Intervention de Michel Magras

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 24 mai 2011 : 1ère réunion
Tourisme et environnement en outre-mer — Examen du rapport d'information

Photo de Michel MagrasMichel Magras, rapporteur :

J'ai donc l'honneur de vous présenter mon rapport d'information sur le thème « Tourisme et environnement outre-mer ». Au préalable, je souhaite vous remercier, Monsieur le Président, mes chers collègues, de m'avoir confié en septembre dernier cette responsabilité. C'est en effet une grande première pour le « jeune » sénateur que je suis.

Le tourisme est un sujet auquel je m'intéresse particulièrement, ce qui n'est pas étonnant pour le sénateur de Saint-Barthélemy. C'est en effet un secteur essentiel pour le développement de nos outre-mer.

Dès le début de mes travaux, je me suis interrogé sur le champ géographique de mon rapport : il m'est apparu irréaliste de vouloir traiter l'ensemble des collectivités ultramarines :

- d'une part, il aurait été logistiquement compliqué d'organiser des déplacements dans chacune des onze collectivités ultramarines ;

- d'autre part, il me semble surtout qu'en matière touristique, comme dans bien d'autres domaines, il n'y a pas un outre-mer mais des outre-mer. Quel est en effet le point commun entre Saint-Pierre-et-Miquelon, île au climat océanique froid, et la Guyane, département d'une taille comparable à celle du Portugal, couvert à près de 90 % par la forêt équatoriale ? Quel est le point commun entre les collectivités orientées sur le balnéaire, par exemple les quatre collectivités antillaises, et les collectivités orientées sur d'autres types de tourisme, comme La Réunion qui ne compte que quelques kilomètres de plages ?

En conséquence, j'ai décidé de concentrer mon rapport sur les deux départements antillais, la Guadeloupe et la Martinique, qui ont été pendant longtemps des destinations touristiques de premier ordre et qui rencontrent aujourd'hui de graves difficultés.

Pour rassurer mes collègues représentant les autres collectivités ultramarines, je souligne cependant que certaines des propositions figurant dans mon rapport peuvent s'appliquer à celles-ci. Dans tous les cas, le rapport servira de base à un débat en séance publique organisé à la fin du mois de juin prochain, au cours duquel la diversité des situations de nos outre-mer pourra être évoquée.

Je vous remercie d'ailleurs, Monsieur le Président, d'avoir demandé à la Conférence des Présidents qu'un tel débat puisse avoir lieu, nouveau signe de l'attention portée par notre commission aux problématiques ultramarines.

Au terme de mes travaux - c'est-à-dire une vingtaine d'auditions à Paris et plus d'une trentaine d'auditions lors de mon déplacement sur place -, je vous présente aujourd'hui un rapport organisé en deux temps : j'ai souhaité tout d'abord analyser la situation du secteur touristique dans les deux départements antillais, et formuler des propositions afin de relancer ce secteur. Je me suis ensuite intéressé plus précisément au volet environnemental : dans quelle mesure l'environnement peut constituer un atout pour ces destinations ?

Tout d'abord donc, quelle est la situation du secteur touristique en Guadeloupe et en Martinique ? Ces deux départements ont vu leur fréquentation touristique s'effondrer depuis le début des années 2000, notamment sous l'effet de la concurrence d'autres destinations. Un seul exemple : la Martinique accueillait en 1998 plus d'un million de touristes. En 2009, elle n'en a accueilli que 580 000, soit une chute de 45 % en 11 ans !

Les tensions sociales récurrentes sont un des éléments d'explication : la crise sociale traversée par ces deux départements en 2009 a ainsi laissé des traces en renforçant leur image négative. Le début de l'année 2011 marque cependant une légère reprise de l'activité.

La situation du secteur hôtelier illustre la gravité de la crise : le parc hôtelier a « fondu » en étant divisé par deux au cours des dix dernières années ; du point de vue qualitatif, le parc hôtelier antillais est totalement obsolète : il n'offre plus le confort et les équipements exigés par la clientèle actuelle ; les établissements sont dans une situation financière particulièrement difficile. Les socioprofessionnels estiment que près de 80 % des structures hôtelières sont déficitaires. Sur cette question, je salue la mise en place en février dernier par le Gouvernement d'une mission qui aboutira, je l'espère, à des solutions adaptées aux difficultés du secteur.

Je me suis intéressé à différents aspects de la situation du tourisme antillais, sans avoir la prétention d'être exhaustif, et je formule dans mon rapport huit recommandations sur cette partie précise.

Ma première recommandation vise à faire du tourisme la priorité en matière de développement économique.

Certains d'entre vous estiment peut être que cela va de soi, mais il n'en est rien. Même si le tourisme est un secteur économique central dans ces deux départements (représentant environ 10 % des emplois directs et indirects) et qu'il représente un gisement potentiel d'emplois, la volonté politique de développement du tourisme a longtemps été absente.

J'estime donc que les acteurs locaux doivent se mobiliser sur cette question, qui relève avant tout de leur compétence, et que l'État doit prendre les mesures d'accompagnement nécessaires.

Cela signifie que les acteurs locaux doivent établir une véritable stratégie touristique, dans une optique de « tourisme intégré », c'est-à-dire avec l'ensemble des acteurs de la filière et, plus généralement, avec l'ensemble de la société. Je propose qu'une Conférence réunisse, après chaque renouvellement des instances de la collectivité régionale, l'ensemble de ces acteurs afin de déterminer la stratégie touristique et d'orienter les dépenses publiques prioritairement vers ce secteur. En résumé, il s'agit de passer d'un tourisme subi à un tourisme choisi.

C'est ce qui se produit depuis plusieurs mois en Martinique, comme j'ai pu le percevoir lors de mon déplacement. La visite du Président de la République en janvier dernier et la politique mise en place par le nouveau président du conseil régional ont conduit à un résultat clair : le tourisme est devenu la priorité en Martinique et tous les acteurs oeuvrent dans la même direction.

Ma deuxième recommandation consiste à poursuivre les actions de sensibilisation de la population à l'activité touristique, notamment en accroissant la place des langues étrangères dans le cadre scolaire.

Pour des raisons historiques et identitaires, la population antillaise a longtemps été réfractaire au développement du tourisme : le service a souvent été assimilé à la servitude.

Si des progrès importants ont été réalisés, les efforts doivent être poursuivis et je pense notamment qu'une formation renforcée aux langues étrangères peut constituer un atout dans ce domaine.

Ma troisième recommandation vise à tout mettre en oeuvre pour que l'expérience de la desserte des Antilles depuis Roissy soit concluante, sans négliger d'autres pistes.

Les deux départements antillais sont en situation de mono clientèle : plus de 90 % des touristes sont Français. Cette situation s'explique en partie par la desserte aérienne depuis Orly, qui nuit à l'ouverture aux marchés européens. Je pense que la mise en place d'une desserte aérienne depuis Roissy est indispensable. Je salue l'engagement du Président de la République en la matière : il a en effet annoncé en janvier dernier qu'une desserte serait mise en place en novembre prochain, à titre expérimental, depuis Roissy.

Je souhaite toutefois faire trois remarques :

- les modalités de cette expérimentation doivent permettre la réussite de cette initiative : on s'oriente aujourd'hui vers une desserte hebdomadaire, qui n'assure pas une véritable souplesse pour le package du touriste ;

- des pistes alternatives peuvent être explorées pour ouvrir ces destinations aux marchés européens, comme la mise en place de charters à partir de certains pays européens ;

- enfin, si la desserte aérienne est une question essentielle, elle ne peut en aucun cas régler l'ensemble des difficultés du tourisme antillais. Elle n'aura aucun impact si une véritable stratégie touristique n'est pas définie et mise en oeuvre.

Ma quatrième recommandation vise à prendre des initiatives afin d'attirer les touristes nord-américains, notamment en incitant les compagnies aériennes américaines à desservir les Antilles.

Les touristes américains ont, depuis les années 1980, déserté la Guadeloupe et la Martinique, notamment en raison de l'instabilité sociale qui a conduit au départ des compagnies aériennes américaines.

Les Antilles françaises disposent pourtant d'atouts, tels que la proximité ou la sécurité sanitaire pour séduire la clientèle américaine. Le retour des touristes américains doit donc être une priorité : les acteurs du tourisme doivent se mobiliser afin d'inciter les compagnies aériennes américaines, le cas échéant low cost, à desservir de nouveau ces deux départements.

Ma cinquième recommandation vise à ajuster le dispositif de défiscalisation pour l'hôtellerie afin d'aboutir à une « défiscalisation de projet » et de permettre la mise à niveau des établissements hôteliers.

Si la défiscalisation a permis un développement important du parc hôtelier, elle a également eu des effets pervers, comme la vente à la découpe de nombreux hôtels. Cela s'explique par le fait que la défiscalisation n'a pas été conçue comme un outil de développement durable, particulièrement dans le secteur hôtelier. Je formule donc deux propositions :

- afin de faire émerger une véritable « défiscalisation de projet », il me paraît utile d'allonger de 5 à 10, voire à 15 ans, la durée de détention du bien hôtelier défiscalisé ;

- la priorité étant la mise à niveau des établissements hôteliers, la défiscalisation en matière hôtelière devrait être réservée à la rénovation.

Ma sixième recommandation consiste à prendre des initiatives visant à diversifier les produits touristiques et les clientèles, afin d'atténuer l'effet de saisonnalité.

La saisonnalité est un des principaux handicaps des deux départements antillais. La saison touristique va en effet de décembre à avril. Il faut aujourd'hui faire de ce handicap un atout, en permettant l'émergence de deux saisons distinctes, la seconde pouvant s'appuyer sur certaines niches, comme la clientèle senior, une politique évènementielle ambitieuse ou encore le tourisme d'affaires et de congrès.

Ma septième recommandation consiste à lancer un grand plan de formation des salariés du secteur touristique antillais.

La qualité de l'accueil et de la formation constitue une faiblesse des deux départements. L'ensemble des acteurs doivent se mobiliser sur cette question, notamment dans le domaine de la maîtrise des langues étrangères qui constitue un préalable à la diversification de la clientèle.

La huitième recommandation vise à relancer la croisière, notamment en soutenant les projets de Basse-Terre et de Saint-Pierre.

La croisière connaît une crise grave dans ces deux départements. Alors qu'elle a le « vent en poupe » dans le monde et dans la Caraïbe, où on est passé de 8 à 19 millions de croisiéristes en 15 ans, la Guadeloupe a perdu 55 % de ses passagers entre 2000 et 2009 et la Martinique 75 % !

J'en viens au second volet de mon rapport : l'environnement. Il s'agit à mes yeux d'un atout pour le tourisme antillais. Dans mon esprit, cela ne signifie pas simplement qu'il faut développer le « tourisme vert » mais qu'il faut prendre en compte la dimension environnementale dans l'ensemble de la politique touristique des Antilles.

Cela me paraît indispensable pour deux raisons : d'une part, la clientèle touristique est aujourd'hui très sensible à cette dimension ; d'autre part, l'aspect environnement permettrait de répondre à certaines problématiques, notamment le fait que si le tourisme balnéaire demeure un produit d'appel important il n'est plus suffisant pour attirer les touristes.

Je formule, dans cette partie de mon rapport, trois recommandations.

Ma neuvième recommandation consiste donc à prendre des initiatives en matière de cadre de vie, par exemple en utilisant les dispositifs législatifs permettant d'encadrer et de réguler l'affichage publicitaire.

A mes yeux, la qualité du cadre de vie est un élément essentiel, un préalable pour la réussite de ces destinations. Or, les Antilles ont un déficit d'image important : elles ont une image d'îles sales. Je n'évoquerai devant vous qu'un sujet : l'affichage publicitaire.

Un seul exemple : la route entre l'aéroport du Raizet à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe et la zone hôtelière du Gosier est totalement défigurée par l'affichage publicitaire. Comment le touriste ne peut-il pas se sentir agressé par ce premier contact avec ce territoire ?

Ce sujet me tient à coeur : j'ai été à l'origine d'un règlement local de publicité particulièrement strict à Saint-Barthélemy. La quasi-totalité de l'île est ainsi aujourd'hui en publicité restreinte. Cette décision radicale est considérée comme un des éléments expliquant la bonne image de l'île.

Les maires martiniquais et guadeloupéens ne semblent pas conscients de l'importance de cette question, mais il leur revient d'utiliser les dispositifs législatifs existants.

Ma dixième recommandation consiste à promouvoir les Antilles comme une destination touristique « verte ».

Les deux départements disposent d'un patrimoine naturel exceptionnellement riche, avec, par exemple, de très nombreux sites protégés : le tiers du territoire de la Guadeloupe bénéficie ainsi, à un titre ou à un autre, d'une protection. Je ne peux également que souligner la richesse des paysages de l'archipel guadeloupéen.

Cet atout n'est pourtant pas suffisamment mis en valeur : il pourrait pourtant permettre à ces destinations de sortir de l'image réductrice « plages et cocotiers ». Il s'agirait d'une vraie image de marque, leur permettant de se différencier d'autres destinations. Leur promotion pourrait donc utilement être réorientée en ce sens.

Ma dernière recommandation vise à assurer une meilleure valorisation du patrimoine naturel des Antilles, par exemple par le biais d'un inventaire des sites naturels remarquables.

La valorisation du patrimoine naturel de ces deux départements reste aujourd'hui insuffisante : les atouts naturels du Nord de la Martinique sont ainsi insuffisamment mis en valeur. Malgré tout, je tiens à saluer le travail de certains acteurs comme le Conservatoire du littoral, dont l'action en matière de valorisation du littoral antillais est essentielle.

Pour assurer une réelle mise en valeur du patrimoine naturel, encore faut-il que ce dernier soit connu des touristes et de la population ! Or aucun inventaire des sites n'existe : la mise en place d'un tel inventaire doit donc être une priorité.

Voici donc les onze propositions qui figurent dans le rapport d'information que je vous présente aujourd'hui. Ces propositions n'ont pas l'ambition de traiter de façon exhaustive la question, mais j'espère qu'elles pourront apporter leur pierre à l'édifice qu'est la nécessaire relance du tourisme antillais. Je vous remercie pour votre attention et je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

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