Intervention de Jean-René Lecerf

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 mai 2011 : 1ère réunion
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur :

Ce texte recouvre trois réformes d'ampleur qui auraient peut-être justifié autant de projets de loi distincts : participation de citoyens au jugement des délits et aux décisions concernant l'application des peines, création d'une nouvelle formation de la cour d'assises, modification de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Il faut pourtant relativiser la portée des transformations proposées : les dispositions relatives à la participation des citoyens assesseurs aux juridictions pénales feront l'objet d'une expérimentation jusqu'au 1er janvier 2014, à l'issue de laquelle le législateur se prononcera sur leur généralisation. Les délais d'examen de ce texte étant très contraints, je serai peut-être appelé à vous proposer d'autres amendements lors de la réunion consacrée aux amendements extérieurs.

Avant d'examiner le projet de loi, précisons qu'une plus grande participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale n'a pas pour enjeu une justice plus sévère. Depuis dix ans, le quantum des peines prononcées aux assises est stable tandis que celui des peines correctionnelles, décidées par des magistrats professionnels seuls, ne cesse d'augmenter. Le but est d'encourager, souligne l'exposé des motifs du projet de loi, l'appropriation par les citoyens des décisions de justice au nom des « exigences de cohésion sociale et du respect du pacte républicain ».

Premier volet du texte, l'association des citoyens à la justice pénale. Ce principe, qui s'est affirmé en France sous la Révolution, se rattache à deux modèles.

Tout d'abord, celui du juré, tiré au sort, qui remplit une mission brève mais intense et dispose d'un pouvoir décisionnel autonome. Ensuite, celui de l'échevin, qui se porte candidat par sa compétence particulière en un domaine et intervient de manière ponctuelle mais durable. S'agissant du premier, la loi du 28 juillet 1978 a parachevé la démocratisation du jury d'assises en posant le principe d'un tirage au sort à tous les stades du recrutement en partant des listes électorales. La présomption d'infaillibilité du jury, émanation du peuple souverain, a longtemps justifié l'absence d'un second degré de juridiction pour les crimes. Après l'échec du texte de M. Jacques Toubon en 1996 en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997, il a fallu attendre la loi du 15 juin 2000 pour que ce projet aboutisse à l'initiative de votre commission. Depuis, l'existence d'une cour d'assises d'appel, composée de douze jurés au lieu de neuf, a démontré son utilité ; je vous renvoie à l'affaire d'Outreau.

Le modèle de l'échevin, qui repose sur la sélection des candidatures, s'incarne dans l'assesseur du tribunal pour enfants et du tribunal correctionnel de la Nouvelle Calédonie, dans le juge de proximité -nous avons fort à faire pour le défendre ces temps-ci-, ou encore dans la participation de deux représentants de la société civile à la formation élargie de la chambre d'application des peines.

La participation des citoyens à la justice pénale, objet de controverses, est parfois contournée. Je pense à l'instauration de cours d'assises sans jury pour les infractions militaires et celles en matière de sûreté de l'État, de terrorisme et de trafic de stupéfiants et, surtout, à la correctionnalisation des affaires criminelles -ce phénomène concernerait près de la moitié des crimes, voire les deux tiers d'entre eux.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que « la proportion de juges non professionnels doit rester minoritaire » dans les formations correctionnelles de droit commun. Cette réserve d'interprétation ne vaut pas pour les cours d'assises dont la composition répond à une double exigence d'indépendance et de capacité, garanties par le tirage au sort et les conditions d'aptitude, et renforcées par le système de récusation. En outre, note-t-on dans l'étude d'impact, l'ancienneté de la cour d'assises et le lien étroit entre le juré et l'expression de la souveraineté populaire pourrait conduire à voir dans l'institution du jury un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Le projet de loi vise, d'une part, à mieux représenter les citoyens dans les tribunaux correctionnels et les juridictions de l'application des peines, d'autre part, à créer une formation allégée de la cour d'assises pour simplifier l'organisation de la justice. Ce double objectif s'appuie sur la création de la nouvelle catégorie du citoyen assesseur, qui se situe entre le juré des cours d'assises et le juge de proximité. De fait, son mode de désignation combine le tirage au sort et une sélection fondée sur certains critères d'aptitude et d'impartialité. L'inscription sur la liste annuelle des citoyens assesseurs résulte d'un choix en fonction de plusieurs critères : satisfaire les conditions requises pour être juré, mais aussi présenter des garanties d'impartialité et de moralité. Comment évaluer ces critères ? Les citoyens tirés au sort sur les listes préparatoires recevront un questionnaire -celui-ci peut se révéler intrusif. La commission départementale pourra procéder ou faire procéder à l'audition des personnes qui n'auraient pas répondu ou auraient répondu de manière incomplète à ce questionnaire. Enfin, la commission, pour inscrire une personne sur la liste annuelle, devra procéder à une enquête relative à la moralité et l'impartialité de l'intéressé.

Le projet de loi conduit ainsi à créer pas moins de six nouvelles formations de jugement, dont une pour le jugement des mineurs que j'évoquerai à la fin de l'exposé. Tout d'abord, deux formations en matière correctionnelle composées de trois magistrats professionnels et deux citoyens assesseurs : « le tribunal correctionnel citoyen », si je puis m'exprimer ainsi, compétent pour juger des faits de violence contre les personnes punies de cinq, sept ou dix ans d'emprisonnement, relevant actuellement du tribunal correctionnel collégial, et la chambre des appels pour statuer sur l'appel formé contre une décision rendue par ce tribunal correctionnel citoyen. Ensuite, une nouvelle formation de la cour d'assises au premier degré, composée elle aussi de trois magistrats et de deux citoyens assesseurs, dotée d'une compétence de principe pour les crimes passibles de quinze et vingt ans de réclusion criminelle, commis en l'absence de récidive. Le procureur de la République ou l'accusé -non la partie civile- pourra toujours demander le jugement par une cour d'assises composée d'un jury. De surcroît, le texte modifie la procédure devant la cour d'assises, quelle que soit sa formation, sur deux points : la suppression de la lecture par le greffier de la décision de renvoi, qui pouvait durer plusieurs jours, au bénéfice d'un exposé du président, et la motivation des décisions criminelles. En bref, nous aurons une cour d'assises « light », où siégeront deux citoyens assesseurs, et une cour d'assises « hard », où les jurés seront majoritaires. Deux nouvelles formations sont également prévues pour l'application des peines : le tribunal de l'application des peines comprendra deux citoyens assesseurs lorsqu'il se prononce sur le relèvement de la période de sûreté ainsi que sur les libérations conditionnelles -il aura compétence sur les décisions impliquant des personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à cinq ans-, de même que la chambre de l'application des peines -à la place de deux représentants des associations aujourd'hui- lorsqu'elle statue sur les décisions de ce tribunal.

La mise en oeuvre globale de la réforme à partir du 1er janvier 2014 rendra nécessaire, sur la base des hypothèses retenues dans l'étude d'impact, la mobilisation de 32,7 millions d'euros en crédits d'investissement et 8,4 millions d'euros en crédits de fonctionnement, indemnisation des citoyens assesseurs incluse, sans tenir compte des 154,9 ETP de magistrats et 108,6 ETP de greffiers qui devront être créés.

Votre rapporteur a cherché à conforter les objectifs poursuivis par le projet de loi en simplifiant le mode de désignation des citoyens assesseurs, en élargissant le champ de compétences du tribunal correctionnel citoyen et, concernant la cour d'assises, en réaffirmant le pouvoir des jurés populaires et le refus de la scission du statut de la cour d'assises. Pour dire vrai, ma position a évolué hier, depuis que le ministre de la justice a accepté des propositions initialement repoussées par son cabinet. Pour le jugement des crimes, je préconisais le maintien du droit en vigueur. Toutefois, le risque était grand que les députés ne nous suivent pas. Or leur texte sera celui discuté en CMP, le Sénat étant saisi en première lecture et la procédure accélérée engagée. Mieux vaut donc, puisque le ministre ne s'y oppose pas, remplacer les citoyens assesseurs par des jurés et porter leur nombre en première instance à six. Ainsi sera respectée la suprématie des jurés populaires dans la composition des cours d'assises. Exit les cours d'assises « light » et « hard » ! De même, s'agissant des délits, je comptais réserver la présence des citoyens assesseurs aux décisions d'appel. Limiter la compétence du tribunal correctionnel citoyen aux seules violences à la personne ou presque me choquait : c'était, pour parler clairement, mettre en place une justice pour les pauvres et une justice pour les riches. Après avoir obtenu l'élargissement de la compétence de ce tribunal à d'autres infractions telles celles relatives aux infractions à l'environnement, j'ai accepté l'existence d'un tribunal citoyen non seulement en appel, mais aussi en premier ressort.

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