Intervention de Gisèle Printz

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission anciens combattants mémoire et liens avec la nation - examen du rapport pour avis

Photo de Gisèle PrintzGisèle Printz, rapporteure pour avis :

L'examen des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » est un moment particulier du débat budgétaire. C'est l'occasion de témoigner notre reconnaissance et de confirmer le droit à réparation de ceux qui ont servi la France au combat ou ont été victimes des différents conflits du XXe siècle.

Cette année, il présente aussi l'intérêt de dresser le bilan du quinquennat et de l'action du Gouvernement en faveur des anciens combattants. Je dois vous dire que celui-ci est mitigé.

Venons-en d'abord au budget 2012. La principale avancée est la revalorisation de la retraite du combattant qui sera portée à quarante-huit points au 1er juillet, soit une progression de onze points depuis 2007. Cette mesure de justice était attendue par tous les anciens combattants. Pourtant, par cet artifice de calendrier, ce n'est qu'à partir de 2013 que les anciens combattants en profiteront pleinement : la retraite du combattant est versée semestriellement et à terme échu. Ce n'est donc pas en 2012 qu'elle sera revalorisée en intégralité ; et ce sera au Gouvernement alors en place de pourvoir à son financement... Le ministre s'est opposé à toute modification de date. C'est regrettable.

Plus généralement, le budget s'établit en 2012 à 3,17 milliards d'euros, soit une baisse de 4,34 % par rapport à 2011. Aux 143 millions d'euros manquants s'est ajoutée, à l'Assemblée nationale sur un amendement du Gouvernement, une ponction supplémentaire de 14 millions dans le cadre du dernier plan de rigueur. Hier encore, lors d'une seconde délibération, un nouveau tour de vis a été apporté qui retire 12,6 millions de plus. Dans ce contexte, faut-il se réjouir du maintien des droits acquis et ne rien demander de plus ? Les anciens combattants ont déjà tant donné à la France, n'auraient-ils pas mérité un traitement privilégié ? D'autant que leur déclin démographique est inexorable : le nombre de titulaires de la retraite du combattant va baisser de 4,3 % en 2012 ; celui des bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité, de 5,2 %. Des marges de manoeuvre seraient donc disponibles à leur profit.

Ce budget est aussi celui de la poursuite d'une importante réforme administrative. Et tout d'abord celle de la direction du service national et de la journée défense et citoyenneté, qui se traduit par une diminution de 16 millions d'euros de son budget. Je comprends les difficultés budgétaires auxquelles nous avons à faire face, mais fallait-il vraiment appliquer la RGPP à cette étape importante de l'apprentissage citoyen ? J'espère que la transmission de l'esprit de défense et des valeurs de la République ne s'en trouve pas compromise.

Le second volet de la réforme est celui de l'administration au service des anciens combattants. Les services départementaux de l'Onac sont devenus le guichet unique de traitement des demandes de titres et de prestations ; celles-ci sont ensuite examinées par différents services du ministère. C'est la conséquence de la disparition de la direction des statuts, des pensions et de la réinsertion sociale et des directions interdépartementales des anciens combattants. Autant vous dire tout de suite que la transition n'a pas été un franc succès car la qualité du service rendu aux anciens combattants s'est dégradée. Des problèmes informatiques, liés à une application dénommée Kapta, ont considérablement ralenti la délivrance des cartes et de la retraite du combattant. En 2010, pour 18 000 demandes reçues au titre des Opex, seulement 420 ont été satisfaites. Un important stock s'est accumulé qui, selon le directeur de l'Onac, ne sera pas résorbé avant la mi-2012. Les missions de l'Onac ont été accrues sans que les moyens adéquats ne lui soient accordés, bien au contraire. De nombreux postes ont été supprimés et la formation des personnels à leurs nouvelles tâches doit être améliorée. J'espère que des mesures seront prises afin de pérenniser cet interlocuteur de proximité auquel tous les anciens combattants sont attachés.

Il faut surtout saluer le rôle majeur joué par l'Onac dans le cadre de l'action sociale qu'il mène auprès de ses ressortissants et des conjoints survivants en versant un secours d'urgence ou une aide pour difficultés financières. L'aide différentielle au conjoint survivant, créée en 2007, bénéficie aujourd'hui à 4 300 personnes et compense l'écart entre les ressources de son titulaire et un plafond prédéfini. Celui-ci est aujourd'hui de 834 euros ; il serait porté à 869 euros en 2012, ce qui reste insuffisant quand on sait que le seuil de pauvreté est fixé à 954 euros. Le coût actuel de cette mesure est de 5 millions et son montant mensuel moyen par allocataire s'élève à 104 euros. On pourrait mobiliser les moindres dépenses résultant de la baisse des effectifs des pensionnés pour améliorer le sort de tous les conjoints survivants.

Le problème se pose aussi pour les anciens combattants les plus démunis, pour lesquels aucun dispositif n'existe. L'année dernière, notre commission avait demandé au Gouvernement la remise d'un rapport évaluant l'intérêt de créer une telle aide différentielle en leur faveur. Or, celui-ci ne répond pas à la question posée et renvoie à des analyses complémentaires, comme c'est souvent le cas. Il reconnaît néanmoins l'intérêt qu'aurait une telle aide sociale, dont le coût serait élevé, selon le ministre, et qui poserait aussi des problèmes juridiques, concernant notamment son éventuelle attribution aux anciens combattants d'Afrique du Nord et des anciennes colonies. Laisser, dans cette attente, les cinq mille anciens combattants potentiellement éligibles vivre sous le seuil de pauvreté n'est pas un bel exemple de la reconnaissance de la Nation.

Il faut également mentionner le caractère pour l'instant inopérant du mécanisme d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : dix-huit mois après le vote de la loi, seulement deux indemnisations ont été accordées, et cent vingt-sept ont été rejetées... Les critères sont manifestement trop stricts, et pourtant 10 millions d'euros sont dédiés à ce dispositif. J'espère que le décret qui doit assouplir les conditions d'indemnisation sera publié dans les plus brefs délais.

J'en viens aux initiatives prises pour promouvoir le souvenir des conflits du XXe siècle et à la satisfaction qu'elles m'inspirent. Des projets de rénovation des hauts lieux de mémoire sont en cours et près de 5 millions d'euros iront à l'entretien et à la rénovation des sépultures de guerre. Les archives militaires des deux conflits mondiaux et des guerres de décolonisation, notamment les registres de ceux tombés pour la France, sont progressivement mises sur internet. De nombreuses initiatives pédagogiques sont menées et des coopérations existent entre la défense et l'éducation nationale, qu'on peut encore amplifier.

L'intérêt nouveau porté au tourisme de mémoire met en lumière les avantages économiques qu'il y a, pour nos collectivités, à valoriser leur patrimoine mémoriel. Il en résulte un chiffre d'affaires annuel de 45 millions et des retombées indirectes, en matière de notoriété internationale par exemple, importantes.

En ce qui concerne le calendrier mémoriel, le Président de la République a annoncé, le 11 novembre dernier, la transformation de cette date en commémoration du premier conflit mondial et de tous les morts pour la France, notamment en Opex. Je suis, sur ce point, opposée à l'idée d'un memorial day à la française qui remplacerait toutes les autres cérémonies commémoratives car celles-ci sont le reflet de la richesse de notre histoire et la marque de notre respect et de la reconnaissance de la Nation pour les sacrifices des différentes générations du feu.

Une modification doit néanmoins être apportée à ce calendrier : c'est celle de l'hommage aux morts de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie. La date retenue, le 5 décembre, n'a aucune signification historique. C'est intolérable pour ceux qui ont vécu ces combats. Seul le 19 mars, date du cessez-le-feu de 1962, a la portée symbolique nécessaire pour incarner le souvenir de ceux qui ne sont pas revenus et les souffrances engendrées par cette guerre. Pour marquer, en 2012, le cinquantième anniversaire de cet événement, il est indispensable que les autorités civiles soient représentées au plus haut niveau et ce de manière officielle lors des différentes manifestations.

J'aimerais, pour finir, revenir sur les questions spécifiques à mon département, la Moselle, et que j'ai exposées au ministre lors de son audition. La situation particulièrement dramatique que l'Alsace-Moselle a vécue durant la Seconde Guerre mondiale, les conséquences terribles de son annexion, sont encore trop méconnues de nos compatriotes. La réparation de ce drame n'est pas complète et il reste largement inconnu des manuels scolaires.

Après des années d'obstination, les RAD-KHD ont fini par recevoir une indemnisation ; ils n'étaient alors plus très nombreux. Doit-on penser que le même attentisme s'applique aux incorporés de force dans l'armée allemande détenus par les soviétiques à l'Ouest de la ligne Curzon ? Les conditions de détention y étaient bien sûr les mêmes que sur le territoire officiel de l'URSS. Ce n'était assurément pas un camp de vacances ! L'étude promise sur le sujet se fait attendre et je remercie Muguette Dini de m'avoir soutenue lors de mon échange sur le sujet avec le ministre. J'espère que, grâce à la ténacité de notre commission, cette injustice sera bientôt réparée.

Vous l'avez constaté, mon regard sur ce budget est plutôt critique : il y a des avancées en trompe l'oeil, certaines politiques ont été menées à bien, mais trop de problèmes ne sont pas encore réglés. C'est pourquoi je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission.

Pour finir, trois articles sont rattachés à cette mission.

L'article 49 augmente de quatre points la retraite du combattant au 1er juillet 2012. C'est un progrès indéniable, certes, mais qui ne sera pleinement traduit qu'en 2013. Son coût estimé pour 2012 est de 18,5 millions d'euros, puis de 74 millions en année pleine. Cette revalorisation est attendue depuis trop longtemps par le monde combattant pour qu'on s'y oppose pour des raisons comptables. C'est pourquoi je vous invite à donner un avis favorable à son adoption.

L'article 49 bis résulte d'un amendement gouvernemental à l'Assemblée nationale qui améliore la pension de réversion allouée aux conjoints survivants des grands invalides. Je vous invite à y donner un avis favorable car c'est une expression de la solidarité nationale.

Enfin, l'article 49 ter demande au Gouvernement la remise d'un rapport, avant le 1er juin 2012, sur les conditions d'attribution de la campagne double aux anciens combattants d'Afrique du Nord. Le régime actuel est bien trop restrictif, ne serait-ce que parce qu'il ne porte que sur les pensions liquidées après 1999. J'en veux pour preuve que la campagne double n'a été attribuée qu'à trois personnes sur six cent cinq demandes reçues. Je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article, même si ce rapport ne nous apprendra rien que nous ne sachions déjà.

Le même type de restriction s'applique à l'attribution de la carte du combattant à ceux qui ont servi quatre mois en Algérie à cheval sur la date du 2 juillet 1962. Le ministre Hubert Falco s'y était engagé et on l'attend toujours. Ce ne serait pourtant que justice car de nombreux affrontements ont eu lieu après cette date. Tout cela témoigne du peu de cas que fait le Gouvernement de ces anciens combattants dont la simple demande est la reconnaissance de leurs droits légitimes.

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