Avant d'aborder l'examen de la PPRE, je voudrais vous dire que je suis disposé à présenter devant votre commission le rapport que j'ai transmis au Gouvernement, le 18 mai dernier, sur les conditions pour une expérimentation portant sur l'ouverture à la concurrence des services de transports ferroviaires régionaux de voyageurs, un sujet complexe et socialement difficile.
Depuis 1991, le secteur ferroviaire s'est progressivement ouvert à la concurrence. Remontant à 2001, le « premier paquet ferroviaire » a traité trois grands sujets en trois directives : la séparation entre le gestionnaire de l'infrastructure et l'exploitant ferroviaire historique ; les licences des entreprises ferroviaires ; la répartition des capacités d'infrastructure et la tarification de leur usage. En France, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires doit veiller à la bonne application de ces principes.
Globalement, les États n'ont que partiellement appliqué ce premier paquet. En dix ans, la commission de Bruxelles a envoyé de nombreux avis motivés. Sous la pression du Parlement européen, elle s'est décidée fin 2010 à saisir pour manquement la Cour de justice de l'Union européenne contre 13 États membres, dont la France et l'Allemagne.
Le premier grief à l'encontre de notre pays concerne la Direction de la circulation ferroviaire (DCF), créée en 2009 par la loi d'organisation et de régulation des transports ferroviaires, dite « loi ORTF », pour attribuer les sillons, pour le compte de Réseau ferré de France (RFF). Quelques 14 000 personnes y travaillent. La Commission européenne estime que la SNCF peut influencer la répartition des sillons et prendre connaissance d'informations confidentielles. Il s'agit d'un sujet sensible, car les meilleurs sillons sont laissés aux voyageurs, au détriment du fret. Le second grief concerne les péages, qui ne comportent pas de système de bonus-malus pour changer les comportements du gestionnaire et des opérateurs.
La Commission reproche également à l'Allemagne de ne pas avoir donné suffisamment d'indépendance au gestionnaire d'infrastructure dans l'exercice de ses « fonctions essentielles ». La Deutsche Bahn (DB), organisée en société holding, comporte une filiale, dénommée DB Netz, qui fixe les prix des péages acquittés par les exploitants, à l'image de RFF.
Le projet de refonte a donc été présenté fin 2010 dans un contexte particulièrement tendu. Aucun désaccord n'est envisageable sur la philosophie du texte, qui actualise, harmonise, clarifie et réunit en un seul document les trois directives de l'ancien « paquet ferroviaire ». Mais je n'ignore pas que notre collègue Mireille Schurch s'oppose à cette approche, souhaitant revenir à la situation qui prévalait en France avant 1997, lorsque la SNCF était une entreprise intégrée... Je rappellerai simplement que pratiquement tous les États-membres, à des degrés divers, sont engagés dans l'ouverture à la concurrence de leur marché ferroviaire.
Avant d'exposer les orientations de la directive et la position de nos collègues de la commission des affaires européennes du Sénat, je voudrais énoncer ce que j'estime être le fil rouge de ma réflexion : l'évolution européenne se poursuivra ; RFF et la DCF relèvent du domaine régalien ; les fonctions commerciales doivent en être clairement séparées.
Le premier thème du projet de directive tient aux relations entre le gestionnaire d'infrastructure et les opérateurs ferroviaires. Ainsi, son article 7 dispose que le gestionnaire doit être indépendant de l'opérateur ferroviaire « sur le plan juridique, organisationnel et décisionnel ». Cette condition n'est pas satisfaite en France, où la DCF fait partie de la SNCF, tout en dépendant de RFF. J'ajoute que la définition des sillons occupe 500 horairistes, soit 400 à la SNCF et 100 à RFF, mais tous ne travaillent pas sur la même plate-forme et éprouvent les plus grandes difficultés à communiquer. Cela ne peut durer ! Nous proposons que la DCF soit intégrée dans RFF, où les centres de décision et de profit devraient être mieux identifiés et coordonnés.
Le deuxième thème concerne certains services ferroviaires annexes, comme les gares, les centres de maintenance légère (qui mobilise 30 % du personnel de la SNCF), ou encore les panneaux d'information des voyageurs. Il s'agit là d'une fonction régalienne, puisque la sécurité, mais aussi le bon emploi des deniers publics, sont en jeu. D'où la nécessité de renforcer dans un premier temps l'indépendance de la branche Gares et connexions.
Troisièmement, la coopération entre organismes de contrôle au sein de l'Union européenne existe déjà de façon informelle; l'institutionnaliser et la promouvoir est une excellente chose.
Le quatrième thème intéresse la modulation des péages ferroviaires en fonction du bruit. La commission de Bruxelles et la commission sénatoriale des affaires européennes acceptent la modulation, à condition d'appliquer une mesure similaire aux camions. Il ne faut pas pénaliser les entreprises ferroviaires.
Le cinquième sujet concerne le service minimal en cas de grève. Nous sommes d'accord avec la position de Roland Ries : Bruxelles n'a pas à nous dicter notre politique et nous devons régler la question chez nous.
Le sixième sujet a trait aux actes délégués : la Commission voulait pouvoir modifier ainsi pratiquement toutes les annexes sans demander l'avis à qui que ce soit. Or, l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne n'autorise le recours aux actes délégués que pour modifier les éléments non essentiels d'un acte législatif. C'est pourquoi la commission des affaires européennes a refusé de signer un chèque en blanc à la Commission de Bruxelles. Nous sommes en plein accord avec elle.
Septième et dernier sujet, l'harmonisation sociale. La commission des affaires européennes a demandé au gouvernement de promouvoir une harmonisation du cadre social applicable au secteur ferroviaire dans les différents États membres de l'Union afin que la concurrence dans ce secteur s'exerce entre entreprises plutôt qu'entre statuts sociaux. Là aussi, nous approuvons cette demande qui est cohérente avec la lettre que le président de la République a adressée à M. Guillaume Pepy, lui demandant de réfléchir à l'harmonisation sociale. Or, l'ouverture à la concurrence du fret n'a pas tenu compte de cet aspect essentiel. Comme les TGV et, éventuellement, les TER vont être ouverts à la concurrence, il est important de se pencher dès maintenant sur cette question.
La proposition de directive apporte également quelques avancées sur le financement des travaux de régénération du réseau, mais ne se substitue pas aux États membres pour leur imposer un niveau d'investissement. En outre, le texte n'avait pas vocation à aborder la question du service public dans le secteur ferroviaire, qui sera examinée dans un quatrième paquet ferroviaire. Je vous proposerai sur ces deux sujets des amendements et vous demanderai d'adopter le texte de la résolution ainsi modifiée.