Intervention de Catherine Tasca

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 décembre 2008 : 1ère réunion
Traités et conventions — Accords sur les flux migratoires avec le bénin le congo le sénégal et la tunisie - examen du rapport

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca, rapporteur :

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'examen du rapport de Mme Catherine Tasca sur les projets de loi :

- n° 464 (2007-2008) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Bénin relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement ;

- n° 465 (2007-2008) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Congo relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement ;

- n° 68 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord relatif à la gestion concertée des flux migratoires entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal et de son avenant ;

- n° 69 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire, du protocole relatif à la gestion concertée des migrations et du protocole en matière de développement solidaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne.

a tout d'abord rappelé que les accords de gestion concertée des flux migratoires, soumis à l'examen du Sénat, constituaient l'un des aspects de la politique de développement solidaire conduite par le Gouvernement, qui vise à prendre en considération la dimension du développement dans la politique migratoire de notre pays.

Ces accords consistent dans une forme de contractualisation de la relation bilatérale sur la question des migrations.

Elle a souligné que ce dialogue bilatéral était indispensable tant la différence d'appréciation sur la migration est considérable entre un pays destinataire de l'immigration, comme le nôtre, et les pays d'origine.

Elle a rappelé que les transferts des migrants étaient supérieurs à l'aide publique au développement et qu'ils constituaient, pour certains pays d'origine, une des premières, sinon la première, source de revenus.

Elle a indiqué que tout comme le premier accord examiné par le Sénat, qui concernait le Gabon, le schéma général de ces accords comportait trois parties : la facilitation de la circulation et le développement de l'immigration de travail, la lutte contre l'immigration clandestine et le soutien à des projets de développement.

Elle a relevé que les accords, qui concernent le Sénégal, le Bénin, le Congo et la Tunisie, seraient les premiers à comporter un véritable enjeu sur les questions migratoires, les échanges avec le Gabon ne concernant qu'un très faible nombre de migrants.

Elle a indiqué qu'en dépit de leurs spécificités propres, les relations migratoires entre la France et ces pays avaient des caractéristiques communes :

- une part prépondérante et croissante du regroupement familial ;

- une évolution à la baisse du nombre de visas pour études ;

- une part très marginale pour l'immigration professionnelle.

Elle a ensuite évoqué le détail des différents accords.

Sur le terrain de la migration légale, la France s'engage à accorder plus de visas de circulation, à mieux accueillir les étudiants, à développer l'accueil de travailleurs migrants.

Dans une forme de contrepartie, les Etats signataires s'engagent à lutter contre l'immigration clandestine et à réadmettre leurs ressortissants entrés illégalement sur le territoire français.

La partie « développement » de ces différents accords est plus spécifique. Pour ce qui concerne le Congo, elle reste encore très largement à définir. En revanche, tant pour le Sénégal que pour le Bénin ou la Tunisie, elle témoigne, a observé Mme Catherine Tasca, rapporteur, d'une réflexion de qualité sur les secteurs d'intervention et les instruments à privilégier.

Elle a estimé que grâce à une partie « développement » plus structurée, l'économie générale de ces accords tendait vers un ensemble plus équilibré que l'accord avec le Gabon, dont la partie « développement » relevait plutôt du témoignage.

Elle a cependant exposé certaines interrogations et inquiétudes sur la mise en oeuvre de ces accords.

La première de ces interrogations concerne la mise en oeuvre effective de la facilitation de la migration professionnelle qui suscite beaucoup d'attentes de nos partenaires.

a rappelé que l'immigration professionnelle restait très limitée pour les pays concernés par ces accords de gestion concertée des flux migratoires. Pour des pays comme le Congo et le Bénin, elle est anecdotique : moins de 10 personnes par an. Pour la Tunisie, elle a concerné 1 413 personnes cette année, ce qui est très faible. Les différentes mesures en faveur de l'immigration professionnelle, qui datent de 2006, ont un impact très limité. Les objectifs de dispositifs comme les échanges de jeunes professionnels sont modestes (environ 150 par an) et les réalisations plus restreintes encore. Elles ne sont pas à la mesure de l'ampleur de la pression migratoire qui s'exerce sur notre pays.

a noté qu'après un temps d'hésitation, la France avait reconnu, les accords en témoignent, que l'immigration professionnelle ne devait pas nécessairement être une immigration qualifiée, ce qui paraît plus conforme non seulement aux besoins et aux attentes de nos partenaires, mais encore aux besoins de nos entreprises.

Mais en ces temps de crise économique et de rétraction des emplois, elle s'est interrogée sur la capacité de notre pays à tenir ses engagements en termes de migration professionnelle, alors que l'accord avec le Sénégal se fixe un objectif de 3 000 personnes par an.

Elle a indiqué que sa deuxième interrogation portait sur la mise en oeuvre concrète de ces accords qui ajoutent, à un ensemble déjà difficile, des facteurs de complexité supplémentaires.

Elle a observé que cette politique de développement solidaire, dont on ne doit pas sous-estimer les difficultés d'élaboration, « tâtonnait » et restait encore en cours de définition. Son démarrage est très lent.

La délivrance des cartes « compétences et talents » reste ainsi très embryonnaire. 36 cartes seulement ont été délivrées à des Tunisiens.

Les différents livrets d'épargne codéveloppement, mis en place avec retard, ne drainent pas encore l'épargne des migrants.

Les aides au retour volontaire ne concernent qu'un nombre très limité de personnes.

Elle s'est interrogée sur la façon dont consulats et préfectures allaient se repérer dans le maquis de délais, de conditions d'âge et de secteurs spécifiques introduits par les accords de gestion concertée des flux migratoires et qui s'ajoute à la véritable sédimentation de dispositifs opérée par les nombreuses lois relatives à l'immigration de ces dernières années.

Elle s'est également interrogée sur le sort des clauses applicables aux ressortissants de la zone de solidarité prioritaire, alors que cette notion est complètement revue dans la réforme du dispositif français de coopération.

Elle a souligné que la politique migratoire de la France hésitait ainsi encore entre attractivité, contrôle des flux et lutte contre la fuite des cerveaux.

Enfin, elle s'est interrogée sur la mise en oeuvre du volet « développement » de ces accords dans un contexte de réduction drastique des crédits dévolus à l'aide bilatérale au développement.

Elle a précisé que les accords identifiaient les projets dont le financement relevait du ministère de l'immigration mais renvoyaient au ministère des affaires étrangères pour un effort accru d'accompagnement. Rien ne permet de dire que le ministère des affaires étrangères aura les moyens de cette intervention complémentaire, pourtant indispensable.

Aussi a-t-elle considéré que l'équilibre recherché par ces accords semblait bien fragile. Si les volets « migration professionnelle » et » développement » n'étaient pas mis en oeuvre dans de bonnes conditions, il n'en resterait que les aspects les plus restrictifs, le plus symbolique d'entre eux étant la réadmission.

Sous le bénéfice de ces observations, elle a recommandé l'adoption de ces quatre projets de loi, tout en appelant à la vigilance sur les conditions de leur mise en oeuvre, qui s'annoncent difficiles sous le double effet de la crise économique et de la réduction de notre effort bilatéral d'aide au développement.

Elle a précisé que si elle recommandait à la commission l'adoption de ces accords en dépit des difficultés prévisibles pour leur application, c'est qu'elle y voyait la définition d'une méthode, l'ouverture d'un chemin de dialogue innovant qui peut préparer la voie à une relation plus équilibrée sur la question des migrations.

Elle a jugé souhaitable que la commission fasse une évaluation par étapes de la mise en oeuvre de ces accords au cours des années à venir.

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