L'AAH constitue une dépense très dynamique, dont la croissance est soutenue. Elle est passée de 4,4 milliards d'euros en 2002 à près de 6,6 milliards cette année et elle pourrait dépasser 7 milliards l'année prochaine. Le nombre de bénéficiaires ne cesse d'augmenter, passant de près de 690 000 en 1998 à environ 885 000 en 2010 et, probablement, plus de 900 000 en 2011. La même tendance s'observe pour le montant moyen versé. D'un peu plus de 490 euros en 2002, il devrait atteindre 625 euros en 2010, en raison, pour partie, de la revalorisation de l'AAH de 25 % d'ici à 2012.
L'évolution de cette dépense n'est pas toujours correctement traduite dans les prévisions budgétaires initiales et, depuis 2006, l'écart croît de façon exponentielle entre la prévision et l'exécution : de 42 millions d'euros en 2006, il devrait atteindre plus de 400 millions en 2010. Il semblerait néanmoins que la prévision inscrite dans le projet de loi de finances pour 2011 soit un peu plus sincère. Peut-être allons-nous abandonner cette « politique de l'autruche » qui consiste à occulter le dynamisme de la prestation, et donc à sous-budgétiser l'AAH.
Car, au-delà même du principe de sincérité budgétaire, sans lequel l'autorisation parlementaire n'a pas de sens, la sous-évaluation de l'AAH a directement pesé sur les comptes de la sécurité sociale. L'AAH est en effet servie par les caisses d'allocations familiales (CAF). Les crédits votés en loi de finances leur sont donc transférés. S'ils sont insuffisants - et c'est le cas chaque année - la sécurité sociale devient créancière de l'État. Pendant plusieurs années, celui-ci a laissé perdurer cette situation. En 2007, un versement exceptionnel d'environ 100 millions d'euros a apuré les dettes contractées au titre de l'AAH. Depuis, les lois de finances rectificatives de fin d'année ont toujours permis de régulariser la situation de l'État.
Il n'en demeure pas moins que, en cours d'année, la sécurité sociale supporte malgré tout la charge de trésorerie liée à cette sous-budgétisation. Le découvert de trésorerie de l'ensemble des régimes de sécurité sociale devrait dépasser, en 2010, 50 milliards d'euros. Il est donc très regrettable que l'État l'alimente, même de manière infime, alors qu'une programmation prudente de la dépense d'AAH permettrait de l'éviter.
Les déterminants de la dépense d'AAH sont nombreux et guère faciles à appréhender ou, plus exactement, il apparaît délicat de les pondérer les uns par rapport aux autres. Je vais en premier lieu distinguer les effets conjoncturels des effets structurels.
Deux effets conjoncturels se conjuguent et peuvent expliquer une partie de la forte progression récente de la dépense : il s'agit, d'une part, de la revalorisation de l'AAH, d'autre part, de la crise économique. La revalorisation emporte d'abord, très logiquement, un effet-prix puisqu'elle conduit mécaniquement à verser un montant moyen plus élevé aux bénéficiaires. C'est d'ailleurs sa finalité. Mais, de manière plus subtile, elle emporte également un effet-volume. En effet, l'AAH est attribuée à la condition que les ressources de la personne handicapée ne dépassent pas un certain plafond. Celui-ci est calculé en fonction du montant maximal de l'AAH - qui fait l'objet d'une revalorisation. En conséquence, la progression du montant d'AAH, et donc du plafond, est beaucoup plus rapide que celle des salaires. Il en résulte qu'un certain nombre de personnes handicapées, qui n'étaient pas éligibles à la prestation car leurs ressources étaient supérieures au plafond, peuvent désormais entrer dans le dispositif. Avec la crise, cet effet-volume est bien évidemment renforcé puisque, en moyenne, les ressources des ménages diminuent.
Voilà pour les effets conjoncturels. Seule la démographie constitue un effet réellement structurant dans l'évolution de l'AAH. En effet, la probabilité de percevoir l'AAH augmente jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans, puis se stabilise. Concrètement, cela signifie que la part des « accidentés de la vie » est plus importante que celle des « handicapés de naissance » au sein des allocataires. Or il se trouve que la génération des quarante-six - cinquante-neuf ans est également la plus nombreuse dans l'ensemble de la population française. Ainsi, la concordance de la dynamique démographique propre à l'AAH et de celle de la population française conduit logiquement à augmenter le nombre de bénéficiaires. A l'inverse, au cours des prochaines années, l'arrivée à l'âge de la retraite des bénéficiaires de l'AAH devrait diminuer leur nombre.
Est-il possible de prévoir de manière plus fiable et plus juste la dépense de cette prestation sociale ? En première analyse, il semblerait que non. La conjonction des effets structurels ou conjoncturels, qui peuvent jouer autant à la hausse qu'à la baisse, devrait imposer la plus grande prudence dans l'élaboration des prévisions. Pourtant, il apparaît nettement que la tendance générale de progression de la dépense d'AAH est parfaitement linéaire. L'exercice 2008, première année de revalorisation de l'AAH, marque une inflexion mais la même linéarité semble devoir être observée.
Vos rapporteurs souhaitent, par conséquent, que le montant des crédits inscrits dans le projet de loi de finances corresponde, au minimum, à la tendance moyenne de progression de la dépense observée au cours des cinq dernières années. Sur cette base, la dotation de l'AAH, pour 2011, serait sous-budgétisée d'au moins 100 millions d'euros.
De même, nous proposons que le calcul a priori de la dépense d'AAH ne prenne pas en compte les mesures d'économies escomptées qui, lors des années précédentes, ne se sont pas réalisées. De surcroît, la méthode retenue pour les calculer n'apparaît pas assez fiable. Il serait donc plus juste de ne les constater qu'a posteriori...