Intervention de S.E. M. Muhamedin Kullashi

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 mai 2011 : 1ère réunion
Audition de s.e. M. Muhamedin Kullashi ambassadeur du kosovo en france

S.E. M. Muhamedin Kullashi, ambassadeur du Kosovo en France :

Je vous remercie de votre invitation et je suis très honoré de pouvoir m'exprimer devant votre commission. Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous présenter brièvement l'évolution de la situation politique au Kosovo.

Cela fait maintenant un peu plus de trois ans, le 17 février 2008, que le Kosovo a proclamé son indépendance. Je voudrais, à cet égard, rendre hommage au rôle très important joué par la France, tant en ce qui concerne la résolution des conflits dans l'ex-Yougoslavie, en Croatie, en Bosnie-Herzégovine puis au Kosovo, que son engagement au Kosovo, avant, pendant et après l'intervention de l'OTAN en juin 1999, aux côtés de ses alliés, pour mettre un terme aux exactions commises à l'encontre des populations civiles. La classe politique et la population du Kosovo gardent en mémoire le soutien apporté par la France et sont reconnaissantes, non seulement aux militaires français, mais plus généralement à l'ensemble des Français.

Au moment où l'on s'interroge sur la capacité des pays occidentaux à mettre un terme à des conflits, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient ou en Afrique, il me paraît important de rappeler que, grâce à l'engagement de la France, des Etats-Unis et des autres pays de l'Union européenne, il a été possible de mettre un terme aux conflits meurtriers dans les Balkans occidentaux et aux exactions commises à l'encontre des populations civiles et d'entamer un travail de reconstruction d'un pays dévasté par la guerre. Je tiens à cet égard à saluer le travail effectué par le français Bernard Kouchner, qui a été, de 1999 à 2001, le premier représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies au Kosovo, et qui a eu la lourde tâche de mener à bien la reconstruction du pays et l'organisation des premières élections libres au Kosovo.

Un important travail de reconstruction des institutions politiques, des hôpitaux, des écoles, des médias, a été mené au Kosovo depuis 1999, grâce à la mission intérimaire des Nations unies au Kosovo, puis avec la plus importante mission civile de l'Union européenne, Eulex, qui assiste les autorités kosovares dans les domaines de la justice, de la police et des douanes.

À la suite des élections législatives anticipées du 12 décembre 2010, un nouveau gouvernement a été formé, grâce à la coalition entre le parti démocratique du Kosovo (PDK) et l'Alliance pour le Nouveau Kosovo (AKR), sous la direction du Premier ministre M. Hashim Thaçi, avec notamment un nouveau ministre des affaires étrangères et la désignation d'un ministre chargé de l'intégration européenne.

Puis, à la suite de l'invalidation, le 28 mars dernier, par la Cour constitutionnelle de l'élection par l'assemblée de M. Behgjet Pacolli, une nouvelle présidente de la République a été élue le 7 avril 2011, Mme Atifete Jahjaga. En effet, l'élection de M. Behgjet Pacolli a été invalidée par la Cour constitutionnelle au motif que le quorum des deux-tiers des députés présents n'avait pas été atteint au sein de l'assemblée, plusieurs députés ayant refusé de participer à cette élection et quitté l'hémicycle au moment du vote. L'élection de Mme Atifete Jahjaga a recueilli un large consensus au sein des partis politiques.

Le Kosovo dispose aujourd'hui d'une vingtaine d'ambassades à travers le monde, principalement situées dans les pays de l'Union européenne.

Après une longue période d'isolement imposé, le Kosovo souhaite établir des liens politiques et économiques avec d'autres pays, et en particulier avec l'Union européenne.

Comme vous le savez, la perspective européenne de tous les pays des Balkans occidentaux a été affirmée depuis déjà plusieurs années par l'Union européenne et la Commission européenne publie chaque année, depuis trois ans, un rapport de suivi très détaillé sur le Kosovo.

Le dernier rapport de la Commission européenne souligne les progrès réalisés par le Kosovo dans de nombreux domaines, notamment en matière politique, économique ou de réforme de la législation, de l'administration publique, ou de la décentralisation, tout en critiquant l'absence de progrès sur certains points.

Je tiens à souligner que, tant les autorités, que la population du Kosovo, accueillent très favorablement les observations de la Commission européenne, qui ne sont pas considérées comme des critiques, mais sont appréhendées de manière constructive comme des encouragements utiles à procéder à des réformes et prises en compte avec la plus grande attention.

On peut d'ailleurs observer que le Kosovo est le pays des Balkans occidentaux où l'adhésion à l'Union européenne soulève le plus d'opinions favorables au sein de la population, avec 87 % d'opinions favorables.

Dans le même temps, l'adhésion à l'Union européenne n'est pas perçue comme un « remède miracle » aux difficultés économiques et ne suscite pas de faux espoirs au sein de la population. Le rapprochement avec l'Union européenne est considéré par la population comme le meilleur moyen de procéder à des réformes politiques, de manière à mettre en place des institutions démocratiques et stables et les conditions de l'Etat de droit.

Pour les pays des Balkans occidentaux, qui ont été marqué par des conflits meurtriers dans le passé, l'adhésion à l'Union européenne est également un facteur très important de réconciliation régionale et de règlement des différends entre les différents pays avec leurs voisins.

Depuis la proclamation de l'indépendance, le 17 février 2008, le Kosovo a été reconnu par soixante-quinze Etats, dont vingt-deux pays de l'Union européenne, comme la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, ainsi que par la plupart des pays des Balkans occidentaux et par les Etats-Unis. Le Kosovo est aussi représenté au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. Même en l'absence de reconnaissance de son indépendance, le Kosovo entretient de bonnes relations avec d'autres pays, comme la Grèce, et place beaucoup d'attentes dans le dialogue avec Belgrade.

La décision rendue le 22 juillet 2010 par la Cour internationale de justice sur la conformité au droit international de la déclaration d'indépendance du Kosovo a été un évènement très important.

Cela d'autant plus que la Cour internationale de justice avait été saisie par l'Assemblée générale des Nations unies à la demande de la Serbie, qui contestait la légalité de cette indépendance.

Dans le cadre de cette procédure, qui a duré deux ans, pas moins de trente six pays ont participé à ce débat et la Cour internationale de justice a rendu un avis très circonstancié, de quarante pages, qui confirme très clairement la conformité au droit international, non seulement de la déclaration d'indépendance du Kosovo de février 2008, mais aussi de l'ensemble du processus ayant conduit à cette indépendance depuis 1999, qui s'est déroulé sous l'égide de l'Organisation des Nations unies.

Cette décision souligne notamment le caractère spécifique, sui generis, de l'indépendance du Kosovo, à l'issue d'un long processus.

A cet égard, il me paraît important de rappeler que l'indépendance du Kosovo ne résulte pas d'une décision isolée et unilatérale, mais qu'elle s'inscrit dans le cadre du processus de décomposition de l'ex-Yougoslavie, au même titre que l'indépendance de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Macédoine ou du Monténégro.

Nous espérons que cette décision, prise par la plus haute juridiction des Nations unies, sera un encouragement pour les Etats qui ne l'ont pas encore fait à reconnaître l'indépendance du Kosovo.

Je pense en particulier aux cinq pays membres de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance, ce qui soulève parfois des difficultés sur le terrain pour le travail de la mission Eulex de l'Union européenne.

Certes, la reconnaissance de l'indépendance d'un pays est une décision souveraine de chaque pays. Toutefois, ces cinq pays sont membres de l'Union européenne, il me semble qu'il s'agit là d'un aspect important de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne.

Nous avons donc l'espoir que les cinq pays de l'Union européenne qui n'ont pas encore reconnu notre indépendance le fassent prochainement, car cela permettrait d'améliorer le travail de la mission Eulex, mais aussi de favoriser le rapprochement du Kosovo avec l'Union européenne.

Peu après la décision de la Cour de justice, une résolution proposée conjointement par l'Union européenne et la Serbie a été adoptée le 9 septembre 2010 par l'assemblée générale des Nations unies par consensus. Cette résolution a pris acte du contenu de l'avis de la Cour internationale de justice et a lancé un dialogue entre le Kosovo et la Serbie.

Ce dialogue a débuté le 8 mars 2011 à Bruxelles, sous l'égide de l'Union européenne. Deux réunions ont été organisées au mois de mars et les premiers thèmes abordés ont porté sur des questions techniques comme l'état-civil, le cadastre, les douanes, l'électricité, les télécommunications, etc. Ces discussions, qui ne sont pas des négociations sur le statut comme le souhaitait la Serbie, devraient permettre de régler un certain nombre de difficultés rencontrées par les citoyens dans leur vie quotidienne, concernant par exemple les documents d'état-civil ou les cadastres, dont une partie a été transférée à Belgrade.

Le Kosovo place beaucoup d'attentes dans ce dialogue et espère qu'il permettra de dépasser les querelles du passé, même s'il ne s'agit pas d'aborder la question du statut, qui est réglée par l'indépendance du Kosovo ou d'évoquer l'idée d'une modification des frontières, mais d'avoir une approche plus modeste, centrée sur les questions qui intéressent la vie quotidienne des citoyens.

Certaines déclarations de responsables politiques serbes, au plus haut niveau, ont toutefois soulevé des inquiétudes au Kosovo. Je pense en particulier aux déclarations du principal négociateur serbe sur une éventuelle partition du Nord du Kosovo ou encore à une récente déclaration du Président serbe, dans laquelle celui-ci évoque l'idée d'une négociation avec l'Albanie sur une modification des frontières entre le Kosovo et la Serbie en se référant au conflit historique entre Serbes et Albanais.

De telles déclarations, qui renvoient au passé, sont dangereuses car elles risquent de provoquer de nouvelles tensions dans toute la région des Balkans occidentaux.

Lors de la décomposition de l'ex-Yougoslavie, la communauté internationale a veillé à ne pas modifier les frontières, telles qu'elles étaient définies dans la Constitution de 1974 de la Fédération yougoslave, et cela est valable pour le Kosovo, comme pour les autres Etats de l'ex-Yougoslavie, comme la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine ou le Monténégro.

Par ailleurs, l'hypothèse d'une partition du Nord du Kosovo, évoquée par le Président de la République serbe, aurait des répercussions négatives sur toute la région des Balkans occidentaux, en particulier en Macédoine, où un tiers de la population est d'origine albanaise, au Monténégro, en Croatie ou en Bosnie-Herzégovine.

La région des Balkans occidentaux risquerait donc de se trouver à nouveau confrontée à des tensions, voire aux conflits meurtriers des années 1990.

Au lieu de chercher à revenir sur le passé et vouloir modifier le tracé des frontières, il me semble qu'il serait plus raisonnable d'oeuvrer à établir des bonnes relations entre la Serbie et le Kosovo et à renforcer la coopération régionale dans la région.

Nous espérons ainsi que, grâce au soutien de l'Union européenne et au dialogue avec Belgrade, la Serbie cessera de conditionner sa participation aux différentes instances de coopération régionale ou internationales à l'exclusion de la participation du Kosovo, ce qui n'est pas de nature à renforcer la coopération régionale, qui est une priorité de l'Union européenne.

Je demeure optimiste car de nombreuses voix en Serbie, comme celle de l'ancien ministre des affaires étrangères, s'expriment en faveur de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo et de l'établissement de bonnes relations entre nos deux pays. L'avenir du Kosovo comme de la Serbie se trouve, en effet, dans l'Union européenne.

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