétrole.

Il a ainsi fait valoir que, malgré l'alerte donnée dans les années soixante-dix par les deux chocs pétroliers et les inflexions légères qui les avaient suivis, la consommation de produits pétroliers n'avait guère varié entre 1970 et 2005, avoisinant les 87 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) par an, et qu'elle représentait toujours quelque 50 % de la consommation d'énergie finale du pays, en particulier en raison de la dépendance majeure des transports vis-à-vis des produits pétroliers (ce secteur est alimenté à 97 % par ces produits et représente 57 % de leur consommation totale). Aussi, après avoir relevé que la France est, avec 1,51 tonne de pétrole consommée par habitant chaque année, dans une situation comparable à celle de ses grands voisins européens (1,48 tonne en Allemagne, 1,44 au Royaume-Uni et 1,39 en Italie), M. Bernard Laponche a estimé que cette dépendance était lourde de dangers à la fois en termes tant économiques, de durabilité que géopolitiques. Aussi a-t-il estimé que la réaction européenne, qui vise à agir sur la demande d'énergie pour dégager des marges de manoeuvre, ouvre deux pistes intéressantes pour autant qu'elles soient suivies, à savoir :

- l'objectif d'améliorer l'efficacité énergétique de 20 % d'ici à 2020, bien que non contraignant, permettrait à la France d'économiser annuellement 40 Mtep en énergie finale, ce qui représenterait près de la moitié de sa consommation en produits pétroliers ;

- l'objectif de faire passer la production d'énergies renouvelables à 20 % du bouquet énergétique en 2020 autoriserait quant à lui une substitution aux produits pétroliers à hauteur de 32 Mtep par an en énergie finale.

Puis, abordant plus particulièrement le thème de la sécurité électrique M. Bernard Laponche a considéré qu'il devait être examiné sous trois angles :

- le premier, d'ordre interne, concerne la sécurité de la fourniture d'électricité au consommateur : observant que l'adéquation de la fourniture à la demande nécessite, outre une bonne configuration des réseaux de transport et de distribution, leur sécurité, il a rappelé que, depuis vingt ans, toutes les difficultés rencontrées sur le réseau français ont exclusivement résulté de problèmes climatiques, qu'il s'agisse de grands froids, de tempêtes ou de canicules ;

- le deuxième, d'ordre externe, touche à la sécurité de l'approvisionnement électrique, c'est-à-dire à la problématique des importations d'électricité ;

- le troisième, également d'ordre externe pour l'essentiel, relève de la sécurité de la production d'électricité, à savoir les sources d'énergie primaire, leur origine géographique, les techniques utilisées...

A cet égard, il a souligné que l'électricité avait pour spécificités :

- d'être instantanément fournie par le producteur au consommateur, l'absence de possibilité de la stocker interdisant, selon lui, de discuter de l'électricité dans les mêmes termes que des autres énergies, voire de tout autre bien ;

- de connaître d'importantes variations saisonnières et journalières de consommation, exprimées par les notions de « base » et de « pointe », cette seconde contrainte étant au demeurant aggravée par la première ;

- de pouvoir être produite par de nombreuses sources d'énergie et techniques, cette diversité présentant, quant à elle, un très grand avantage, puisqu'elle autorise des choix politiques et économiques.

S'agissant de la consommation finale d'électricité, qui s'est élevée à 419 terawatts heures (TWh) en 2005, M. Bernard Laponche a rappelé que l'industrie n'en représentait que 31 % et souligné que les deux autres secteurs les plus importants étaient le tertiaire (29 %) et surtout le résidentiel (36 %), indiquant à cet égard que leur part ne cessait d'augmenter et que le chauffage domestique consommait à lui seul quatre fois plus que l'ensemble du secteur des transports, limité pour sa part à seulement 3 %. Puis, il a estimé que la balance des échanges d'électricité témoigne, avec 90 TWh d'exportations d'électricité en base et 28 TWh d'importations en pointe en 2006, de la mauvaise adaptation du parc électrique national aux besoins du pays. Il a ainsi relevé qu'à compter des années quatre-vingt, la part du nucléaire n'avait cessé de croître jusqu'à atteindre aujourd'hui près de 80 % de la production brute d'électricité, le solde étant pour l'essentiel constitué par l'hydraulique, les énergies fossiles étant réduites à la portion congrue et les énergies renouvelables encore embryonnaires. Il a considéré que ce déséquilibre, qui résultait d'une surévaluation des anticipations de consommation électrique lors du lancement du programme électronucléaire français (en 1975, on avait estimé que cette consommation atteindrait 1 000 TWh par an en 2000, alors qu'en réalité elle est restée largement inférieure à 500 TWh), surévaluation sur le caractère volontaire de laquelle il ne s'est pas prononcé, suscitait deux types de fragilités pour le système électrique français :

- une insuffisante capacité de production en pointe qui entraînait une grande vulnérabilité aux aléas climatiques (tempêtes, pointes de froid ou canicules) et un recours trop important aux importations, elles-mêmes aléatoires si les pays fournisseurs sont eux-mêmes soumis à des difficultés. Citant un récent article de M. Marcel Boiteux qui dénonce, au regard de la sécurité, l'obligation d'importer de l'électricité de pointe, il a souligné que le modèle électrique français était unique au monde, tous les autres grands pays nucléaires n'ayant recours à cette énergie que dans des proportions bien moindres : 40 % pour la Corée du Sud, 35 % pour le Japon, 25 % pour les Etats-Unis ou 15 % pour la Russie... ;

- une dépendance excessive à une seule énergie et, plus encore, à une seule technique, qui accroît le risque de panne en mode commun et, une centrale nucléaire étant coûteuse en investissement comme en fonctionnement, ne permet pas d'atteindre l'optimum économique, puisqu'elle n'est rentable qu'en production de base.

Suggérant enfin des pistes pour accroître la sécurité de l'approvisionnement électrique, M. Bernard Laponche a préconisé d'agir à la fois sur la demande et sur l'offre. S'agissant de la demande, il a évoqué :

- une amélioration de 20 % de l'efficacité énergétique qui permettrait, au plan global, de déplacer quelque 425 TWh de demande énergétique finale sur le gaz en 2020 ;

- une réduction de la demande vulnérable, en agissant en particulier sur le chauffage électrique, notamment en milieu rural, dont le coût exorbitant est aujourd'hui masqué par la péréquation et qui pourrait être considérablement réduit par le recours à la biomasse et aux réseaux de chaleur.

Quant aux actions sur l'offre, M. Bernard Laponche a cité :

- la substitution entre énergies, par exemple en doublant l'utilisation de l'électricité dans les transports (passage de 12 à 24 TWh), ce qui permettrait d'économiser des énergies fossiles ou de les utiliser pour produire de l'électricité de pointe ;

- le renforcement des capacités nationales de production en pointe afin de satisfaire la demande nationale en diminuant le recours aux importations ;

- la diversification des modes de production afin d'opérer un rééquilibrage du bouquet électrique favorisant les énergies renouvelables, le recours à la cogénération et au cycle combiné au gaz naturel, et la diminution du nucléaire de base à un niveau plus opportun au regard de l'optimum économique, et qui se situe probablement, a-t-il estimé, autour de 50 % du total de la production nationale d'électricité.

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