Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 octobre 2011 : 1ère réunion
Application des lois de financement de la sécurité sociale — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux de rencontrer la nouvelle commission des affaires sociales - l'un des interlocuteurs majeurs de la Cour. Nous procédons à la certification des comptes de la sécurité sociale, au suivi de l'application des lois de financement, ainsi qu'aux enquêtes de l'article 132.1 du code des juridictions financières. Plusieurs enquêtes demandées par vous sont en cours d'achèvement. C'est dans le cadre de cette mission constitutionnelle d'assistance au Gouvernement et au Parlement que je vous présente ce matin nos travaux sur la sécurité sociale. J'ai à mes côtés M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour, M. Jean-Pierre Laboureix, rapporteur général, M. Simon Bertoux, rapporteur général adjoint, ainsi que M. Jean-Marie Bertrand, président de chambre, rapporteur général du comité du rapport public et des programmes.

Le rapport annuel existe depuis 1996. Il est donc devenu un exercice habituel mais aujourd'hui nous traversons une crise particulièrement profonde, dont nous ne sommes pas encore sortis ; dans cette période d'incertitude, il est important de savoir que les comptes sont vérifiés par une institution indépendante, qui en rend compte au Parlement. Ce dernier a confié à la Cour la certification des comptes du régime général, objet du rapport remis en juin dernier sur les comptes 2010, je n'y reviens pas. Mais c'est en s'appuyant sur ces travaux ainsi que sur des vérifications spécifiques que la Cour a rendu les avis qui figurent dans le présent rapport sur la cohérence des tableaux d'équilibre et, pour la première fois, sur le nouveau tableau patrimonial relatif à l'exercice 2010. Vous aurez à approuver ces tableaux dans la discussion du PLFSS pour 2012.

Selon nous, les tableaux d'équilibre, qui prennent la forme de comptes de résultat simplifiés des régimes obligatoires de base, du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), reflètent correctement les résultats de ces régimes et organismes, même si différentes imperfections les affectent encore.

Le tableau patrimonial institué par la loi organique du 13 novembre 2010 est un bilan agrégé des régimes de base, du FSV, du fonds de réserve pour les retraites (FRR) et de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Nous estimons l'image fournie cohérente, sous réserve de diverses observations. Il y a là un progrès considérable pour l'information du Parlement. Ce nouveau tableau, dont la Cour avait suggéré la création en 2007, donne en effet une vue agrégée des actifs et passifs de la sécurité sociale et des organismes qui concourent à son financement et au portage de sa dette. Pour la première fois, une appréciation complète de la dette sociale est possible. Celle-ci s'élevait à 136 milliards d'euros au 31 décembre 2010 : les 86,7 milliards de la Cades et les 49,5 milliards d'endettement à court terme de l'Acoss, constatés en fin d'année. Il montre l'ampleur des enjeux.

Je n'entrerai pas dans le détail des dix-sept chapitres de ce rapport. Je souhaite plutôt vous présenter les quatre grands axes autour desquels s'organisent nos analyses. Notre protection sociale est extrêmement fragilisée. Il faut en priorité maîtriser les dépenses d'assurance maladie. Pour ce faire, les efforts à accomplir doivent être partagés de façon équitable et solidaire. Et la gestion doit encore impérativement connaître des gains de productivité.

Le premier constat de la Cour est celui de l'extrême fragilisation de notre protection sociale, accentuée par la crise économique et financière. Le déficit de 2010 est historique. L'Insee l'a rappelé, ce sont les plus modestes qui sont les plus touchés : 8,2 millions de personnes se situent en 2009 en-dessous du seuil de pauvreté, soit 13,5 % de la population. Mais les prestations sociales au sens large ont amorti le choc. La part des dépenses de santé qui reste à la charge des ménages a légèrement baissé en 2010, à 9,4 %. En cela, notre sécurité sociale a pleinement joué son rôle. Mais elle l'a fait au prix d'une grande fragilisation.

Il y a bien sûr d'abord l'ampleur des déficits. Un record a été atteint en 2010 : à 29,8 milliards d'euros pour les régimes de base et le FSV, le déficit a triplé en deux ans pour représenter 1,5 % du Pib, en raison d'un effet de ciseaux entre l'évolution des recettes assises sur les revenus du travail et un rythme de progression des dépenses entretenu par la crise, mais aussi par des rigidités. Toutes les branches sont touchées, en premier lieu l'assurance maladie et la branche vieillesse. Certaines situations sont très fortement dégradées : le déficit du FSV représente près du quart des charges du fonds, chez les exploitants agricoles le taux est de 14 %. Préoccupante également, la situation de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) accuse un déficit correspondant à 2,9 % de ses charges.

Il y a ensuite la part structurelle : pour le régime général, la crise explique moins de la moitié du déficit global. Le déficit structurel est de 0,7 point de Pib pour 2010. Récurrence et caractère structurel du déficit social sont des spécificités françaises et une réalité vécue depuis trente ans. Ce déficit des comptes sociaux est en soi une anomalie. Aucun de nos grands voisins européens n'accepte un tel déséquilibre de sa protection sociale. Le besoin de financement des administrations sociales français est le plus élevé de la zone euro en 2010.

Nous perdons ainsi des marges de manoeuvre précieuses en cette période de crise. Afin d'amortir la dette sociale et payer la charge d'intérêt, notre pays doit distraire 15 milliards d'euros de ressources pour les affecter à la Cades. Cette dégradation sans précédent des comptes et l'accumulation des déficits entretiennent une spirale dangereuse pour la légitimité et la pérennité même de notre protection sociale. La dette sociale est également une anomalie. Notre pays ne peut durablement financer des prestations par l'emprunt et reporter le financement de sa protection sociale sur les générations suivantes.

Cette dépendance à la dette est le poison de la sécurité sociale ; la dette sociale est une drogue qui fait oublier les réalités et les fragilités structurelles, qui minimise les efforts indispensables de redressement. C'est la raison pour laquelle la Cour met l'accent sur la dette sociale et son financement. Il y a seize ans, la création de la Cades fut conçue comme temporaire, associée à un prélèvement spécifique, à assiette large, et limité dans le temps, avec une date de fin de remboursement proche, 2009. Mais avec l'accumulation des déficits, la Cades a été maintenue jusqu'en 2025 et elle est financée désormais par d'autres ressources que la seule contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Au total le système est devenu déresponsabilisant, d'autant que la faiblesse actuelle des taux d'intérêt réduit la perception du coût de la dette ; pourtant nous avons payé 30 milliards d'euros d'intérêts depuis l'origine.

La dette sociale est financée au prix d'une ingénierie toujours plus sophistiquée ; l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) est devenue une institution de préfinancement de la dette sociale ; la Cades a amorti près de 50 milliards d'euros depuis l'origine avec des ressources pérennes. Les deux sont des organismes connus et reconnus par les marchés, à juste raison. Mais le système a été poussé à sa limite. La reprise de dettes décidée à l'automne 2010 a doublé les montants jusqu'ici transférés. Pourtant, ce transfert qui concerne une décennie de déficits sociaux ne couvre que partiellement les déséquilibres anticipés jusqu'en 2014, en particulier pour l'assurance maladie. Dans son rapport de juin dernier, la Cour a souligné que la trajectoire prévue pour le redressement des comptes sociaux reposait sur des hypothèses favorables. En l'absence de nouvelles mesures de redressement, les risques pesant sur les branches maladie, retraite et famille rendront indispensable à l'horizon 2020 un important transfert de dettes à la Cades.

D'ores et déjà, le PLFSS pour 2012 prévoit un nouveau transfert : celui des 2,5 milliards de déficits cumulés en 2009 et 2010 du régime de retraite des exploitants agricoles. Ce transfert est inattendu : jusqu'à présent, ces déficits étaient repris par l'Etat au titre de la solidarité nationale. Il y a là une novation. La Cades portait jusqu'ici la dette du seul régime général ; or, sa mission est élargie à un autre régime, structurellement déficitaire. Malgré l'apport de 400 millions d'euros de recettes supplémentaires, le régime agricole demeurera en 2012 fortement déséquilibré ; la Cades devra reprendre en fin d'exercice 800 millions d'euros.

La Cour attire votre attention sur la récurrence des déficits du régime de retraite des exploitants agricoles, du FSV, de la CNRACL. Des réponses structurelles s'imposent, plutôt qu'une nouvelle dilatation du dispositif de financement qui revient à différer encore les ajustements.

Les comptes de la sécurité sociale sont pour 2011 en légère amélioration par rapport aux prévisions de juin dernier, grâce à la bonne tenue des cotisations sociales. Certes, le Parlement vient aussi d'adopter une loi de finances rectificative qui comporte des recettes supplémentaires pour la sécurité sociale, 6,3 milliards d'euros en 2012. Elles seront utiles pour respecter la trajectoire de réduction des déficits publics.

Cependant, les perspectives de l'économie française sont moins favorables désormais, la prévision de croissance pour 2011 et 2012 a été revue en baisse de trois quarts de point. La note de conjoncture la plus récente de l'Insee laisse à penser que l'économie française pourrait entrer dans l'année 2012 avec un acquis de croissance quasi nul. La spirale de la dette sociale va donc se poursuivre. Tant que les déficits sociaux dépasseront la capacité d'amortissement de la Cades, la dette sociale continuera d'augmenter. Les déficits pour 2012 du régime général et du FSV entretiennent ce gonflement.

Revenir à l'équilibre des comptes sociaux est un impératif. Il faut accélérer le redressement et rétablir un lien fort entre le déficit d'une année et les ressources supplémentaires affectées à la Cades lors des transferts. La Cour propose d'instituer un transfert automatique à la Cades, à chaque fin d'année, de la part d'endettement de l'Acoss correspondant au déficit du régime général et du FSV, en privilégiant une hausse de la CRDS.

Un emballement de la dette sociale doit être évité à tout prix dans la conjoncture actuelle, d'autant que le risque de remontée des taux d'intérêt existe. Il faut assurer un meilleur pilotage par le solde, intensifier les efforts de redressement, accompagner les reprises de dettes des réformes structurelles nécessaires, infléchir la dépense avant d'envisager des prélèvements supplémentaires car les prélèvements obligatoires sont déjà élevés.

La sécurité sociale est un trésor plus fragile que jamais : préserver cet inappréciable acquis, issu de l'élan porté par le Conseil national de la résistance, suppose des choix collectifs forts.

L'effort de redressement doit porter par priorité sur la maîtrise des dépenses d'assurance maladie. Les réformes successives et indispensables des retraites ont relégué au second plan les déficits répétés de l'assurance maladie ; le régime n'a pas connu l'équilibre depuis près d'un quart de siècle ! L'évolution tendancielle des dépenses d'assurance maladie dépasse chaque année 4 %. Certes, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été respecté en 2010, pour la deuxième fois seulement depuis son institution en 1996. Ce résultat est dû à un pilotage plus fin et plus ferme de la dépense mais aussi à des facteurs circonstanciels favorables. Pour 2011, le comité d'alerte estime que l'objectif ne sera pas dépassé. La mise en réserve de 545 millions d'euros de crédits et 2,2 milliards d'économies faciliteront le respect de l'Ondam 2012, pourtant resserré. Toutefois, il convient de mobiliser sans relâche toutes les marges d'efficience.

La maîtrise des dépenses de médicament est un enjeu considérable. La dépense est plus élevée en France qu'ailleurs, l'OCDE le dit, et le ralentissement récent ne suffit pas à résorber les écarts historiques. Nous consommons huit fois plus de tranquillisants que les Allemands, six fois plus que les Anglais. Notre dépense pharmaceutique par habitant s'élève à 114 euros par habitant contre 70 euros en Allemagne ou 71 aux Pays-Bas. La dépense de médicament à l'hôpital continue de progresser à un rythme soutenu, deux fois plus rapidement qu'en ville. Les prix des médicaments récents ne sont plus fixés à des niveaux inférieurs à ceux de nos voisins européens. Et la prescription en France a la particularité de se porter vers les médicaments nouveaux et chers... Le système d'admission au remboursement et la fixation des prix ne sont pas suffisamment rigoureux et transparents. Les multiples dispositifs de régulation de la dépense connaissent des faiblesses persistantes.

Il en va ainsi des génériques : après dix années d'efforts, notre pays n'a pas rattrapé son retard. La proportion des génériques dans la consommation reste plus de trois fois inférieure au niveau de nos voisins allemands et anglais. Leur pénétration s'essouffle et leur diffusion recule parfois. Pour les inhibiteurs de la pompe à protons, utilisés dans le traitement des ulcères, le taux de génériques passe de 71 % en 2006 à 63 % en 2009. Le recul est de treize points pour les statines ! Les stratégies de « contre génériques » suivies par certains laboratoires et l'absence de généralisation de tarifs forfaitaires de responsabilité expliquent cette évolution.

Le Gouvernement propose des baisses de prix de médicaments et diverses mesures portant sur ces produits, pour un total de 100 millions d'euros. Toutefois, il faut une refonte d'ensemble de la politique suivie depuis vingt ans. Il faut poser des règles claires pour l'admission au remboursement et pour la fixation des prix, et réguler plus fermement la prescription à l'hôpital. Lorsqu'il est possible de prescrire de l'aspirine ou du Plavix, vingt-quatre fois plus cher, en France on prescrit le Plavix deux fois plus souvent qu'en Allemagne, trois fois plus qu'au Royaume-Uni, quatre fois plus qu'en Italie.

L'optimisation des dépenses passe au premier chef par les professions de santé. L'évolution démographique, la répartition territoriale constituent des enjeux majeurs. Il n'y a jamais eu autant de médecins en France, jamais la densité médicale n'a été aussi élevée et le nombre de médecins, après un creux, augmentera de nouveau fortement à compter de 2020. Mais cette dynamique ne résoudra ni les problèmes de répartition entre généralistes et spécialistes, ni l'inégalité territoriale. Une baisse du numerus clausus et une régulation plus fine des flux de formation seraient souhaitables pour éviter une surmédicalisation à long terme, qui pèserait sur l'assurance maladie.

Les inégalités de répartition territoriale exigent des mesures fortes car les incitations ont revêtu jusqu'à présent un caractère plutôt symbolique. Certaines aides ont donné lieu à des effets d'aubaine importants. Ainsi la majoration de 20 % de la rémunération en zone déficitaire a représenté en moyenne 27 000 euros de prime, parfois jusqu'à 100 000 euros, pour un apport net d'une cinquantaine de médecins seulement. En outre, la définition des zones déficitaires étant obsolète, ces aides ont pu être attribuées à des médecins exerçant dans des zones qui n'étaient plus sous-dotées. La Cour propose donc d'introduire une modulation généralisée des cotisations des praticiens en fonction de leur lieu d'installation.

De même, le nombre de sages-femmes a presque doublé depuis 1990 et une meilleure complémentarité avec les gynécologues obstétriciens valoriserait les compétences respectives des uns et des autres ; l'assurance maladie en tirerait bénéfice.

La recomposition de l'offre de soins doit porter principalement sur l'hôpital qui représente plus de 72 milliards d'euros de dépenses d'assurance maladie et dont les marges de progrès sont considérables. De la tarification à l'activité (T2A), la Cour dresse un bilan en demi-teinte. Les établissements ne sont guère incités à se mobiliser. Les restructurations, bien qu'indispensables, sont freinées. D'autant qu'un alignement total des tarifs entre hôpitaux publics et cliniques privées entraînerait mécaniquement pour le secteur public une perte de recettes annuelle supérieure à 7 milliards d'euros. Des arbitrages majeurs sont donc à prendre pour respecter l'échéance de 2018 en matière de convergence.

Les centres hospitaliers universitaires (CHU), les « vaisseaux amiraux » de l'hospitalisation publique, devraient être incités à intensifier leurs efforts de réorganisation interne. Leurs spécificités se révèlent beaucoup plus limitées qu'attendu et leur rôle de référence en réalité limité. Le deuxième CHU de France, les Hospices civils de Lyon, a pour première source de financement l'activité d'accouchement. Les performances en matière de recherche médicale sont inégales. Au nom de leurs spécificités, ils ont pourtant reçu d'importantes dotations et des aides contractuelles, grâce auxquelles ils ont différé l'effort. Une enquête menée sur cinq CHU nous a montré que la maîtrise engagée de la masse salariale ne s'accompagne pas encore de réorganisations en profondeur.

Les coopérations hospitalières ont fait l'objet d'une enquête de terrain, conduite par la Cour et les chambres régionales des comptes. L'outil est utilisé parfois abondamment : l'hôpital de Châteauroux a signé 188 conventions sur des sujets aussi divers que l'accès aux équipements lourds, la mise à disposition de médecins spécialistes ou l'organisation des gardes médicales. Comme l'illustre le pôle public-privé de Saint-Tropez, le risque d'un déséquilibre au détriment du centre hospitalier public existe, car ces coopérations confortent des situations fragiles plus qu'elles ne contribuent à la recomposition de l'offre de soins. Un premier bilan de la loi HPST le montre bien. L'outil des communautés hospitalières de territoires s'est peu développé : Rhône-Alpes n'en compte que deux. Un pilotage plus affirmé, notamment par les agences régionales de santé (ARS), est indispensable.

Notre troisième recommandation concerne un partage équitable et solidaire des efforts. Les modalités de prise en charge à 100 % par l'assurance maladie obligatoire sont de plus en plus complexes et illisibles. Même le mécanisme des affections de longue durée (ALD), qui couvre près de dix millions de personnes en 2009, ne fait pas l'objet d'un suivi financier en continu. Il a fallu une étude spécifique de la Cnam, réalisée à la demande de la Cour, pour évaluer enfin la charge que représentent les exonérations de ticket modérateur pour les soins de ville - de l'ordre de 10 milliards d'euros, dont 8 pour les ALD. Mais aucune estimation n'existe pour les soins hospitaliers. Des questions d'équité entre assurés se posent. Certains ne renonceront-ils pas à des soins ? Une remise à plat s'impose tout en préservant la solidarité.

Une même exigence d'équité et de solidarité doit régner pour ce qui concerne l'accès à la protection complémentaire. Dans le prolongement de ses travaux sur les « niches sociales », la Cour s'est intéressée aux aides à la couverture maladie complémentaire et à l'épargne retraite. Les exonérations de charges sociales et les dépenses fiscales atteignent respectivement 6 et 2 milliards d'euros. La Cour a relevé des effets d'aubaine ; or les catégories aux revenus peu élevés bénéficient peu de ces dispositifs. L'incitation à la couverture maladie complémentaire consiste en une exonération de cotisations sociales : mais celle-ci ne concerne que les contrats collectifs qui s'adressent, en moyenne, à un public plus favorisé que les contrats individuels. Il faut réorienter le mécanisme vers ceux qui en ont le plus besoin et mettre fin aux effets de seuil.

La gestion du système doit devenir plus productive. Même s'ils ne représentent que 3 % des dépenses totales, les coûts de gestion administrative du régime général représentent un fort enjeu. La modernisation des procédures et l'importance des départs en retraite ont réduit les effectifs et suscité des gains de productivité réels, mais variables et peu ambitieux. Les marges de progrès restent considérables, je songe à la dématérialisation totale des feuilles de soins papier et des prescriptions pharmaceutiques qui accompagnent les feuilles de soins. Ces gisements de productivité doivent être exploités rapidement, systématiquement. Une réduction de 10 % des dépenses de gestion représenterait une économie d'un milliard d'euros et pourrait être fixée comme objectif pour la période des conventions d'objectifs et de gestion en cours et la suivante.

Cela ne vaut pas seulement pour le régime général. La restructuration du réseau de la mutualité sociale agricole reste également à parfaire. Pour autant, la situation démographique et financière des régimes agricoles impose d'envisager un rapprochement par étapes avec le régime général.

La simplification réglementaire suscitera également des gains de productivité importants. Devenue majoritairement un opérateur pour le compte de l'Etat et des départements, la branche famille est confrontée à la grande complexité des aides. Leur simplification conditionne la meilleure maîtrise des coûts de gestion. Les sommes correspondantes doivent être facturées « au réel » aux donneurs d'ordre sur la base d'une comptabilité analytique.

En conclusion, la Cour ne sous-estime nullement les efforts réalisés, qui produisent indéniablement des effets dans de nombreux domaines. Mais les déficits sociaux persistants menacent notre système de protection sociale, si précieux en période de crise économique. Sa préservation constitue ainsi une priorité fondamentale. Il est temps de mettre fin à un déficit injustifiable, notamment en matière d'assurance maladie. Le retour à l'équilibre doit être programmé à terme rapproché. La trajectoire de redressement des comptes doit s'intensifier grâce à une programmation rigoureuse et fiable.

La Cour ne préconise pas une baisse des dépenses sociales mais une modération de leur croissance. Cela est possible si tous les acteurs du système se mobilisent pour plus d'efficience et si les efforts sont partagés et solidaires. L'efficacité ne s'oppose pas à l'équité. Seule l'intensification de cet effort collectif justifie la mobilisation de ressources supplémentaires. La Cour préconise une limitation des niches sociales qu'elle évalue à 70 milliards d'euros. La réduction rapide des déficits sociaux et le retour à un équilibre durable qui épargne les générations à venir supposent une réforme multiple, continue, de grande ampleur, bref une action à la hauteur des enjeux.

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