Intervention de Henri Lamotte

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 22 mai 2007 : 1ère réunion
Evolution du périmètre de la protection sociale — Audition de M. Henri Lamotte chef du service des politiques publiques à la direction générale du trésor et de la politique économique

Henri Lamotte, chef du service des politiques publiques à la direction générale du trésor et de la politique économique :

a indiqué que la toute récente création du ministère des comptes publics rend encore prématurée toute volonté d'en tirer des enseignements. Cette décision s'inscrit dans le cadre d'une réflexion particulièrement intense depuis quelques mois, à la suite des rapports de MM. Alain Lambert et Didier Migaud et de la mission commune Igas/IGF (Inspection générale des affaires sociales/Inspection générale des finances). A titre personnel, il considère que la création de ce nouveau ministère permet d'aborder de la bonne façon la question d'une meilleure approche globale des comptes publics, ce que n'aurait pas autorisé la fusion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. En effet, ces deux lois sont de nature très différente avec des crédits budgétaires à caractère limitatif d'un côté et des prévisions de dépenses sociales de l'autre. En outre, il paraît préférable de conserver deux lois pour affirmer la responsabilisation des acteurs concernés. Par ailleurs, au-delà de la nature même des dépenses, les mécanismes de régulation en cours d'année de ces dépenses sont très différents. Cela étant, une meilleure intégration des deux projets de loi est souhaitable. Des avancées ont déjà été réalisées dans la préparation et la coordination des deux textes par les services responsables (direction de la sécurité sociale, direction du budget et direction générale du trésor et de la politique économique). Aujourd'hui, il s'agit d'achever l'articulation des calendriers et l'harmonisation des hypothèses économiques sous-jacentes.

Si les finances publiques répondent bien à des enjeux globaux, il n'en demeure pas moins que de réelles particularités existent tant en ce qui concerne les finances des collectivités territoriales que les dépenses liées à la famille, à la retraite ou à la santé. Il est certain, en tout état de cause, que l'on ne peut régler des problèmes de finances publiques par de simples transferts entre acteurs publics. A cet égard, il est particulièrement regrettable qu'une grande partie des efforts des administrations en charge de ces comptes se soit concentrée, au cours des dernières années, sur ces mécanismes de transfert et de « tuyauterie » qui sont stériles et inutiles. La création du nouveau ministère devrait permettre de faire disparaître ces habitudes et d'orienter l'attention des responsables sur les véritables questions de fond.

a ensuite souligné le caractère fondamental de la question du financement de la protection sociale. Ce débat comporte en effet des enjeux très importants en termes de dépenses publiques, d'emploi, de croissance et de démocratie sociale, questions cruciales pour la direction générale du trésor et de la politique économique. Depuis 1945, la sécurité sociale a connu trois grandes évolutions : une augmentation des dépenses sociales, qui s'élève à plus de six points de PIB depuis 1978 et qui s'accroîtra avec le vieillissement de la population ; la mise en place de la politique d'allégement des charges sociales sur les bas salaires, qui a conduit à substituer un financement progressif à un financement de nature proportionnelle ; enfin, la fiscalisation, avec la création de la CSG au début des années quatre-vingt-dix.

Dans ce contexte, il existe une manière réductrice d'aborder le sujet du financement de la protection sociale en en faisant un but en soi et donc en examinant le seul problème de la dynamique des recettes de la sécurité sociale. Or, depuis la fin des années quatre-vingt, le partage de la valeur ajoutée entre le taux de marge des entreprises et les rémunérations s'avère extrêmement stable, deux tiers allant au travail et un tiers au capital. Cette tendance, que l'on retrouve dans la plupart des autres pays, signifie qu'il n'existe pas de recette-miracle qui pourrait fournir à long terme une évolution plus dynamique que la masse salariale. Aussi, la taxation de la valeur ajoutée et celle de la masse salariale ne peuvent évoluer que de la même façon, c'est-à-dire comme le PIB. La réflexion, menée au début des années quatre-vingt sur la taxation de la valeur ajoutée, est née du fait que, pendant cinq années, la masse salariale a progressé moins vite que le PIB, ce qui a pesé sur les recettes de la sécurité sociale et a conduit à la création de la CSG. Cette situation, historiquement datée, ne peut être envisagée aujourd'hui, car aucun élément économique n'en autorise la prévision. Aussi, si la part des dépenses sociales dans le PIB doit s'accroître au cours des prochaines années, cela impliquera d'augmenter les cotisations sociales ou les impôts, car aucune recette ne verra son produit augmenter dans les mêmes proportions que l'ensemble des dépenses sociales.

Ce cadre étant posé, M. Henri Lamotte a estimé que toute réflexion sur de nouvelles recettes doit être conduite au regard de trois questions fondamentales : ses enjeux en termes d'emploi et de croissance, c'est-à-dire en abordant la question par une approche macro-économique ; l'adéquation de la taxation à la nature des dépenses de protection sociale, en adoptant une approche micro-économique ; enfin, un examen du champ de la socialisation, c'est-à-dire du périmètre des dépenses sociales.

Si l'on examine les trois alternatives généralement évoquées aux cotisations sociales que sont la TVA, la CSG et la CVA (cotisation sur la valeur ajoutée), l'opinion dominante des économistes n'a pas changé depuis une dizaine d'années et le rapport Malinvaud de 1998 sur le financement de la protection sociale, continue, en ce domaine, à faire référence. Il en ressort qu'il n'existe pas d'assiette-miracle, que l'on ne peut attendre de grands résultats d'un changement d'assiette et que les allégements ciblés de charges sur les bas salaires sont les plus efficaces en termes d'emploi. Les conclusions auxquelles sont parvenus les divers travaux menés en 2006 par le groupe de travail inter-administratif, le conseil d'analyse économique et le conseil d'orientation pour l'emploi vont d'ailleurs dans le même sens.

Ainsi, il apparaît que, sur un plan économique, le remplacement des cotisations sociales par la CVA aurait un effet positif sur l'emploi à l'horizon de deux ou trois ans, mais dans des proportions modiques, de l'ordre de quelques dizaines de milliers d'emplois seulement. A moyen et long terme, les effets seraient très différents, le capital étant plus mobile que le travail, puisqu'on pénaliserait l'investissement, ce qui diminuerait l'accumulation de capital et donc la croissance ainsi que, par voie de conséquence, les salaires. Une taxation frappant le facteur le plus mobile rendrait donc vain ce changement d'assiette en termes d'emploi et produirait des effets négatifs sur la croissance et le niveau de vie, notre pays se situant dans le cadre d'une économie ouverte. Les tendances ainsi décrites résultent de la plupart des modèles utilisés, même si l'on relève quelques variations selon les simulations effectuées.

En faveur de la TVA, et plus particulièrement de la TVA sociale, les deux principaux arguments invoqués sont l'emploi, grâce à une diminution des charges sociales, et la compétitivité, en favorisant les exportations tout en taxant les importations. La décision allemande de porter le taux normal de TVA de 16 % à 19 % plaide également en faveur de cette mesure. Or, pour les économistes, l'une des questions clés à examiner est celle de l'indexation des salaires, et notamment du Smic et des minima sociaux. En effet, si la TVA augmente, il faut bien que quelqu'un paye l'augmentation. Dans le cas allemand, analysé de très près par la direction du trésor, il faut souligner sur un double contexte très favorable : la reconstitution de leur marge par les entreprises allemandes et la baisse du prix du pétrole. Cela signifie que la hausse récemment décidée de la TVA n'a pas eu d'impact trop sensible sur les prix à court terme. Néanmoins, cet impact est réel et pourrait s'élever à 0,9 point en 2007, malgré la poursuite de la baisse du prix du pétrole.

Ainsi, à échéance de douze ou dix-huit mois, une augmentation de la TVA se répercute nécessairement dans les prix. Dans ce cas, soit les salariés acceptent la baisse de leur pouvoir d'achat, ce qui signifie que les salariés paient la hausse de la TVA, soit les salariés n'acceptent pas cette baisse et revendiquent des hausses de salaire, ce qui revient à augmenter le coût du travail pour les entreprises. En effet, dans pratiquement tous les pays du monde, les salaires apparaissent de fait indexés sur l'inflation, même si le délai de répercussion peut être de douze à quinze mois. En France, se pose aussi le problème du Smic, puisque son indexation est automatique, conformément à la loi. S'ajoute à cette potentielle difficulté politique majeure celle de l'ensemble des prestations sociales indexées, des retraites, des minima sociaux, des prestations familiales ainsi que des salaires de la fonction publique. Il en ressort que l'impact d'une telle réforme est avant tout conditionné par la résolution de sujets « lourds ». Elle aurait, au total, un effet faible sur l'emploi et un impact inflationniste certain.

Une hausse de la CSG ne conduirait pas aux mêmes problèmes économiques. En effet, elle pèserait sur le revenu des ménages, mais n'aurait pas d'impact macro-économique sur les salaires. La problématique serait plus proche de celle que l'on analyse en matière d'impôt sur le revenu.

L'approche micro-économique relative au financement lui-même des politiques sociales conduit à faire une différence entre, d'une part, les dépenses de redistribution et de solidarité, d'autre part, celles qui ont une logique assurantielle. Ces deux types de prestations ont vocation à être financés de façon différente, par l'impôt pour les premières, c'est-à-dire les prestations maladie et famille, par des prélèvements sur les revenus du travail pour les secondes, c'est-à-dire l'assurance chômage, les retraites et les accidents du travail.

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